par Slavena Nazarova, Economiste au Crédit Agricole
• À l’automne, le Royaume-Uni et l’UE devront parvenir à un accord sur les conditions de la sortie du pays de l’UE et sur un « cadre de la future relation ».
• Selon notre scénario central, un accord de dernière minute sera finalement atteint (très probablement lors de la réunion du Conseil européen le 13 décembre) et un scénario catastrophe sera évité.
• Sans aucun doute, les risques politiques liés à notre scénario sont divers et extrêmes, et peuvent faire évoluer le processus du Brexit dans un sens ou dans l’autre. Le «vote significatif » du Parlement britannique sur l’accord définitif au sujet du Brexit représente le principal événement à risque.
• Les perspectives économiques vont rester assombries par cette incertitude politique accrue et la Banque d’Angleterre ne devrait pas relever ses taux avant le deuxième trimestre 2019.
• Nous analysons dans ce document les progrès réalisés dans les négociations, le processus de ratification de l’accord du Brexit et les scénarios de risque.
Le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) doivent finaliser l’Accord de Retrait (AR) sur les conditions du départ du Royaume-Uni et convenir du « cadre de la future relation » lors de la réunion du Conseil européen le 18 octobre 2018 au plus tard. Toutefois, ce délai officiel a de moins en moins de chance d’être respecté et risque plutôt d’être reporté à la réunion du Conseil européen les 13 et 14 décembre.
Le créneau laissé aux parlements européen et britannique pour voter sur l’accord définitif d’ici le 29 mars 2019, à savoir la date de sortie de l’UE pour le Royaume-Uni, sera extrêmement réduit. Si le Parlement britannique soulève des objections importantes au sujet de l’accord qui exigent un retour du gouvernement à la table des négociations ou la soumission de l’accord à un référendum, ou si le Parlement européen formule ses propres objections, le calendrier risque d’être irréalisable. Le Royaume-Uni sera contraint de demander une prolongation du délai de deux ans au titre de l’Article 50 (qui nécessiterait un accord unanime de l’UE-27) ou il quittera brutalement l’UE le 29 mars 2019 (à 23 h GMT) sans accord.
Selon notre scénario central, un accord sera finalement trouvé et approuvé par les législateurs. Nous sommes convaincus qu’il existe une volonté politique suffisante de la part de l’UE comme du Royaume-Uni en vue d’éviter le scénario extrême sans accord, puisqu’il serait préjudiciable pour les deux économies. Toutefois, la logique macro-économique n’a pas toujours été d’une grande aide dans les choix politiques. Du fait du calen- drier serré, il existe un risque que les tensions politiques accrues puissent aboutir à des erreurs stratégiques de la part des négociateurs, ce qui augmenterait la probabilité d’un scénario sans accord.
L’avancée des négociations
Deux documents doivent être finalisés et ratifiés avant la sortie du Royaume-Uni de l’UE le 29 mars 2019. L’un est l’Accord de Retrait, qui constitue un document juridiquement contraignant conformé- ment au droit international. Le second est une déclaration politique sur le cadre de la future relation, qui ne constituera pas un document contraignant juridiquement (mais politiquement). Un accord sur ces deux points doit être trouvé lors de la réunion du Conseil européen du 18 octobre ou de la réunion du Conseil européen des 13 et 14 décembre au plus tard.
1. L’Accord de Retrait
Plusieurs points litigieux doivent être résolus avant la finalisation d’un AR. Selon Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit pour l’UE, environ 80% des questions inhérentes à l’AR ont fait l’objet d’un arrangement. Les 20% restant à régler sont également les plus difficiles. L’AR comprend trois volets : le montant de la facture financière que le Royaume-Uni doit payer à l’UE lors de sa sortie, les droits des citoyens britanniques et européens et le statut de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Alors qu’il existe un large consensus sur les deux premiers points, la pierre d’achoppement des négociations reste la question de la frontière irlandaise.
