par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
Vendredi 24, lorsque le résultat du référendum britannique a été connu, les marchés financiers se sont ajustés à la baisse. Le sterling a décroché nettement et les marchés boursiers ont chuté fortement et partout en Europe le secteur bancaire a été pénalisé. Sur les marchés de taux d’intérêt il y a a eu beaucoup de mouvements notamment sur les taux américains, les États Unis servant de zone refuge avec une hausse du billet vert alors que les interrogations s’accentuent sur l’Europe et sa construction institutionnelle. Ces mouvements vont ils s’accentuer ?
Il y a plusieurs questions à discuter.
L’analyse macroéconomique a t elle changé durant le week-end ?
Non la perception d’un choc fort sur le Royaume Uni est toujours d’actualité si la sortie se matérialise effectivement. La diffusion de celui ci sur le reste de l’Europe est toujours un facteur important mais sans être un élément de rupture dans le cycle européen.
En d’autres termes, les indicateurs économiques au RU vont converger vers des mesures plus basse avec notamment un risque de récession Les marchés financiers devront prendre celui-ci en compte. Cela n’est probablement pas totalement dans les cours et l’intégration de cette perception se fera dans la durée mais sans nécessairement se traduire par des ruptures dans le profil des indicateurs financiers.
L’analyse du risque a–t-elle changé ?
C’est cette partie là qui est importante. Vendredi la surprise était forte. La conjonction d’un risque économique important et d’anticipations prises en défaut s’est traduite par un ajustement financier majeur avec des mouvements forts sur le secteur bancaire notamment.. Le secteur bancaire avait progressé avec l’idée d’une défaite du Brexit, il s’est retourné avec le résultat du référendum.
Ce risque ne s’est pas amplifié durant le week-end même si l’on a noté un timing différencié sur la négociation puisque l’Union Européenne veut aller vite alors que les autorités britanniques veulent prendre leur temps jusqu’à la désignation d’un nouveau premier ministre a l’automne. Il n’est pas apparu de risque systémique susceptible à court terme de provoquer des arbitrages brutaux. Contrairement au choc Lehman il n’y a pas la perception de la disparition, même temporaire, d’une classe d’actif comme cela avait été le cas avec les ABS. Le prix de ces actifs avait chuté de façon spectaculaire (tendant vers 0) créant des déséquilibres majeurs dans les portefeuilles des investisseurs (les investisseurs avaient dans leur portefeuille des parts importantes d’ABS. La rupture sur les prix de ces actifs partout dans le monde a créé un choc global obligeant à ajuster et à arbitrer les portefeuilles très brutalement au risque de créer des sources importantes d’illiquidité).
Rien de tel n’est apparu ici. La livre sterling s’est fortement déprécié reflétant les perspectives très différentes sur l’économie britannique. Les marchés d’actions ont reculé mais avec une explication rationnelle notamment du côté du secteur bancaire. En conséquence, la persistance du choc sera moindre que le lors du choc Lehman. En outre les banques centrales ont été claires sur leur capacité à intervenir pour soutenir les marchés financiers et éviter toute rupture. C’est là où tout va se jouer. Les banques centrales ont la volonté d’éviter les ruptures au sein de l’économie globale. Si rupture il y a elles viendront principalement du secteur bancaire dont la géographie est remise en cause par le résultat du référendum.
L’arbitrage sera donc davantage microéconomique notamment dans le secteur bancaire puisque c’est a priori le secteur qui sera le plus pénalisé, à court terme, par le Brexit puisque les opérations en euro ne pourront plus fonctionner de la même façon. Le FT parlait déjà de déplacement d’activité dans le secteur bancaire vers le vieux continent. (Voir ici http://on.ft.com/28XzmFW).
Aux banques centrales de veiller à ce que ces ajustements ne se transforment pas en rupture.
Le risque ne s’est donc pas accentué globalement mais l’on commence à avoir une idée plus précise sur la façon dont les choses vont se passer.
Les anticipations n’ont pas encore intégré le changement de paradigme économique qu’entraine la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne. Cela implique que l’on doit continuer d’attendre des pressions à la baisse sur le sterling et sur les indicateurs boursiers britanniques plus qu’européens (attention néanmoins au secteur bancaire).
Le risque est désormais principalement politique.
Les autorités britanniques ont indiqué ne pas vouloir se précipiter pour demander leur sortie et l’application de l’article 50. David Cameron a dit qu’il n’irai pas dans ce sens et qu’il laissait à son successeur le soin de le faire à l’automne prochain. Boris Johnson le potentiel futur premier ministre et leader des partisans du « Leave » ne semble pas pressé, conscient qu’il s’est peut être piégé tout seul en étant potentiellement celui qui ferait basculer le Royaume Uni de l’autre côté de la force. Il veut conserver tous les avantages de l’UE (marché unique, mouvements de biens et de personnes) mais sans la contrainte de Bruxelles pour organiser notamment la question migratoire. Il ne semble pas non plus pressé de se déclarer sur l’article 50. (Voir son article hier dans le Telegraph ici ).
L’incertitude est principalement politique car dans le même temps les européens veulent aller vite avec néanmoins des nuances entre la France et l’Allemagne.
C’est ce dossier politique qui sera intéressant à suivre car il a des implications dans le fonctionnement de l’UE et il ne faudrait pas non plus que le dossier anglais paralyse durablement son fonctionnement. Cela se traduirait alors par des pressions supplémentaires de sorties au sein d’autres pays de l’Union et ceci n’est pas souhaitable.
La partie économique et financière est un ajustement de prix relatif. Potentiellement le Royaume Uni a une allure plus dégradée que ce qui était anticipé, le « prix » du Royaume Uni doit être ajusté mais sans que cela crée forcément de rupture. De la volatilité il y aura en raison des incertitudes qui demeurent, notamment sur le secteur bancaire, des sur-ajustements sont probables mais pas de rupture.