par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• La décision de la BCE d’augmenter le plafond de l’ELA dès cette semaine, même de façon incrémentale, est une bonne surprise et un signal positif envoyé à la Grèce. Sous l’hypothèse cruciale que la Grèce reste membre de la zone euro, la BCE devrait continuer à maintenir les banques grecques à flot via de nouvelles hausses finement calibrées de l’ELA (et éventuelle- ment une baisse des décotes appliquées aux collatéraux en garantie) dans les jours et semaines à venir.
• Dans le même temps, le communiqué de la BCE se veut marginalement plus confiant sur les perspectives de croissance (les risques baissiers ont été « contenus ») mais aussi plus explicite concernant sa détermination à mener le QE jusqu’à son terme. La BCE se tient prête à réagir face à tout durcissement potentiel des conditions financières ou à toute détérioration des perspectives d’inflation.
Lors de sa réunion du 16 juillet, la BCE a décidé d’augmenter le plafond de l’ELA1, de 900 M EUR2, un montant répondant à la demande de la Banque de Grèce (BoG) recalibrée sur une période d’une semaine. Cette décision a surpris de nombreux observateurs, au moins en termes de calendrier, et s’appuie sur (a) la décision de l’Eurogroupe, prise le même jour, «d’accorder, sur le principe, un soutien de trois ans à la Grèce via le Mécanisme Européen de Stabilité, sous réserve de validation des procédures nationales », y compris un prêt- relais à court terme et sur (b) l’hypothèse cruciale selon laquelle la Grèce reste membre de la zone euro. La BCE n’est pas décisionnaire sur ce dernier point, comme l’a rappelé Mario Draghi, mais une « institution gouvernée par des règles qui n’a pas pour vocation à prendre des décisions politiques.
Sans surprise, la réunion a été essentiellement consacrée à la Grèce. Les quelques changements apportés au communiqué renforcent à la marge l’optimisme prudent de la BCE sur les perspectives économiques et sa détermination à mener le QE jusqu’à son terme.
• Concernant l’ELA, la décision du 16 juillet constitue un premier pas important, qui sera suivi d’autres. À court terme, la BCE va probablement procéder à de nouvelles hausses finement calibrées de l’ELA, et pourrait également abaisser les décotes appliquées au collatéral. Une fois que les prêts-relais de 7 Mds EUR seront en place et que la Grèce aura remboursé les 3,5 Mds EUR d’emprunts d’État détenus par la BCE et les Banques centrales nationales, toute future hausse de l’ELA sera conditionnée à la mise en œuvre du programme et aux perspectives de recapitalisation des banques. Une des principales spécificités de l’ELA par rapport aux opérations monétaires normales concerne la gestion des collatéraux en garanties qui, dans les circonstances actuelles, semble aussi importante que le niveau du plafond lui-même. La principale raison est qu’après « l’ajustement » des décotes auxquelles la BCE a procédé le 6 juillet, les banques grecques ont probablement déjà utilisé l’essentiel – sinon la totalité – des collatéraux mobilisables pour l’ELA. Plus la BCE attend, plus les prêts gagés en collatéral risquent de devenir non- performants et donc non éligibles à l’ELA. En conséquence, une baisse des décotes pourrait être annoncée prochainement, en parallèle d’un relèvement du plafond.
• Les futurs relèvements du plafond de l’ELA devraient rester graduels. La perspective d’une enveloppe de 10 Mds EUR disponible rapidement pour recapitaliser les banques est encourageante, mais le plan d’aide prévoit une évaluation approfondie de la solvabilité des banques par la BCE et le SSM3 après l’été seulement. L’ensemble du processus nécessite des clarifications, comme nous l’avions souligné après le sommet de l’UE, en termes de montants, de calendrier, d’efforts à consentir par les créanciers (« bail-in »), etc. Enfin, Mario Draghi a déclaré que « de nombreuses questions se posent sur la mise en œuvre du programme » et qu’il est « du ressort du gouvernement grec de dissiper ces doutes », ménageant ainsi clairement une certaine flexibilité à la BCE.
• L’objectif devrait être d’aider les banques grecques à rouvrir, en maintenant le contrôle des capitaux dans un premier temps, puis en le levant par la suite. Mario Draghi a confirmé qu’à terme, lorsque le programme sera pleinement opérationnel, la Grèce devra viser le retour à un mode de financement normal (via la BCE et non la BoG) une fois que les collatéraux garantis par le gouvernement grec seront redevenus éligibles, ce qui sera possible lorsque la BCE décidera de rétablir la dérogation qu’elle a supprimée en février.
• Mario Draghi et Vitor Constancio ont également abordé la question de l’éligibilité des obligations grecques au programme de QE de la BCE. Il faudrait, au minimum, que la Grèce commence par rembourser ce qu’elle doit à la BCE le 20 juillet et que le plan de sauvetage soit en place. La BCE devrait par ailleurs rétablir la dérogation concernant les collatéraux grecs, une décision laissée «à la discrétion du Conseil des Gouverneurs ».
• Concernant les modalités du QE, Mario Draghi a affirmé que les achats du PSPP avaient connu une accélération d’environ 3Mds EUR en mai et 3 Mds EUR en juin, laquelle serait suivie d’un ajustement d’une ampleur plus modérée en juillet. Cet hypo- thétique « frontloading » n’apparaît pas dans les statistiques officielles, à moins d’appliquer une forme de corrections saisonnières tenant compte du fait que le mois d’août comprend moins de jours ouvrés et par conséquent une activité de marché plus faible.
• Au-delà de la Grèce, la BCE n’a opéré que peu de changements concernant les perspectives de croissance, d’inflation ou de politique monétaire. Le communiqué et le ton de la conférence de presse ont de nouveau reflété l’optimisme prudent de la BCE. Les données ont été « globalement en ligne » avec les attentes de la Banque centrale. La balance des risques sur la croissance a toutefois été modifiée: la BCE considère que les risques baissiers « ont généralement été contenus grâce à nos décisions de politique monétaire, à l’évolution des cours du pétrole et à l’évolution des cours de change» (pour mémoire, l’appréciation sur ces risques avait déjà changé lors de la réunion précédente, en juin, où ils avaient été jugés «plus équi- librés »). Cette modification suggère que la BCE minimise à ce stade les répercussions du dossier grec, ou encore les risques liés au ralentissement en Chine. Dans le même temps, Mario Draghi a noté que la récente baisse des cours du pétrole allait se traduire par des chiffres d’inflation « bas » dans les mois qui viennent, avant que les effets de base ne les fassent remonter en fin d’année. Mario Draghi a toutefois insisté sur le fait que les actions de la BCE contribueraient à éviter des effets de second tour permanents tout en assurant un ancrage des anticipations d’inflation à long terme. De fait, ces dernières se sont en partie dé-corrélées des cours du pétrole sur la période récente.
• L’accent a une nouvelle fois été mis sur les effets positifs du QE (et des autres mesures d’assouplissement monétaire), ainsi que sur la nécessité d’une meilleure transmission de ces mesures à l’économie réelle. En particulier, les agrégats monétaires et de crédit ont rebondi et la dernière enquête de la BCE sur le crédit (Bank Lending Survey) a été très encourageante, soulignant l’amélioration généralisée de la demande de crédit (notamment des PME des pays périphériques), mais Mario Draghi a encore décrit la dynamique du crédit comme modérée, malgré la diminution de la fragmentation et le soutien des TLTROs.
• Il n’est toutefois guère surprenant, malgré cette position prudemment optimiste, que la BCE reste « fermement » déterminée à mener le QE jusqu’à son terme, soit jus- qu’en septembre 2016 au moins. Cette détermination a même été renforcée ce mois- ci, comme en témoigne le fait que le Conseil des Gouverneurs a fait figurer le passage suivant dans les premiers paragraphes du communiqué (alors qu’il n’apparaissait précédemment que dans les questions-réponses et dans certains discours officiels) : « Si des facteurs, quels qu’ils soient, devaient conduire à un durcissement non souhaité de la politique monétaire ou si les perspectives de stabilité des prix devaient se dégrader fortement, le Conseil des Gouverneurs réagirait à la situation en utilisant tous les instruments dont il dispose dans le cadre de son mandat ». Ceci étant, si le programme grec est mis en œuvre, nous ne voyons pas de raison évidente qui pourrait amener la BCE à assouplir davantage sa politique monétaire à ce stade, au-delà de quelques ajustements techniques des modalités du QE. Ainsi, après la décision récente d’élargir la liste des titres d’agence éligibles au PSPP à des entreprises semi- publiques. Mario Draghi a déclaré que cette liste n’était « pas gravée dans le marbre ».
• Sur un plan plus fondamental, nous avons – comme d’autres – avancé l’idée que le basculement de la BCE vers une version 2.0 de son « whatever it takes » de 2012 pour préserver l’euro de tout risque de redénomination aura des conséquences à plus long terme sur la conduite de sa politique monétaire. Les déclarations de Benoît Coeuré avaient alors suggéré qu’une BCE faisant « tout ce qui sera nécessaire » pour sauver l’euro ne signifiait plus forcément que la BCE ferait « tout ce qui sera nécessaire» pour maintenir tous les États membres, y compris la Grèce, à l’intérieur de la zone euro. Lors de la réunion de juillet, Mario Draghi a clairement indiqué qu’une telle décision ne pouvait relever que de la res- ponsabilité des chefs d’État.
NOTES
- Pour Emerging Liquidity Assistance : fourniture de liquidités d’urgence, dispositif utilisé par la Banque de Grèce pour alimenter les banques grecques en liquidités, et que la BCE peut contrôler.
- L’ELA était plafonnée jusqu’ici à 89 Mds EUR.
- Single Supervision Mechanism : : mécanisme de supervision unique des banques de la zone euro