-) La frontière irlandaise représente le principal point litigieux
Trouver une solution de dernier recours pour la frontière irlandaise représente le principal obstacle à la finalisation d’un AR officiel. L’UE a insisté pour que l’AR comporte une solution de dernier recours garantissant qu’une infrastructure physique n’est pas nécessaire, indépendamment du résultat des négociations sur la future relation (« à moins qu’une autre solution soit trouvée »). L’UE a rejeté les options proposées par le gouvernement britannique (« le nouveau partenariat douanier » et « la facilitation maximale »), jugées inapplicables. En revanche, elle a proposé une « zone réglementaire commune » entre l’UE et l’Irlande du Nord1. Le gouvernement britannique a réagi violemment à cette proposition, puisqu’elle impliquerait un traite- ment réglementaire différent entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Il espère résoudre le problème par le biais de l’accord général sur la future relation, qui éviterait de mettre en place la proposition de l’UE. Dans le plan de « Chequers » publié le 12 juillet sur la future relation, le Premier ministre Theresa May a proposé l’établissement d’un règlement commun pour les marchandises entre l’UE et le Royaume-Uni couvrant « seulement les règles nécessaires pour assurer un commerce sans friction à la frontière » et un « accord douanier facilité » similaire à sa proposition initiale. La proposition a peu de chances d’être acceptée par l’UE telle quelle, car elle revient à choisir à la carte parmi les droits et devoirs de l’UE, mais elle pourrait servir de base aux négociations.
L’UE a insisté pour parvenir à une solution de dernier recours viable pour l’Irlande, indépendamment des autres aspects de la future relation. Une solution possible pourrait combiner à la fois le plan de Chequers en vue d’un règlement commun sur les marchandises et la proposition britannique de juin en vue d’un « accord douanier temporaire » entre le Royaume-Uni et l’UE.
-) Une prolongation de la période de transition est inévitable
Sur la base du projet existant d’accord de retrait, le Royaume-Uni quittera les institutions de l’UE le 29 mars 2019 et continuera d’appliquer ses règles au cours de la période de transition/mise en œuvre jusqu’au 31 décembre 2020 au plus tard. Cela ne laisse que vingt-et-un mois pour négocier les modalités de la future relation et les transposer dans la législation, réaliser des progrès suffisants dans le processus de ratification et appliquer les nouvelles procédures douanières simplifiées. Au cours de cette période de transition, le Royaume-Uni continuera d’être considéré comme un État membre de l’UE, mais sans droits de représentation et de vote au sein des organes de décision de l’UE. Les élections du Parlement européen en mai 2019 vont sensiblement réduire le temps disponible pour des négociations importantes à environ quinze/seize mois. Par conséquent, le principal comité pour le Brexit de la Chambre des Communes a recommandé que le gouvernement demande à inclure dans l’AR un mécanisme de prolongation de la période de transition.
-) Le gouvernement britannique tient à subordonner le règlement de la facture financière à un accord satisfaisant sur la future relation
Le Royaume-Uni a accepté de régler une facture financière estimée entre 35 milliards et 39 milliards de livres, juridiquement contraignante conformé- ment au droit international une fois l’AR ratifié par toutes les parties. En revanche, un accord juridique- ment contraignant sur la future relation du Royaume-Uni ne peut être convenu qu’une fois le Royaume-Uni devenu pays tiers. Si le gouvernement britannique souhaite subordonner le règlement de la facture financière à l’obtention d’un accord contraignant sur la future relation, comme a indiqué Dominic Raab, le nouveau ministre de la Sortie de l’UE (« ministre du Brexit »), il devra obtenir l’accord des UE-27 pour insérer une clause à l’AR à cet effet.
2. La Déclaration Politique (DP)
La DP va définir le cadre de la relation future entre le Royaume-Uni et l’UE comme le prévoit l’Article 50 (2). En l’absence de consensus sur le cadre futur, l’AR deviendra un simple accord de sécession, mettant fin effectivement aux droits du Royaume-Uni et à ses obligations envers l’UE. La période de transition ne fera que différer, mais n’empêchera pas un Brexit catastrophe.
