BCE : une hausse, zéro défaut

par Frederik Ducrozet et Isabelle Job, économistes au Crédit Agricole

La BCE devrait à nouveau relever son taux directeur de 25 pdb en juillet. Dans le cadre du nouveau plan de soutien à la Grèce, l’institution de Francfort reste fermement opposée à toute décision qui pourrait déclencher un évènement de crédit, craignant des réactions en chaîne à la Lehman. Elle ne se montre pas hostile à une solution de type « Initiative de Vienne » sur une base purement volontaire.

Conformément aux attentes, M. Trichet a employé au début de son discours d’introduction le terme de « forte vigilance » eu égard au risque inflationniste, ce qui en langage BCE est synonyme d’une hausse de taux dès le mois prochain, donc en juillet. Autrement dit, le scénario de « retour à la normale » sur le front des taux se déroule pour le moment selon une mécanique assez prévisible avec des pas de 25 pdb par trimestre qui amènerait le taux Refi à 2,25 mi-2012.

Les deux piliers de l’analyse de la BCE laissent penser que ce processus graduel de hausses de taux reste d’actualité.

Côté croissance, le risque est jugé toujours équilibré. L’environnement global reste très porteur, notamment en raison de la traction exercée par la sphère émergente. M. Trichet a d’ailleurs souligné que la communauté des analystes avait été positivement surprise par le relatif dynamisme de la reprise en zone euro, avec des révisions successives à la hausse des prévisions de croissance. C’est encore le cas ce trimestre puisque le staff de la BCE a rehaussé de 3 dixièmes de point sa prévision de croissance pour 2011 à 1,9% tout en laissant inchangé celle de l’année suivante à 1,7%. Parmi les facteurs baissiers mentionnés, on trouve évidemment le niveau élevé d’incertitude lié à la crise larvée des dettes souveraines et également la ponction opérée sur le pouvoir d’achat des ménages, en cas de hausse prolongée du prix des matières premières.

En revanche, l’analyse de l’inflation est sans appel avec un risque qui selon la BCE pointe d2a.6ns une seule direction, celle de la hausse. L’inflation dans le scénario révisé du staff de la BCE devrait atteindre en moyenne 2,6% en 2011 (soit en hausse de3 dixièmes de p1.8oint par rapport aux projections de mars) avant de revenir en dessous de la cible en 2012 avec une prévision moyenne de 1,7%. Ce reflux de d’inflation est sensible aux hypothèses retenues avec un prix du pétrole qui devrait légèrement se replier vers les 108 USD le baril en 2012 (contre 111,1 USD en 2011), une parité EUR-USD stable autour des 1,40 et des hausses de taux courts. Le patron de la BCE a égrené un chapelet de risques haussiers entourant ce scénario central avec un nouveau renchérissement du prix matières premières, des augmentations des taxes indirectes en lien avec les plans d’austérité budgétaire et surtout un risque de dérive des prix alimentée par des hausses de salaires (effets de second tour). En revanche l’analyse du pilier monétaire ne recèle pas de nouveautés avec une reprise très graduelle du crédit en appui de l’activité, le tout dans un environnement de liquidité abondante.

Si dans le discours, M. Trichet se montre particulièrement confiant sur la robustesse de la croissance en zone euro, le chiffrage implique une croissance séquentielle faible sur les trois prochains trimestres de 2011 (0,3% t/t en moyenne, i.e. 1,2% en annualisé, soit nettement en deçà du rythme potentiel). Autrement dit, ce coup de frein à l’activité ne semble pas inquiéter la BCE au point de la faire dévier de sa trajectoire de remontée des taux. Cet essoufflement de la croissance ne s’accompagne pas d’un fléchissement du prix des matières premières conformément aux anticipations de marchés, les forward servant de base aux prévisions de la BCE. La surprise pourrait donc venir d’un retournement plus précoce et plus rapide qu’anticipé des prix du pétrole sur fond de ralentissement de l’activité qui apaiserait les inquiétudes inflationnistes et pourraient amener la BCE à faire montre d’une plus grande prudence. Néanmoins, compte tenu du niveau très bas du taux Refi (encore négatif en termes réels) et donc du caractère toujours très accommodant de la politique monétaire, il faudrait sans doute un accident sérieux de croissance pour stopper la BCE dans son élan.

Le patron de la BCE était très attendu sur le dossier grec, compte tenu des dissensions apparentes entre la position de l’institution de Francfort et celle des autorités allemandes sur la manière de résoudre les problèmes d’endettement de la Grèce. Le ministre Allemand s’est prononcé cette semaine pour une solution de type échange de dette (debt swap) avec extension des maturités (sept ans). La BCE reste de son côté fermement opposée à toute décision qui pourrait déclencher un évènement de crédit, pointant du doigt le risque de réactions en chaîne à la Lehman.

La BCE ne semble, en revanche, pas hostile à une participation des créanciers privés, sur la base du volontariat et sans aucun mécanisme coercitif quel qu’il soit, dans le cadre du nouveau plan de soutien à la Grèce. Ceci est assez proche de la position de la France favorable à une «Initiative de Vienne» synonyme de maintien des expositions et donc de renouvellement des titres de dette grecque arrivant à maturité. Dans tous cas, la BCE qui détient à son bilan environ 45 Mds EUR d’obligations souveraines grecques dans le cadre de son programme de rachat de titres (Securities Market Program, SMP) ne compte pas participer à cette initiative, souhaitant se débarrasser au plus vite des actifs acquis en temps de crise. Il faut en effet se rappeler que la BCE a dû se résoudre, malgré les fortes réticences du camp allemand, à adopter ce type de mesures d’urgence afin d’apaiser les tensions sur certains segments de marchés endommagés et limiter les effets de contagion.

Ceci ne veut pas dire que la BCE ne participe pas à l’effort global. Conformément à son « principe de séparation », la BCE a maintenu en l’état son dispositif de mesures non standards et ce au moins jusqu’au troisième trimestre 2011. Ce soutien inconditionnel à la liquidité, avec des enchères à taux fixe et en quantité illimitée (pour les opérations de refinancement à une semaine, un mois et trois mois) profitent surtout aux banques des pays de la périphérie et en particulier aux banques grecques. Ces dernières n’ont plus accès au marché de gros pour se refinancer et doivent faire face à un mouvement tendanciel de fuite des dépôts, l’ensemble mettant sous forte pression leur bilan. Et pour les banques fragiles de la périphérie la question est moins celle du prix de cette liquidité (qui malgré les hausses de taux n’en demeure pas moins peu onéreuse) que celle de son accès.

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