BCE/Fed : quelles perspectives ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après quatre mois d’attente, la Réserve Fédérale américaine devrait annoncer la réduction du montant de ses achats lors de son prochain FOMC le 18 septembre. La batterie d’indicateurs publiés ces dernières semaines suggère que l’embellie s’est poursuivie en août avec une progression des indicateurs avancés et la poursuite de l’amélioration sur le marché du travail (même si celle-ci est modérée).

Voulant éviter un impact trop important sur les marchés, elle devrait annoncer une diminution de l’ordre de 10/15 Md$ sur les 85 Md$ d’achats mensuels. Il semble probable que les deux types de titres soient concernés (Trésor et MBS). Si cette diminution implique une réduction dans le rythme d’assouplissement de la politique monétaire, elle ne constitue pas un resserrement, la base monétaire américaine continuant à augmenter jusque mi-2014. C’est, en effet, à ce moment-là que le QE3 devrait prendre fin. Pour autant, la politique monétaire devrait ensuite rester très accommodante puisque la Fed a annoncé qu’elle continuerait à réinvestir les montants des tombées laissant ainsi la taille de son bilan inchangée. La hausse des taux courts ne devrait pas avoir lieu avant mi-2015 si l’on en croit les projections de la Fed (et les nôtres). Au total, si la Fed est effectivement dans la perspective des stratégies de sortie des politiques non conventionnelles, on voit bien que c’est un processus qui va durer longtemps.

La forte hausse des taux longs américains (130pb depuis mai sur le 10 ans), si elle devait se poursuivre à ce stade de la reprise, constituerait un risque non négligeable pour la croissance américaine. En effet, elle pourrait la remettre en cause via un affaiblissement précoce du marché immobilier, de moindres effets richesse et une trop forte appréciation du dollar. La Fed devrait donc continuer à rester dovish dans les mois qui viennent. Pour diminuer la volatilité sur les marchés, une plus grande transparence sur les modalités de diminution des achats au cours du temps serait la bienvenue mais pour le moment rien n’a été communiqué à ce sujet. Le changement à la tête de la Fed pourrait également être une source de volatilité. Les deux principaux prétendants, J. Yellen et L. Summers, sont considérés comme dove1 mais la nomination de la vice-présidente de la Fed, impliquant une continuité de la politique actuelle, serait probablement une moindre source d’incertitude.

De son côté, la Banque Centrale Européenne reste très prudente. L’amélioration conjoncturelle de l’été, avec la sortie de récession de la zone euro au deuxième trimestre et la hausse des indicateurs avancés, n’a pas modifié la perception de la BCE sur l’équilibre des risques portant sur la croissance. Si elle révise à la hausse sa prévision de 2013 en raison d’un acquis statistique plus élevé, elle baisse légèrement la projection de 2014 (à 1%). En conséquence, le biais baissier sur les taux est maintenu via la formule sur la « forward guidance ». La probabilité d’une baisse de taux refi a diminué avec l’amélioration conjoncturelle mais elle reste selon nous encore supérieure à 50%. En effet, la croissance de la zone euro va rester faible au second semestre et les obstacles à une reprise forte sont nombreux (poursuite de l’ajustement des bilans des agents privés et publics, risque pétrole, risque bancaire…). D’ailleurs, la BCE s’inquiète également des risques portant encore sur les banques et n’exclut pas la possibilité de nouvelles actions (achats d’ABS, LTRO). Si la BCE se dit prête à agir, elle pourrait être contrainte de le faire dans les mois qui viennent.

Ainsi, les banques centrales américaine et européenne se trouvent dans des situations très différentes avec d’un côté la Fed tentant de sortir dans la douceur du QE3 et la BCE qui pourrait être amenée à agir davantage, reflétant un écart significatif dans les perspectives de croissance des deux zones. Ceci plaide pour une déconnexion des taux US / zone euro et une appréciation du dollar. Pour autant, les politiques monétaires des deux zones vont rester accommodantes : il ne faudrait pas interpréter, à tort, le mouvement de la Fed comme un resserrement de sa politique monétaire.

NOTES

  1. Dove : se dit d’un membre étant en faveur d’une politique monétaire accommodante.

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