-) Désaccords sur le format et le niveau de détail de la DP
La question du format de la DP reste à résoudre2. L’UE envisage de laisser la Déclaration en tant que document distinct de l’AR. Toutefois, l’AR peut être considéré comme un accord mixte qui exigera la ratification de tous les États membres. En revanche, le Royaume-Uni souhaite considérer l’AR et la DP comme un ensemble unique intégral exigeant un vote d’approbation avant son entrée en vigueur. Le Royaume-Uni craint d’avoir moins de poids dans les négociations, une fois qu’il sera devenu un pays tiers et tient à obtenir le niveau maximal de substance dans la DP de la future relation. La Chambre des Communes a exigé que la DP soit officiellement annexée à l’AR « afin de donner plus de force à son contenu ».
Les communiqués de presse ont suggéré que les responsables européens seraient enclins à accep- ter un Brexit « flou » (« fudge » Brexit) selon lequel ils se mettraient d’accord sur une Déclaration Politique rédigée dans des termes vagues et sur une intention de régler le problème de la frontière irlandaise au cours de la période de transition, afin de favoriser la mise en place du Brexit dans la douceur. À notre avis, une telle issue risque d’être rejetée au Parlement britannique. La Chambre des Communes a bien précisé qu’elle attendrait un « niveau de détail élevé » dans la DP, si elle devait donner son accord à l’AR et à la DP. Elle a déclaré qu’un « accord mutuellement acceptable pour la relation douanière » entre le Royaume-Uni et l’UE serait décisif pour apporter des précisions au cadre futur.
-) Le plan de Chequers
Le Royaume-Uni a détaillé sa proposition pour la future relation dans le Livre Blanc publié le 12 juillet, surnommé le plan de Chequers. Ce plan a provoqué la démission de plusieurs ministres favorables au Brexit, notamment David Davis, le ministre chargé de négocier la sortie du Royaume-Uni, et Boris Johnson, le ministre des Affaires étrangères, dans la mesure où ils ont jugé la proposition trop conciliante. Le plan de Chequers présente les principales caractéristiques suivantes :
Règlement commun pour les marchandises
Le Royaume-Uni propose de suivre les règles de l’UE sur les marchandises, y compris sur les produits agroalimentaires, qui sont nécessaires pour maintenir un commerce sans friction à la frontière.
« Accord douanier facilité »
Comme dans un territoire douanier combiné avec l’UE, le Royaume-Uni utiliserait un système de double perception, appliquant les droits de douane et la politique commerciale de l’UE aux marchandises destinées à l’UE et ses propres droits de douane et sa politique commerciale aux marchandises destinées à la consommation au Royaume-Uni. Si la destination des marchandises ne peut être prouvée par le commerçant agréé, il réglera le plus élevé du droit de douane britannique ou du droit européen, avec la possibilité d’un remboursement si le fait que la destination des marchandises présentent des droits de douane inférieurs est prouvée ultérieurement.
Autonomie réglementaire dans les services
Le Royaume-Uni reconnaît que l’UE et le Royaume- Uni ne bénéficieront pas du même niveau d’accès à leurs marchés respectifs des services. Le Royaume-Uni a abandonné sa proposition initiale en vue d’une reconnaissance mutuelle et souhaite désormais maintenir une autonomie dans la prise de décision. Le commerce des services financiers sera fondé sur des régimes d’équivalence pour les pays tiers, dont le Royaume-Uni souhaite étendre davantage la couverture.
-) La réponse de l’UE : un ton plus conciliant, mais encore beaucoup à faire
À première vue, le plan de Chequers semblait séduisant pour l’UE, compte tenu de l’avantage concurrentiel que l’Union détient dans le commerce de marchandises avec le Royaume-Uni. Toutefois, diverses raisons expliquent pourquoi l’UE est peu susceptible de l’accepter, suggérant que les négociations vont sans doute rester difficiles dans les semaines à venir.
