par Jean-Christophe Caffet, Camille de Williencourt, économistes chez Natixis
Elio di Rupo, le « formateur » en charge de constituer le prochain gouvernement fédéral belge, a présenté aujourd’hui la sixième réforme de l’Etat, entouré des huit partis qui ont âprement négocié cet accord au cours des dernières semaines. Qualifiée d’historique, la réforme sort enfin le pays de l’impasse politique qui le prive de gouvernement de plein exercice depuis près de 500 jours. Pour autant, les négociations socio- économiques qui doivent suivre (réforme du chômage, dépenses de santé,…) seront rendues particulièrement fastidieuses par les antagonismes idéologiques des partis engagés dans les négociations.
La crédibilisation de la trajectoire budgétaire prévue dans le Programme de Stabilité est pourtant fondamentale, comme l’a encore souligné aujourd’hui Moody’s, dans la lignée de ses homologues S&P et Fitch. Leurs craintes sont selon nous injustifiées: les hypothèses de croissance retenues par le gouvernement, relativement en ligne avec nos prévisions, rendent en effet crédible la trajectoire budgétaire belge à l’horizon 2013.
Après 500 jours d’immobilisme politique, les 8 partis engagés dans les négociations sont parvenus dans la nuit de vendredi à samedi à un accord sur les derniers points restant sur la table, permettant de boucler la sixième réforme de l’Etat belge.
Alors que les discussions semblaient une nouvelle fois bloquées sur le dossier de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), l’annonce vendredi dernier par Moody’s d’une possible dégradation de la note du pays n’a sans doute pas été étrangère à l’accélération des discussions. Si les motivations de l’agence Moody’s portaient principalement sur les incertitudes entourant le soutien à la banque Dexia, après l’annonce du déboursement de 4 milliards par le gouvernement pour acheter sa filiale belge, S&P et Fitch avaient quant à elles souligné les risques liés à l’instabilité politique lors de l’abaissement de leurs perspectives de long terme, respectivement en décembre et mai dernier 1 . Le gouvernement d’affaires courantes en exercice possède en effet des compétences limitées et ne peut mettre en place de réforme structurelle d’envergure permettant de réduire le très important stock de dette du pays, qui représentait 96,8% du PIB en 2010.
L’accord final est de taille : les régions se voient accorder des compétences élargies, notamment pour la politique de l’emploi, les allocations familiales ou encore la politique hospitalière, totalisant un transfert de compétences de 17 milliards d’euros. La nouvelle loi de financement leur confère en outre la capacité de lever une partie de l’impôt sur le revenu, à hauteur de 10,7 milliards d’euros (soit un quart des recettes totales). Ce net accroissement de l’autonomie fiscale des régions – revendication néerlandophone – est néanmoins compensé par un mécanisme de solidarité entre les régions pour empêcher tout appauvrissement des entités francophones, tandis qu’un principe de loyauté fédérale devrait limiter la concurrence fiscale entre régions. Cette décentralisation ne remet pas pour autant en cause la viabilité de l’Etat fédéral, qui conserve toutes ses prérogatives : c’est lui qui continuera de fixer les taux, les tranches de revenus ainsi que la base imposable. Autre avancée hautement symbolique, les partis ont réussi à s’accorder sur le dosser de BHV, qui cristallise les antagonismes communautaires depuis des décennies2.
Place désormais aux négociations socio-économiques…
Les accords dans les négociations institutionnelles, qualifiés à juste titre d’«historiques», ne doivent cependant pas masquer l’ampleur des efforts encore nécessaires à la formation d’un nouveau gouvernement: le bouclage du chapitre institutionnel fait en effet place aux négociations socio-économiques. Dépenses de santé, réforme du chômage ou encore financement du vieillissement seront au menu, autant de dossiers où les antagonismes idéologiques des partis de la future coalition, qui regroupe la presque intégralité du spectre politique du pays, rendront toute avancée particulièrement fastidieuse.
… afin de définir les grandes lignes du budget 2012
Plus généralement, Elio di Rupo doit encore mettre au point un accord sur la trajectoire budgétaire, afin de présenter un projet de budget 2012 en ligne avec l’objectif de déficit, fixé par le Bureau du Plan à 2,8% du PIB.
