BCE : trop beau pour être vrai ?

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE n’a livré aucun indice dans le sens d’une possible détente monétaire, indiquant que sa décision de laisser ses taux directeurs inchangés avait été prise à l’unanimité. Pour autant, plusieurs facteurs continuent de militer en faveur d’une baisse du principal taux de refinancement de la BCE (en mars dans notre scénario central).

• Mario Draghi a évoqué l’amélioration sensible des conditions de marché, tout en mettant en garde contre tout excès d’optimisme et toute forme de complaisance. D’importants défis subsistent. Que le programme OMT soit ou non mis en œuvre, les incitations pour les gouvernements à poursuivre l’effort de réforme, tant au niveau national qu’européen, semblent avoir été réduites.

Tout vient à point à qui sait attendre : une baisse du taux « Refi » reste probable

En actualisant son communiqué officiel, le Conseil des gouverneurs a probablement fait un usage immodéré de la fonction « copier-coller ». En effet, l’évaluation globale des conditions économiques n’a guère été modifiée et la balance des risques est restée la même qu’en décembre (à la baisse pour l’activité économique et équilibrée pour l’inflation). Cependant, Mario Draghi a indiqué que la décision de laisser les taux directeurs inchangés ce mois-ci avait été adoptée à l’unanimité. Autrement dit, aucun membre du Conseil des gouverneurs n’a plaidé en faveur d’une baisse des taux, contrairement au mois dernier. M. Draghi n’a pas signalé de biais plus « hawkish » pour autant, se contentant d’insister sur le fait qu’aucune information nouvelle ne justifiait une modification de l’orientation de politique monétaire pour le moment. Cependant, plusieurs éléments continuent, selon nous, d’aller dans le sens d’une baisse du taux « Refi » de 25 pb lors de la réunion du mois de mars.

La probabilité d’une mauvaise surprise concernant la croissance économique (passée) s’est renforcée, notamment en Allemagne. D’après les commentaires officiels de M. Roesler, ministre allemand de l’Economie, la croissance annuelle du PIB serait de 0,75 % en 2012, ce qui, compte tenu des données disponibles jusqu’au troisième trimestre, impliquerait une importante contraction du PIB au T4 pouvant aller jusqu’à 1 % en rythme trimestriel non annualisé. Même en tenant compte de révisions probables à la baisse des chiffres antérieurs ainsi que des effets de calendrier, les données officielles à paraître le 14 février seront probablement inférieures à nos anticipations et à celles du consensus, renforçant le risque de nouvelles révisions à la baisse des projections du staff de la BCE (en mars). Les données du dernier trimestre revêtent par ailleurs une importance particulière en termes d’effet d’acquis et d’exécution budgétaire pour l’année suivante. Il est tout à fait envisageable que la BCE retienne cet argument parmi d’autres pour réduire le taux « Refi » lors de la réunion du mois de mars.

L’inflation devrait reculer plus nettement dans les prochains mois à la faveur de prix de l’énergie maîtrisés et d’effets de base plus favorables. Comme l’a fait remarquer M. Draghi, les taux d’inflation dans la plupart des pays de la zone euro restent encore au-dessus de leurs niveaux « normalement » induits par les fondamentaux économiques. Or, la modification de la balance des risques relative à l’inflation a toujours été un moyen « naturel » pour la BCE d’annoncer et de justifier une baisse des taux.

Les premières données de remboursement anticipé des opérations de refinancement à 3 ans (LTRO) commenceront à être publiées début février ; la BCE et le marché auront ainsi des informations plus précises sur la situation de liquidité sous-jacente du secteur bancaire. La décision récente du Comité de Bâle portant sur l’assouplissement des règles de liquidité applicables aux banques, ainsi que l’amélioration en cours sur les marchés de capitaux ont amené certains observateurs à revoir leurs anticipations à la hausse concernant le montant des liquidités qui seront finalement restituées à la banque centrale. Quel en sera l’impact sur la politique monétaire ? Difficile à dire. Une chose est sûre néanmoins : d’un point de vue tactique, la BCE disposera ainsi d’un complément d’informations et d’une plus large marge de manœuvre.

On observe une restauration progressive des canaux de transmission de la politique monétaire, en mesure de renforcer l’impact potentiel d’une baisse du taux « Refi » sur l’économie réelle dans les pays périphériques. D’un point de vue de politique interne au sein de la BCE, cette amélioration rend également la justification d’un assouplissement monétaire plus acceptable aux yeux des « faucons » du Conseil des gouverneurs. Tout cela dépendra de l’impact du programme OMT sur les marchés périphériques, qu’il soit ou non mis en œuvre. Nous pensons pour notre part qu’il le sera, mais sur ce point également toutes les options restent ouvertes.

Les vrais défis de la BCE pour 2013

Comme nous l’indiquons dans notre dernier Perspectives Macro (“BCE : la parole de Draghi”), le plus important pour l’année qui vient n’est pas de savoir si la BCE baissera ou non le taux « Refi » ni quand elle le fera. Le Conseil des gouverneurs aura en effet à prendre des décisions autrement plus difficiles. Quelle que soit l’amélioration actuelle des conditions monétaires et financières sur bien des plans, il convient, comme l’a souligné M. Draghi, de ne pas céder à un optimisme excessif. Certes, les rendements obligataires ont connu une nette embellie sur les marchés périphériques depuis le début de l’année, les émissions de dette sont bien absorbées (notamment cette semaine), l’Irlande revient tout doucement sur le marché et, d’une manière générale, d’« importants flux de capitaux » sont de retour dans la zone euro comme l’a noté Mr Draghi ; mais, dans l’économie réelle, de nombreux problèmes restent sans réponse.

La zone euro est toujours en proie à la récession sans espoir de redressement notable cette année – nous tablons tout juste sur une reprise timide et hétérogène. Les flux de crédit vers le secteur privé continuent de se contracter. Nous avons certes beaucoup insisté sur les progrès structurels accomplis en termes d’assainissement des finances publiques et de rééquilibrage des comptes courants dans les pays de la périphérie. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire dans la plupart des pays sur le plan du désendettement du secteur privé, un problème qui devrait peser sur la croissance potentielle. Enfin, le taux de change effectif de l’euro reste trop élevé au regard de la situation économique de la plupart des pays de la zone.

Plus important encore, l’amélioration des conditions financières est l’une des raisons pour lesquelles les incitations pourraient à présent s’avérer insuffisantes pour encourager les Etats membres de la zone euro à poursuivre l’effort d’intégration au niveau européen. Le président Draghi a joué un rôle décisif l’année dernière en soutenant ce processus, qu’il s’agisse de la gouvernance économique (pacte budgétaire) ou de l’intégration financière (union bancaire). Reste à savoir s’il trouvera le moyen de maintenir, sinon de renforcer la pression sur les gouvernements pour qu’ils passent à l’étape suivante du processus d’intégration. La conclusion du dernier Conseil de l’UE en décembre, lors duquel peu de décisions ont été prises au-delà de la mise en œuvre du mécanisme de supervision bancaire unique, est venue rappeler les défis qui attendent la zone euro dans les années à venir. Beaucoup reste à faire avant que la page de la crise de la dette souveraine dans la zone euro puisse être tournée définitivement.

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole