par Sylvain Bellefontaine, Economiste chez BNP Paribas
• Après une nouvelle contraction du PIB de 3,6% en moyenne en 2016, certains signaux de sortie de récession accréditent l’hypothèse d’un rebond très graduel de l’activité économique au cours des prochains trimestres.
• La banque centrale a désormais les coudées franches pour assouplir les conditions monétaires (« good cop » : « bon flic »). Le renforcement du real, la rapide désinflation et la baisse des taux d’intérêt sont des facteurs favorables à la reprise économique.
• Dans le même temps, l’austérité budgétaire (« bad cop » : « mauvais flic ») apparaît essentielle pour la crédibilité du policy mix.
La lumière au bout du tunnel
Le PIB réel s’est contracté pour le huitième trimestre consécutif au T4 2016 (0,9% t/t cvs). En cumul, le repli s’établit à 8,2% depuis fin 2014. La récession n’a épargné aucune composante du PIB côté demande comme côté offre. L’investissement (-1,5% pour la FBCF au T4) a fondu de 22,8% en deux ans, à seulement 16% du PIB en 2016. La consommation des ménages (-0,6% au T4 et -9,6% sur deux ans) demeure contrainte par la situation très dégradée du marché du travail. 3,6 millions d’emplois formels ont en effet été détruits en deux ans, portant le taux de chômage à 13% de la population active. Dans le même temps, la baisse des salaires réels se poursuit (encore -5,9% en glissement annuel en février), malgré la poursuite du processus désinflationniste (voir infra). Conséquence logique de la faiblesse de la demande intérieure, les importations ont baissé de 10,4% en volume en 2016. Parallèlement, les exportations ont faiblement augmenté de 1,6%.
Notre prévision d’une reprise graduelle de l’activité économique à partir du T4 2016 s’est finalement avérée optimiste. Le retour en territoire positif des ventes de détail (soutenues par un récent changement méthodologique) et de la consommation des ménages n’est pas envisagé au T1 2017. Mais les signaux positifs se sont multipliés récemment. Tout d’abord, les indicateurs de confiance des entreprises et des ménages continuent de se redresser. En février, l’économie a cessé de détruire des emplois formels nets pour la première fois depuis novembre 2014. La production industrielle (secteurs manufacturier, minier et de la construction) se redresse (+1,5% g.a. sur trois mois glissants en février), une première depuis novembre 2013.
L’industrie extractive (mines et pétrole) devrait continuer de bénéficier de la bonne orientation des prix des matières premières. L’indice PMI des responsables des achats dans le secteur manufacturier (46,9 en février) demeure inférieur au seuil de 50, ligne de partage entre contraction et expansion. Mais le taux d’utilisation des capacités de production manufacturière, toujours cinq points inférieurs à sa moyenne de long terme (81%), a légèrement augmenté en janvier et février. Le rebond observé ces derniers mois des ventes domestiques de véhicules et surtout des exportations (essentiellement vers l’Argentine) devrait stimuler la production dans les prochains mois. La reprise dans le secteur de la construction demeure plus incertaine, compte tenu de la chute du marché résidentiel après le boom des années 2007-2013, ainsi que de l’arrêt de certains projets et du gel d’appels d’offre en lien avec le scandale tentaculaire de corruption Petrobras, dont l’épilogue judiciaire n’est pas prévu à brève échéance. Enfin, après une année 2016 difficile pour le secteur agricole, l’institut statistique national (IBGE) prévoit une hausse des récoltes supérieure à 20% en 2017, notamment sur le début d’année. Le récent scandale de la « viande avariée » ne devrait avoir que des conséquences ponctuelles sur les filières bovine et aviaire dans lesquelles le Brésil est un leader mondial.
Le consensus des économistes pour le mois de mars prévoit en moyenne une croissance du PIB de 0,5% en 2017 et de 2,4% en 2018, en ligne avec le gouvernement, tandis que le FMI table sur respectivement 0,2% et 1,5%. Dans un contexte de rigueur budgétaire (voir infra), l’assouplissement de la politique monétaire devrait jouer un rôle déterminant dans la sortie de récession.
Politique monétaire : « good cop »
Malgré la faible ouverture commerciale du Brésil, l’ajustement macroéconomique a tout de même permis une consolidation des comptes extérieurs depuis 2014, soutenus depuis un an par l’amélioration des termes de l’échange liée à l’augmentation des prix des matières premières; notamment les métaux. La balance commerciale a ainsi affiché un excédent d’USD 45 mds l’an passé, un record depuis 2006. Le déficit de la balance du compte courant (USD 23,5 mds) est demeuré largement couvert par les flux nets d’investissements directs étrangers toujours très dynamiques (USD 71,1 mds) malgré la crise économique et politique. Dans le même temps, le Brésil a subi des sorties nettes d’investissements de portefeuille (-USD 19,2 mds en 2016), imputables à un désengagement des investisseurs étrangers du marché obligataire local (-USD 26,6 mds), alors que le marché actions est resté attractif (+USD 6,3 mds). Au final, le real s’est apprécié de 24% contre le dollar US depuis fin 2015 (après une chute de 33% en 2015), et la bourse de Sao Paulo s’est adjugée 47%.