Dans son discours qui a suivi la publication du Livre Blanc britannique, Michel Barnier n’a pas rejeté catégoriquement la proposition du Royaume-Uni et a salué le document qui a le mérite de fournir une base à la poursuite des discussions en vue d’un AR. Cependant, il a également insisté sur le fait que la future relation serait définie par les limites de l’UE, clairement incompatibles avec la proposition de Theresa May. Au sujet du règlement commun sur les marchandises, il a critiqué la proposition des Britanniques, en ce qu’elle évoque la possibilité pour le Royaume-Uni de s’écarter des règles de l’UE, non contrôlées aux frontières. Il juge l’accord douanier proposé trop complexe, donnant lieu à une bureaucratie accrue et à un risque de fraude élevé.
Une réponse officielle des États membres de l’UE est attendue au sommet de Salzbourg les 19 et 20 septembre. Selon les communiqués de presse, l’UE revoit également sa proposition concernant la solution de dernier recours.
Autre motif de désaccord du côté de l’UE : la relation spéciale visée par le Livre Blanc ne respecte pas l’équilibre des droits et des obligations des partenariats européens existants avec les autres pays tiers. Par exemple, le plan du Chequers présente de nombreuses similarités avec le partenariat de l’UE avec la Suisse, caractérisé par un alignement avec la réglementation européenne dans les secteurs des biens et un défaut d’accès au marché unique des services. Toutefois, la Suisse est soumise à la libre circulation des personnes et verse des contributions financières au budget de l’UE. En outre, la structure de l’Accord d’Association proposée par le Royaume-Uni est semblable à celle de la relation de l’UE avec la Suisse, puisqu’elle se compose de plusieurs accords bilatéraux. L’UE a bien précisé qu’elle ne souhaitait pas reproduire cette structure du fait de sa complexité, et tente déjà de modifier l’accord avec la Suisse. Parallèlement, les pays membres de l’Espace économique européen (EEE), tels que la Norvège, ont l’impression que le Royaume-Uni obtiendrait un accord plus favorable en termes d’équilibre des droits et des obligations, ce qui risque de menacer l’existence de l’EEE.
L’UE a exprimé clairement que l’indivisibilité des quatre libertés et le cas particulier de la frontière irlandaise impliquaient que le Royaume-Uni devait choisir parmi les « modèles standards » de partena- riats européens existants. Eu égard aux « lignes rouges » actuelles du Royaume-Uni (fin de la libre circulation des personnes, contributions limitées au budget de l’UE, indépendance vis-à-vis de la CJUE, politique commerciale indépendante), la seule option possible est un accord de libre-échange (modèle canadien), qui prévoit le libre-échange dans la plupart des secteurs de marchandises, mais une intégration très faible des services (Brexit «dur»). L’Irlande du Nord serait régie par un régime distinct défini dans la proposition de dernier recours de l’UE. L’autre solution consiste en un accès total au marché unique (adhésion à l’EEE) associé à une union douanière (Brexit doux). Mais ce scénario nécessiterait un changement majeur dans la position officielle du Royaume-Uni.
Processus de ratification de l’accord du Brexit
Au cours du premier trimestre 2019, les législateurs de l’UE et du Royaume-Uni doivent approuver l’accord définitif du Brexit.
-) Du côté de l’UE
L’approbation de l’UE exige un vote à la majorité simple au Parlement européen et un vote à la majorité qualifiée renforcée au Conseil européen (72% des États membres, à savoir 20 sur les 27 États membres restants, comprenant 65% de la population de l’UE). L’accord du Parlement euro- péen est en fait nécessaire avant que l’AR puisse être conclu par l’UE, conférant au Parlement européen un droit de veto juridiquement contrai- gnant sur l’AR. Si le Parlement européen rejetait l’accord, cela nécessiterait une prolongation des négociations.
-) Du côté du Royaume-Uni
Du côté du Royaume-Uni, l’approbation exige un vote à la majorité simple à la Chambre des Communes sur l’AR et la DP (le « vote significatif »). Ce vote représente un événement à risque important (comme évoqué dans les scénarios à risque ci-dessous). Le Parlement britannique aura l’opportunité de débattre de la motion sur l’AR et la DP et de soumettre ses propres conditions à l’approbation. Il pourrait demander au gouverne- ment de renégocier les conditions, si l’UE accepte de le faire. Selon l’Institute for Government, le vote constituera « à la fois le point de vulnérabilité maximale pour le gouvernement et le point d’op- portunité maximale pour les parlementaires qui souhaitent influencer le cours des événements ». Avant la date de sortie, le Parlement britannique devra également se prononcer sur le projet de loi de transposition de l’accord de retrait (« the Withdrawal and Implementation bill), qui intégrerait l’accord du Brexit dans la législation britannique, et finaliser les procédures en vue de la ratification du traité.
