par Frédérik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• La BCE est pressée d’en faire davantage pour soutenir l’activité et le crédit.
• Malgré des obstacles institutionnels non négligeables et les réticences de certains de ses membres, la BCE pourrait envisager d’autres mesures non conventionnelles une fois que les taux auront atteint leur point bas.
L’activisme des banques centrales est à son paroxysme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon. Par comparaison, la pression monte sur la BCE pour soutenir davantage l’activité et le crédit. Officiellement, sa position n’a pas changé. Les derniers commentaires de ses membres confirment que le taux refi devrait être de nouveau baissé le 5 mars prochain, de 50 pdb à 1,50 % selon nous. Le recours à des mesures non conventionnelles (taux zéro, credit easing), ne semble pas à l’ordre du jour. Or, le président Trichet l’a répété, aucune option ne peut être exclue compte tenu de l’incertitude actuelle.
Plusieurs situations pourraient forcer la BCE à innover, notamment en cas de risque accrû de déflation. Après avoir décrit la stratégie actuelle de la BCE, nous passons en revue les options qui pourraient s’offrir à elle.
Une stratégie centrée sur la liquidité
A ce stade, la stratégie de la BCE repose sur un assouplissement des conditions d’accès à la liquidité. Depuis octobre 2008, tous les moyens sont bons : baisse du taux de refinancement, allocations illimitées de liquidité à taux fixe et jusqu’à six mois, extensions des collatéraux acceptés. Si cette stratégie est déjà considérée comme non standard par la BCE, c'est qu'elle a notamment conduit à une augmentation significative de la taille de son bilan (+52 % depuis juillet 2007, dont près de 500 Mds EUR sur les six derniers mois).
Ces mesures radicales ont permis une forte baisse des taux de marchés à court terme, dont les taux Euribor. En effet, la demande de liquidité banque centrale est restée élevée jusqu’à présent, notamment parce que les banques ne se prêtent pas encore librement entre elles, ce qui a conduit à la formation d'un excès de liquidité au niveau global qui se reflète dans la hausse des réserves excédentaires. Ces dernières sont en grande partie redéposées auprès de la banque centrale. L’encours de la facilité de dépôt de la BCE a certes baissé, autour de 75 Mds EUR aujourd’hui, contre un maximum de 315 Mds EUR début janvier, mais le processus de normalisation se poursuit.
La BCE fait le pari de la capacité du marché interbancaire à s’autoréguler. Si les banques ont un meilleur accès à la liquidité privée (prêts des autres banques et des sociétés de gestion de fonds), elles demanderont moins de cash aux enchères de la BCE, et la liquidité excédentaire sera drainée progressivement, en même temps que les taux à très court terme convergeront vers le taux cible. Le taux interbancaire au jour le jour (Eonia) fluctue en effet sous les 1,30 % depuis la baisse du taux de dépôt le 21 janvier. Ce dernier constitue un plancher pour l’Eonia, à 1 % actuellement, étant donné que les banques peuvent toujours placer leurs réserves excédentaires à ce taux. Afin d’éviter une remontée brutale de l’Eonia, la BCE pourrait annoncer prochainement une extension des allocations illimitées en euros, au-delà de l’échéance du 31 mars 2009 initialement fixée (les enchères en dollars mises en place avec la Fed sont d’ores et déjà étendues à fin octobre).
Option 1 : un ersatz de ZIRP
La BCE peut certes continuer de baisser ses taux, mais ses marges de manœuvre s’amenuisent. Il paraît improbable, à ce stade, qu’elle porte le refi sous le seuil de 1 %, par peur de tomber dans une « trappe à liquidité », c’est-à-dire une situation dans laquelle la banque centrale n’a plus d’emprise sur les préférences et les décisions des agents économiques. En pratique, si la BCE est amenée à baisser ses taux jusqu’à cette limite théorique de 1 % et que le spread refi-Eonia reste élevé, elle pourrait adopter sans le dire une forme de politique de taux zéro car l’Eonia se rapprocherait alors de 0 %. Il paraît toutefois peu probable qu’elle s’engage à maintenir le refi à ce niveau pendant un certain temps, étant donné que les membres les plus hawkish du Conseil des gouverneurs (Starck, Weber) souhaitent au contraire remonter les taux dès que la situation économique le permettra.