L’élaboration de ce budget ne sera pas une mince affaire : près de 10 milliards d’euros d’économies seront nécessaires dès l’année prochaine, selon les estimations du Comité de Monitoring chargé de conseiller le gouvernement sur les questions budgétaires. Le Comité, qui travaille « à législation constante », n’a cependant pas anticipé dans ses calculs les aménagements prévus par le Bureau du Plan en termes de croissance des dépenses de santé (économie de 2 milliards d’euros) ainsi que le plafonnement des intérêts notionnels3 (économie de 1 milliard).
Les prévisions de croissance du Bureau du Plan, à 2,4% en 2011 et 1,6% en 2012, étant relativement en ligne avec nos prévisions (nous tablons pour notre part sur une croissance de 2,3% en 2011 et 1,2% en 2012), c’est donc l’équivalent de 7 milliards d’économie que le gouvernement fraichement constitué devra trouver pour assurer l’objectif de déficit public pour 2012. Or la tâche sera rendue ardue par la préparation des élections communales et provinciales d’octobre 2012, qui devrait renforcer la réticence des administrations locales à mettre en place des économies d’envergure.
La crédibilisation de la trajectoire budgétaire est fondamentale
La crédibilité de la coalition sur le plan budgétaire est pourtant un enjeu majeur : après l’annonce par Moody’s de son intention de dégrader la note souveraine du pays, l’agence envisage en effet depuis aujourd’hui d'abaisser également la note de la Région wallonne, de la Région flamande ainsi que de la Fédération Wallonie-Bruxelles (ex-Communauté française)4, soulignant notamment la nécessité de connaître les plans budgétaires des régions5.
L’exercice est cependant crédibilisé par la longue expérience belge de gestion prudente des finances publiques. Les résultats budgétaires pour l’année 2010 furent d’ailleurs bien meilleurs qu’initialement prévu (avec un déficit de 4,1% du PIB contre 4,6% inscrit en loi de finances 2010), tandis que le volume de dette n’a cessé de baisser depuis 1993. La Belgique est de plus l’un des rares pays de la zone euro dont le budget est excédentaire en termes structurels primaires.
En outre, la hausse des dépenses primaires observée en 2008 et 2009 reflète principalement l’évolution des prestations sociales et de la rémunération des fonctionnaires. Or cette situation résulte plus des évolutions cycliques et du jeu des stabilisateurs automatiques que d’une hausse discrétionnaire de ces dépenses. Si le cycle électoral (élections communales en octobre 2012) devrait néanmoins soutenir les dépenses l’année prochaine, le dynamisme de la consommation privée malgré la forte inflation devrait soutenir les recettes (de TVA notamment).
Ainsi, après un déficit primaire de 0,7% du PIB en 2010, nous tablons sur un solde primaire à l’équilibre en 2011, excédentaire de 0,8% du PIB en 2012 puis de 1,9% en 2013. Malgré la forte charge d’intérêt qui grève chaque année les dépenses budgétaires, nous jugeons donc relativement crédible la trajectoire budgétaire du gouvernement (sauf dégradation plus prononcée que prévu de l’environnement et/ou choc brutal sur les taux souverains), qui prévoit un déficit de 3,6% du PIB en 2011, 2,8% en 2012, puis 1,8% en 2013.
Les incertitudes qui pèsent actuellement sur le secteur bancaire, mises en lumière en Belgique avec l’annonce du démantèlement de Dexia, pourrait néanmoins fortement impacter le coût de refinancement du pays, comme l’illustre la remontée brutale des taux au cours de la semaine dernière.
NOTES
- Voir Special Report n° 2011-58 : « Crédibilité dégradée »
- Voir Special Report n° 2011-120 : « Belgique : le spectre de la scission s’éloigne »
- Qui visent à rétablir la neutralité fiscale pour les entreprises entre le financement par fonds propres et le financement par emprunt (appliqué uniquement en Belgique).
- La Flandres est actuellement dotée de la meilleure note possible (Aaa), la région Bruxelles-Capital est notée Aa1 et la Wallonie Aa2.
- L’Entité II, qui regroupe communautés et régions et administrations locales représentait fin 2010 un encours de dette de 41 milliards d’euros (contre 310 milliards pour le pouvoir fédéral).