par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
L’escalade de la crise grecque n’est certainement pas l’élément catalyseur de la baisse surprise de 25 points de base du taux directeur de la BCE, mais elle a sans doute contribué à rappeler le degré d’urgence à agir. La balance des risques a clairement basculé du côté de la croissance, qui est le dernier maillon de la chaine de contagion de la crise des dettes souveraines.
On a frôlé le chaos cette semaine après l’annonce surprise, lundi soir, du Premier ministre grec d’organiser un référendum sur le plan de sauvetage. Ce nouveau coup de théâtre a semé la panique sur les marchés, avec une envolée des primes de risque sur les souverains fragiles et un décrochage des Bourses, notamment des valeurs bancaires.
L’Europe n’a pas tardé à réagir et a fait passer un message on ne peut plus clair à Georges Papandréou : si référendum il y avait, ce dernier devrait être organisé au plus vite et ne porter que sur une seule question, celle du maintien ou non de la Grèce au sein de la zone euro. En attendant, le pays ne percevrait pas un centime d’aide, tout versement étant conditionnel à la mise en œuvre du plan décidé en octobre dernier et ce, alors même que la Grèce doit faire face à de lourdes tombées d’échéances en décembre. Face à cette situation de non-choix, le Premier ministre a fait volte-face, en renonçant à l’idée d’un référendum, mais sa survie politique est suspendue à un vote de confiance qui devrait intervenir dans la nuit de vendredi à samedi. La formation d’un gouvernement d'union nationale de transition, chargé de convoquer des élections anticipées début 2012, est aujourd’hui une hypothèse qui gagne en probabilité.
Si cette escalade de la crise grecque n’est certainement pas l’élément catalyseur de la baisse surprise, jeudi, de 25 points de base du taux directeur de la Banque centrale européenne, elle a sans doute contribué à rappeler le degré d’urgence à agir.
La balance des risques a clairement basculé du côté de la croissance qui est le dernier maillon de la chaine de contagion de la crise des dettes souveraines. Les enquêtes sont là pour en témoigner, puisqu’elles oscillent en territoire récessif, un scénario aujourd’hui endossé par la BCE. Même à 3%, l’inflation n’est plus perçue comme un risque. Les effets de second tour, autrement dit une inflation entretenue par des hausses de salaires, ne figure plus au rang de menace, ce qui paraît éminemment logique au moment où il est surtout question de déflation salariale dans une partie de la zone euro. Ajoutez-y une surenchère à l’austérité à l’échelle de la zone euro et vous avez un cocktail détonnant pour l’activité qui à terme est synonyme de désinflation. Desserrer le verrou monétaire peut aider en donnant une petite bouffée d’oxygène aux agents endettés, mais les quarts, voire les demi-points de baisse, avec un nouvel assouplissement attendu en décembre, ne feront pas une grande différence, sachant que le canal de transmission de la politique a perdu en efficacité.
C’est tout l’enjeu des mesures non conventionnelles qui doivent aider à une meilleure diffusion de cette politique de taux bas. Or, de ce point de vue, c’est le changement dans la continuité avec une BCE, sous la férule de son nouveau président Mario Draghi, qui met toujours sous perfusion de liquidité les banques, mais refuse d’endosser pleinement ce rôle de prêteur en dernier ressort pour les États. Elle le fait, certes sous la contrainte, mais à des doses trop homéopathiques pour lutter efficacement contre les phénomènes de contagion avec, en particulier, une propagation dangereuse à l’Italie.
Il est certes difficile pour une Banque centrale ayant un mandat exclusif d’ancrage nominal de s’embarquer dans une telle stratégie de « monétisation », même indirecte (si l’intervention se fait sur le marché secondaire) des déficits publics. Mais en temps de crise, le pragmatisme devrait pouvoir l’emporter sur le dogmatisme, surtout lorsque l’intégrité de la zone euro est en jeu. Les États-Unis ou le Royaume-Uni ne se privent pas de faire fonctionner la planche à billets. Résultat des courses, ces deux pays, qui font face aux mêmes défis budgétaires, se refinancent aujourd’hui à des taux réels négatifs, avec des rendements publics à dix ans défalqués de l’inflation d’environ -2%, une manière indolore d’apurer leurs déséquilibres financiers. Le pendant de cette politique est, en outre, un affaiblissement de leur monnaie, avec à la clef des gains de compétitivité appréciables à l’heure où tout le monde aspire à être tracté par l’extérieur. Se priver en zone euro de cet outil est donc préjudiciable à double titre, puisque des conditions financières onéreuses et la force de l’euro inhibent la croissance et ce faisant, fragilisent encore davantage les équilibres budgétaires.
Racheter de la dette publique est aussi perçu comme périlleux pour les équilibres bilanciels de la BCE, laquelle risque de devoir absorber des pertes en cas de défaut. Ce constat est valide si l’on pense que les États, aujourd’hui dans le collimateur des marchés, sont insolvables, ce qui nécessitera tôt ou tard, comme pour la Grèce, de passer un coup de rabot sur leur dette. En revanche, si ces pays ne font face qu’à des problèmes de liquidité alors, théoriquement, la BCE n’encourt aucun risque si elle conserve ces titres jusqu’à leur remboursement à maturité. Cette réticence de la BCE à jouer un rôle de prêteur en dernier ressort pour les États instille le doute sur la qualité intrinsèque de ces actifs et donc sur la solvabilité des émetteurs, de quoi alimenter spéculation et contagion…
La rigueur budgétaire et l’orthodoxie monétaire sont les deux faces d’une même stratégie qui risque de plonger la zone euro dans une équation insoluble : sans croissance, le poids des dettes va s’alourdir inexorablement, sauf à imposer des cures d’austérité socialement insupportables. Le risque est qu’une instabilité chronique se développe selon une logique tridimensionnelle avec un équilibre précaire et des effets de boucles auto-renforçantes entre finance-économie et politique.