Dans ce contexte, le processus désinflationniste à l’œuvre depuis un an a continué. La hausse de l’indice général des prix (IPCA) a ralenti de 10,7% g.a. en janvier 2016 à 4,6% en mars 2017, désormais en ligne avec la cible de la BCB (4,5% +/- 2pp). La BCB considère que la désinflation n’est plus uniquement liée au renforcement du real et au ralentissement de la hausse des prix alimentaires, et qu’elle affecte désormais plus largement des éléments ou secteurs plus sensibles au cycle économique et à la politique monétaire tels que les services. Après quatre baisses du taux Selic en 6 mois, de 14,25% à 12,25%, la poursuite voire l’amplification du cycle d’assouplissement monétaire apparaît plus que probable, d’autant que les anticipations d’inflation sont bien ancrées, à 4,15% pour fin 2017 et 4,50% pour 2018 et 2019.
Dans une phase de deleveraging (le ratio crédit bancaire/PIB a chuté de 4 points en un an à 48,7%), la légère baisse des taux d’intérêt prêteurs ne s’est pas encore traduite par une relance du crédit, mais elle amorce un relâchement de la contrainte financière sur les agents économiques assez lourdement endettés. En février, l’encours de crédit aux entreprises s’est contracté de 9,6% g.a. auprès des banques commerciales et de 10,1% g.a. auprès des banques de développement. Le taux de prêts commerciaux non performants à 90 jours s’est stabilisé autour de 3,5% depuis plusieurs mois, un niveau modéré compte tenu de la dégradation significative des bilans depuis 2011 et des besoins de refinancement importants, notamment en devises (plus de 50% de la dette des entreprises, Petrobras compris, est libellée en devises). Côté ménages, l’encours de crédit progresse toujours très marginalement et le taux de créances douteuses s’infléchit depuis plusieurs mois.
Au final, la baisse des taux d’intérêt réels est fondamentale pour espérer une reprise économique graduelle et durable et alléger la charge du service de la dette publique.
Politique budgétaire : « bad cop »
L’austérité budgétaire demeure nécessaire tant les finances publiques sont dégradées et leur consolidation difficile. Les déficits primaire et global ont atteint respectivement 2,3% et 8,5% du PIB sur douze mois en février, et la dette publique culmine à 70,6% du PIB. Après l’adoption en décembre de la loi sur le gel des dépenses publiques courantes réelles, le projet de réforme des retraites vient d’être présenté au parlement. Des amendements sont à prévoir et l’adoption du texte final n’est pas prévue avant septembre. Le congrès demeure divisé et la poursuite des réformes, dans l’optique des élections générales prévues en octobre 2018, est fragilisée par l’opération « Lava Jato ». Celle-ci continue de peser comme une épée de Damoclès au-dessus de l’ensemble de la classe politique. Le lancement du procès de l’ex présidente Dilma Rousseff, dans le cadre du financement de la campagne présidentielle d’octobre 2014, n’épargne pas le président Michel Temer, colistier et ex vice- président de Dilma Rousseff, qui jouit cependant de son immunité.
Se justifiant par la révision à la baisse des perspectives de croissance économique pour 2017, le gouvernement a annoncé fin mars une nouvelle salve de mesures destinées à générer BRL 58,2 mds (environ 0,9 point de PIB) d’économies supplémentaires pour respecter l’objectif de déficit primaire (BRL 139 mds). Au programme : BRL 42 mds de nouvelles coupes budgétaires (dont la moitié sur des frais de fonctionnement et le quart sur le Programme d’Accélération de la Croissance), BRL 10 mds de revenus exceptionnels générés par des concessions (notamment dans l’électricité), et BRL 6 mds de recettes fiscales supplémentaires (suppression de certaines exemptions fiscales et ajustement de la taxe sur les transactions financières).
Au total, au cours des derniers mois, une dynamique positive s’est enclenchée, mais elle demeure fragile. Une recrudescence du risque sociopolitique, l’échec des réformes ou un choc réel et/ou financier externe pourraient générer un nouvel accès de faiblesse du real et un revirement de politique monétaire, le tout renforçant in fine le risque souverain.