Notre scénario central
Notre scénario central repose sur l’hypothèse que le Royaume-Uni va parvenir à un accord sur l’AR et la DP d’ici la fin de l’année. Le cadre de la future relation défini dans la DP reposerait sur le plan de Chequers : un Accord d’Association comprenant un accord de libre-échange (ALE) pour les aspects du partenariat économique. Les modalités de l’ALE (libre-échange des marchandises et seulement un accès partiel au marché unique pour les services) et les autres aspects de l’Accord d’Association seront négociés dans les détails une fois que le Royaume-Uni aura quitté l’UE le 29 mars, à savoir pendant la période de transition elle-même. La période de transition actuelle de vingt-et-un mois va sans doute s’avérer trop courte. La possibilité de la prolonger au-delà de l’échéance actuelle de décem- bre 2020 sera vraisemblablement incluse dans l’AR.
Un autre scénario pour la future relation consisterait en une adhésion à l’EEE et une union douanière avec l’UE. Toutefois, nous pensons qu’un tel revirement dans la position officielle de Theresa May est peu probable à court terme, en raison de la forte opposition de la frange eurosceptique du Parti Conservateur et du risque d’une destitution de Theresa May du poste de Premier ministre suivie d’une course à la direction au sein du Parti conservateur. Une participation à part entière au marché unique n’a pas non plus la faveur du Parti Travailliste. Un Brexit doux n’est pas inconcevable toutefois, mais il n’interviendrait qu’après une crise politique majeure, comme expliqué plus bas.
Les scénarios de risque
Le vote du Parlement britannique fin 2018/début 2019 sur la motion concernant l’AR et la DP constitue le principal événement à risque. Il s’annonce comme un « vote significatif ». Selon l’Institute for Government, il représentera davantage qu’une réponse par « oui ou non ». En effet, le Parlement sera en mesure de déposer des amendements et d’obliger le gouvernement à retourner à la table des négociations à Bruxelles, si l’UE est prête à reprendre les négociations.
Dans l’hypothèse d’un soutien total du Parti Conservateur et du DUP, le gouvernement britannique disposerait de 324 voix (excepté celle du vice- président conservateur). En théorie, ce nombre devrait être juste suffisant pour permettre à Theresa May de faire adopter l’accord, puisqu’elle a besoin d’une majorité simple de 320 voix.
Toutefois, le Parti Conservateur est extrêmement divisé : il existe environ une douzaine de députés conservateurs favorables à l’UE d’une part, et environ 80 adeptes du Brexit « dur » d’autre part. Les députés frondeurs de part et d’autre pourraient s’opposer à l’accord définitif. Dans ce cas, Theresa May devra gagner le soutien des partis de l’opposition, afin de faire adopter l’accord. Un petit nombre de frondeurs au sein du Parti Travailliste est susceptible d’apporter leur soutien à Theresa May. Mais la majorité de l’opposition va sans doute rejeter tout accord négocié par le Parti Conservateur.
L’opposition va probablement demander des modifications de l’accord en faveur d’une version plus « douce » du Brexit (notamment une union douanière avec l’UE) et pourrait obliger le gouvernement britannique à retourner à la table des négociations, renforçant ainsi la nécessité de pro- longer les négociations. Une réaction plus agres- sive de l’opposition à l’accord pourrait avoir des incidences multiples : elle risque de se traduire par une lutte pour le pouvoir et une division du Parti Conservateur, des élections législatives anticipées, un second référendum, une absence d’accord ou un recours à l’adhésion à l’EEE à la dernière minute afin d’éviter une sortie brutale de l’UE sans accord.
