BCE/Fed : le grand écart

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les discours délivrés par JC Trichet et Ben Bernanke cette semaine témoignent, une fois de plus, des différences d’appréhension de la conduite de la politique monétaire par la BCE et la Réserve Fédérale.

Dans son communiqué précédant la conférence de presse mensuelle, Jean-Claude Trichet a réintroduit la fameuse expression « strong vigilance » suggérant qu’une hausse du taux refi est fortement probable en juillet (+0,25pb à 1,50%). Selon lui, les risques sur l’inflation à moyen terme restent orientés à la hausse alors que les risques sur la croissance sont équilibrés, même s’il continue de souligner une forte incertitude.

Les projections de croissance de la BCE ont été revues à la hausse pour 2011 (1,9% vs 1,7% il y a 3 mois), ce qui n’est guère étonnant étant donné la bonne surprise du premier trimestre (0,8% T/T), alors que celles de 2012 ne sont que très légèrement abaissées (à 1,7% après 1,8%).

La BCE continue de souligner la dynamique positive d’activité dans la zone euro, en la nuançant cependant quelque peu (« à un rythme moins rapide »). Concernant les projections d’inflation, celles de 2011 ont été révisées à la hausse (à 2,6% vs 2,3%) alors que celles de 2012 n’évoluent guère (1,7%).

Concernant la politique non conventionnelle, le communiqué n’a pas apporté de grands changements : très attendues, les annonces sur les procédures d’allocation de la liquidité nous semblent positives avec le maintien de l’allocation illimitée pour les appels d’offre hebdomadaires (MRO) jusqu’au 11 octobre et pour les opérations de refinancement à 1 et 3 mois. Si elles vont se financer plus cher avec la hausse du taux refi, les banques européennes ne rencontreront cependant pas de difficultés à se financer, grande préoccupation des banques des pays périphériques qui se financent presque exclusivement auprès de la BCE.

De son côté, B. Bernanke a prononcé un discours beaucoup moins optimiste sur la croissance que celui de Trichet, mettant en avant que la croissance économique cette année avait été jusqu’à présent plus faible qu’attendu et que l’économie continuait de tourner à des niveaux bien inférieurs au potentiel. Il a également souligné la perte de dynamique du marché du travail récemment (avec les 54 000 créations d’emplois du mois de mai) et la nécessité d’avoir des créations d’emplois plus fortes pour considérer que la reprise est bien établie. Ce discours a marqué une rupture par rapport au dernier FOMC où la tonalité sur la croissance était plus positive. Pas de grand changement sur l’appréciation de l’inflation, Bernanke continuant de mettre en exergue que la hausse récente de l’inflation était une source de préoccupation mais qu’il considérait toujours le choc comme transitoire. Au total, le statu quo américain risque de prévaloir encore pendant longtemps (jusqu’en juin 2012 selon nous).

La BCE reste donc « fortement vigilante » au risque inflationniste et Trichet n’a pas dit, comme la dernière fois, qu’il ne s’agissait pas d’un cycle de hausse des taux alors que la Fed adopte un ton beaucoup plus inquiet sur la croissance, suggérant que l’écart de taux courts entre la Zone euro et les Etats-Unis va encore augmenter. On pourrait croire que la diversité de discours a pour origine des dynamiques de croissance et d‘inflation très différentes. Or l’inflation de la zone euro atteignait 2,7% en mai (après un pic à 2,8% en avril) alors que l’inflation américaine était de 3,2% en avril.

Concernant les perspectives, l’inflation américaine devrait être plus élevée que l’inflation européenne cette année mais le profil est assez semblable. Dans les deux zones, le risque d’effet de second tour, lié à une accélération des salaires et des coûts salariaux, semble extrêmement faible, les deux économies ayant des taux de chômage bien supérieurs à leur taux naturel. Sur la croissance, certes celle de la zone euro s’est révélée plus dynamique que celle des Etats-Unis au T1-2011 (3,2% en rythme annualisé contre 1,8%) mais les perspectives pour les trimestres à venir sont plus dégradées en Europe (environ 1% en ra vs 2% pour les US).

Il semble donc que les différences de réaction s’expliquent en grande partie par les mandats des deux banques centrales, la BCE n’ayant qu’un seul objectif d’inflation totale alors que la Fed a un double objectif de plein emploi et d’inflation et qu’elle privilégie l’évolution de l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation). Ces différences de mandat sont très importantes, la Fed ne sur-réagissant pas à un choc inflationniste, s’il est considéré comme transitoire, contrairement à la BCE, qui préfère prévenir que guérir en augmentant les taux, parfois de façon prématurée; par ailleurs, la BCE n’a pas hésité à resserrer la politique monétaire en avril en dépit du maintien du taux chômage à un niveau élevé alors que le recul du taux de chômage a toujours été un pré-requis à tout resserrement monétaire par la Fed.

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