Budget sous influence

par Alexandra Estiot, Thibault Mercier et Jean-Luc Proutat, économistes chez BNP Paribas

En dépit d'une conjoncture dégradée, la France maintient le cap de la rigueur et du retour à 3% de déficit public sur PIB à l'horizon 2013. Elle devra pour cela engager un effort largement inédit de réduction de EUR 40 milliards ou 2 points de PIB de son déficit structurel. Est-ce crédible ?1.

Certains objectent que l'accent mis sur les hausses d'impôts (les deux tiers de l'effort) plutôt que sur la réduction des dépenses fait courir un risque pour la croissance, rendant l'objectif impossible à atteindre. Une étude récente du FMI amène néanmoins à nuancer ce point de vue2. A court terme, les hausses de taxes, parce qu’elles peuvent être en partie compensées par une désépargne, ont moins d’effet sur l’activité que les économies de dépenses. C’est sans doute vrai en France, où le poids des transferts est élevé. A plus long terme, toutes les études convergent pour dire que la réduction des dépenses est plus efficace ; mais le dosage adopté vise 2013 et ne présume pas de l’avenir. En outre, le gel des dépenses en valeur de l’Etat (hors charge d’intérêts et pensions) annoncé dans le projet de loi de finances peut difficilement être tenu pour du laisser-aller.

Au-delà de la manière de faire, c’est bien du réalisme des hypothèses macroéconomiques fondant le retour à 3% de déficit public sur PIB dont il est question. Le gouvernement table sur 0,8% de croissance en 2013, notre propre estimation étant de moitié inférieure (0,4%). Il y aurait donc un manque à gagner d’environ EUR 4 milliards, ou 0,2 point de PIB. En fait, rien ne se décide vraiment à Paris. Pour étayer son chiffre, Bercy table sur une reprise assez sensible de la demande mondiale adressée à la France (+4,9% en 2013 contre +1,5% seulement en 2012). Or la moitié des pays de l’Union européenne, où partent 60% exportations, sont en récession. Le Sud (Italie, Espagne Portugal, Grèce) compte à lui seul autant qu’Etats-Unis, Chine et Japon réunis. La capacité de l’économie française à retrouver le chemin de la croissance est donc indissociable de la trajectoire empruntée par ses grands voisins. Il faudra, notamment, que la récession s’atténue puis laisse place à la croissance, dans la plupart des pays d’Europe pour qu’en France l’objectif des 3% soit tenu. Ce qui amène à discuter du bon dosage de la rigueur bien au-delà des frontières.

Le gouvernement espagnol a justement dévoilé la semaine dernière un budget 2013 d’une grande rigueur. En comptant les mesures déjà annoncées courant 2012 et qui auront un effet sur l’exercice 2013, 40 milliards d’euros d’économies (4% du PIB) sont au programme pour ramener le déficit public à 4,5% du PIB. L’effort se répartit à peu près équitablement en réduction des dépenses et de hausse de la fiscalité. En particulier, les dépenses ministérielles dans leur ensemble vont baisser de 8,9% par rapport à 2012. Seules les pensions vont augmenter.

Comme en France, la crédibilité de l’ajustement se heurte à l’hypothèse de croissance retenue. En tablant sur une récession de 0,5% en 2013, le gouvernement est environ 1 point au-dessus du consensus (à -1,5%). Un autre facteur, plus spécifique à l’Espagne, nourrit également le scepticisme : 70% de la réduction du déficit des administrations publiques repose sur les régions. Ces dernières contrôlent environ 40% des dépenses totales et ont, notamment, la responsabilité de l’éducation et la santé. Le contrôle des dépenses se révèle une tâche ardue pour l’administration centrale. Par ailleurs, le degré élevé de décentralisation s’accompagne d’un fédéralisme relativement faible, générant des situations asymétriques qui, en période de crise, exacerbent les revendications nationalistes. Le gouvernement catalan, par exemple, dénonce le système de redistribution des recettes fiscales et s’apprête à organiser un référendum d’autodétermination après les élections anticipées du 25 novembre.

De manière plus générale, l’ajustement budgétaire espagnol est rendu d’autant plus difficile qu’il s’accompagne d’un changement de modèle de croissance. Ce dernier passe par la reconquête de la compétitivité et implique, dans un premier temps, une baisse du pouvoir d’achat et donc de la demande intérieure. En ce sens, le rééquilibrage des comptes externes (le déficit commercial est passé de 8,7% du PIB en 2007 à 2,4% au T2 2012) pèse sur celui des comptes publics.

En Europe, le respect des objectifs budgétaires a été, ces derniers temps, d’autant plus difficile que la synchronisation de l’austérité a pesé à la fois sur la demande intérieure et extérieure. Un rebond hors zone euro serait donc particulièrement bienvenu. À cet égard et même s’il est probablement encore trop tôt pour céder totalement à l’optimisme, le cycle manufacturier mondial semble être en train de se retourner. En septembre, le PMI manufacturier s’est inscrit en hausse pour la première fois depuis quatre mois. Certes, la progression s’est limitée à +0,9 point et l’indice s’est maintenu en deçà du seuil de 50. Il n’en reste pas moins que la situation a cessé de se détériorer, comme en témoigne la hausse assez prononcée de la composante des nouvelles commandes (1,4 point). Pour le moment, l’Allemagne et les États-Unis montrent la voie. Ce dont on peut se réjouir : ces deux pays sont les plus gros exportateurs de biens d’équipement. Que l’investissement des entreprises retrouve enfin des couleurs au niveau international, et la croissance auto-entretenue que nous attendons depuis si longtemps ne tardera pas à arriver.

NOTES

  1. Le projet de loi de finances fera l’objet d’une étude dans un prochain numéro d’Eco-Week.
  2. Cf. FMI, Fiscal Monitor, Fiscal Multipliers in Expansion and Contraction, Avril 2012.

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