– La prolongation des négociations pour- rait devenir inévitable
Une prolongation des négociations semble le plus probable de ces scénarios de risque, compte tenu du délai très court et de la très forte probabilité que le Parlement britannique exige des amendements en faveur d’un Brexit plus « doux » que celui négocié par le Premier ministre Theresa May (notamment une union douanière avec l’UE). Le Comité de la Chambre des Communes chargé du Brexit demande déjà au gouvernement de solliciter « une prolongation limitée de la période prévue par l’Article 50 », tout en reconnaissant qu’il n’est en aucun cas certain que l’UE réponde favorablement à cette requête. Une prolongation nécessiterait l’accord unanime du Conseil européen.
– Course à la direction du Parti conservateur : Theresa May a encore une chance de gagner
Si Theresa May ne parvient pas à obtenir un accord avec l’UE d’ici la fin de l’année ou perd le vote parlementaire sur l’accord de retrait, cela aboutira très probablement à sa démission et à une course à la direction au sein du Parti conservateur. Déclencher une course à la direction est en pratique très facile, puisque cela nécessite seulement 15% des députés conservateurs (48 députés) pour entraîner un vote de confiance du Premier ministre. Dans le cas où un vote de confiance est déclenché, une majorité simple au sein du Parti Conservateur est nécessaire pour obliger Theresa May à démis- sionner. Comme les partisans du Brexit « dur » sont bien loin d’atteindre la majorité au sein du Parti Conservateur, elle pourrait bien rester à la tête du parti. Ce scénario pourrait donc aboutir à davantage de concessions à l’UE et accroître la probabilité d’un Brexit doux.
Cependant, il est possible que le successeur de Theresa May soit un eurosceptique : parmi les principaux candidats à la direction du Parti Conservateur, citons Michael Gove, Boris Johnson et Dominic Raab. Si un partisan du Brexit « dur » l’emportait, il pourrait bloquer les négociations au sein de l’UE et entraîner une sortie du Royaume-Uni sans accord. Toutefois, selon nous, il est plus probable que cela provoquerait une grave crise politique, obligeant le gouvernement à démissionner et nécessitant l’organisation de nouvelles élections législatives début 2019.
– Élections législatives : les Conserva- teurs devraient faire tout leur possible pour éviter ce cas de figure
Conformément à la loi Fixed Terms Parliaments Act de 2011, des élections législatives ne peuvent être tenues que si une majorité de deux tiers de l’ensemble des 650 députés vote en faveur de la dissolution du parlement, ou si le gouvernement tombe en raison d’une motion de censure et qu’aucun nouveau gouvernement n’est formé après quatorze jours. Au regard de l’état actuel des sondages3, le Parti Conservateur n’est pas incité à voter pour la dissolution du Parlement, puisqu’il courrait le risque de perdre l’élection en faveur du Parti Travailliste. Toutefois, du fait de la réalité de l’arithmétique parlementaire, le gouvernement pourrait aisément être tenu en échec dans le cadre d’une motion de censure.
Actuellement, les sondages n’indiquent aucune victoire nette pour l’un ou l’autre des principaux partis : un Parlement sans majorité constituerait le donc résultat le plus probable en cas d’élections anticipées. Une grande incertitude règne quant à savoir quel parti serait apte à former un gouvernement. Les scénarios de Brexit qui en résultent sont donc multiples : absence d’accord (Parti Conservateur dirigé par un eurosceptique), adhé- sion à l’EEE (gouvernement favorable à l’UE), second référendum (coalition menée par le Parti Travailliste avec les LibDem et le SNP) ou même un revirement complet sur la question du Brexit. Là encore, dans l’éventualité d’élections législatives anticipées, le Royaume-Uni serait contraint de demander à l’UE une prolongation des négociations, ce qui n’est en aucun cas garanti.