Option 2 : achats de titres de dette des Etats
Que peut faire la BCE, une fois que les taux courts auront atteint un plancher ? Peut-elle suivre l’exemple des autres banques centrales en intervenant directement sur le marché de la dette ? Une chose est certaine, l’article 101 du Traité interdit à la BCE de financer les déficits publics des Etats-membres, en achetant directement des titres de dette émis par les gouvernements nationaux sur le marché primaire. Les seuls titres d’Etat qu’elle possède à son bilan (moins de 38 Mds EUR, soit 2 % du total de l’actif) résultent des opérations structurelles effectuées avant la mise en place du Système Européen de Banques Centrales (SEBC).
L’interprétation des textes n’est pas évidente (cf. règlement n°3603/93 qui définit la notion de crédit au secteur public), mais il nous semble que la BCE pourrait, en théorie, intervenir sur le marché secondaire, où la dette s’échange entre investisseurs. Elle pourrait le faire par exemple via un bras armé supervisé par la Commission européenne, ou encore la Banque Européenne d’Investissement. Il suffirait pour cela d’une décision du Conseil des gouverneurs de la BCE, après accord des ministres des Finances de la zone euro. La difficulté porterait davantage sur le choix des papiers à racheter. Compte tenu des inquiétudes croissantes liées aux finances publiques de certains pays, on pense immédiatement aux obligations d’Etat à dix ans dont les taux se sont fortement tendus sur la période récente, comme celles de l’Irlande ou de la Grèce. On pourrait également imaginer des interventions sur l’ensemble des marchés européens, selon des règles opérationnelles définies par le Conseil des gouverneurs.
Option 3 : achats de titres de dette privée
Enfin, la BCE pourrait être amenée à racheter des titres de dette privée de bonne qualité, à différentes maturités, sur le modèle du credit easing mis en place aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon. Si rien ne l’interdit formellement, cette stratégie pose deux problèmes majeurs.
Il y a d’abord la question des moyens financiers mobilisés par la BCE pour réaliser de tels achats d’actifs. En théorie, elle pourrait recourir à de la pure création monétaire en augmentant les réserves excédentaires des banques et donc la masse monétaire, mais cette option entrerait en conflit avec sa volonté de laisser le marché s’autoréguler. Pour espérer avoir un impact sur le marché, la BCE devrait probablement mettre en jeu des montants importants, de telle sorte qu’il lui faudrait bénéficier de fonds supplémentaires fournis par les Etats-membres. Le Conseil des gouverneurs pourrait alors voter une augmentation de capital de la BCE, selon les règles en vigueur. Les articles 28 et 29 du protocole sur les statuts du SEBC et de la BCE précisent que la clé de répartition pour la souscription au capital de la BCE est basée sur le poids relatif de chaque Etat-membre en termes de population (50 %) et de PIB (50 %).
Se pose surtout la question des pertes potentielles liées à la détention d’actifs risqués, qu’il convient de couvrir. La zone euro ne bénéficie pas de l’équivalent du Trésor américain ou anglais qui se porte garant pour leurs banques centrales respectives. Les textes précisent que « si la BCE enregistre une perte, celle-ci est couverte par le fonds de réserve général et […] par les revenus monétaires de l’exercice financier au prorata et jusqu’à concurrence des montants alloués aux banques centrales nationales ». Autrement dit, il pourrait revenir aux banques centrales et aux trésors nationaux de fournir des lignes de crédit à la BCE mobilisables en cas de pertes excédant les revenus monétaires disponibles.
D’une certaine manière, la question des pertes potentielles sur des actifs détenus par la BCE se pose déjà aujourd’hui, en cas de défaut d’une contrepartie.
Si elle ne procède pas à des rachats directs sur les marchés, elle a élargi la gamme des actifs acceptés en collatéraux lors de ses opérations d’open-market traditionnelles. En termes de notation, le seuil critique a été abaissé de A- à BBB- pour la majorité des actifs. En conséquence, la composition des collatéraux pris en pension s’est fortement déformée depuis 2007 en faveur d’actifs moins liquides et plus risqués, dont des produits structurés (ABS) et des actifs non négociables sur les marchés.
On le comprend, toute intervention directe de la BCE sur les marchés pose donc un certain nombre de problèmes théoriques, mais tout (ou presque) reste possible. Le président Trichet avait déjà laissé entendre en décembre que des achats directs de papiers commerciaux étaient envisageables. Ce chantier ne fait peut-être que commencer.
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