– Une adhésion possible à l’EEE, mais une crise politique est le prix à payer
Il n’existe actuellement aucune majorité en faveur de l’adhésion à l’EEE au Parlement britannique (solution à la norvégienne), en raison de toutes les obligations associées : le Royaume-Uni serait contraint d’appliquer l’ensemble de la réglementation européenne mais sans avoir son mot à dire ; la libre circulation des personnes, ainsi que les contributions substantielles au budget de l’UE resteraient applicables. Un revirement de la position officielle de Theresa May en faveur de ce scénario est donc peu probable dans le cadre de la situation politique actuelle. Même s’il peut s’avérer utile pour aboutir à un accord avec l’UE, un tel changement de posture de la part de Theresa May est susceptible d’aggraver la crise politique au Royaume-Uni : la Première ministre pourrait s’exposer à une lutte pour le pouvoir au sein du Parti Conservateur, qu’elle risque de perdre. Toutefois, en cas de victoire dans une éventuelle course à la direction au sein du Parti conservateur (une majorité simple est nécessaire), l’adhésion à l’EEE a des chances de devenir une réelle possibilité. Elle pourrait aussi constituer une solution de dernière minute, si aucun autre accord n’était trouvé.
– Absence d’accord : un risque suscepti-ble de se produire « par accident »
Conformément à l’Article 50 du Traité de Lisbonne, les traités de l’UE cesseront de s’appliquer au Royaume-Uni à la date d’entrée en vigueur de l’Accord de Retrait ou, à défaut, deux ans après la notification du Brexit, à moins d’une prolongation de ce délai. Nous sommes convaincus que l’absence d’accord représente un scénario relativement peu probable. Toutefois, comme nous l’avons vu dans les scénarios de risque évoqués plus haut, un Brexit sans accord pourrait se produire « par accident » : si Theresa May ne parvient pas à un accord avec l’UE dans les délais, si une éventuelle course à la direction au sein du Parti conservateur est remportée par un eurosceptique, si le Parlement britannique vote contre l’accord définitif et que cela entraîne des élections législatives, etc. Cependant, la grande majorité du Parlement britannique étant opposée à une sortie de l’UE sans accord, l’éventualité de ce scénario catastrophe pourrait dissuader de nombreux députés de voter contre l’accord final dans un laps de temps aussi restreint.
– Un second référendum : une option non retenue chez les partis politiques
La probabilité d’un second référendum est très faible, à notre avis. Le Parlement serait contraint de voter pour en organiser un et, hormis les Libéraux-démocrates, aucun parti au sein du Parlement britannique ne se prononce en faveur d’un second référendum. Celui-ci accroîtrait l’incertitude politi- que, alors que le temps presse et a peu de chances de se révéler très utile. Bien que les sondages affichent une nette tendance en faveur du « Bregret », l’écart avec ceux qui persistent à croire que le Brexit était la bonne décision est toujours très faible (+3% selon YouGove). Il est donc très probable que le résultat d’un second référendum, s’il voyait le jour, soit de nouveau serré.
Un second référendum pourrait devenir une possi- bilité plus envisageable en cas d’élections législatives et de changement de gouvernement. Si, en conséquence, le Royaume-Uni souhaitait faire marche arrière et rester au sein de l’UE, le Premier ministre devrait envoyer une notification à l’UE avant le 29 mars 2019. Après cette date, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers et devra soumettre de nouveau une demande d’adhésion à l’UE conformément à l’Article 49 du TUE.
NOTES
- Protocole sur l’Irlande/l’Irlande du Nord inclus dans l’Accord de Retrait du 19 mars 2018
- La Déclaration Politique ne constituera pas un traité. Le fondement juridique des négociations sur la conversion de la DP sur la future relation en un traité juridiquement contraignant sera l’Article 218 du TFUE, qui s’applique aux relations avec les pays tiers. Par conséquent, les négociations sur une future relation ne peuvent être conclues et ratifiées qu’après la sortie du R-U de l’UE. (Source : Parlement britannique)
- Selon le dernier sondage sur les intentions de vote réalisé par YouGov (30-31 juillet), les Conservateurs et les Travaillistes sont à égalité à 38%. Par ailleurs, 40% des sondés n’ont aucune préférence pour May ou Corbyn au poste de Premier ministre.