par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Devenir propriétaire de son logement a toujours été considéré comme un investissement de bon père de famille. Certes, il ne procurait pas de revenu mais représentait au moins un placement sûr : les prix ne connaissaient qu’une direction, la hausse, et à un rythme suffisant pour se protéger contre l'inflation. Une fois leur prêt hypothécaire remboursé, les ménages disposaient ainsi d'un logement presque gratuit, une première étape dans la préparation de leur retraite. Aux Etats-Unis, cette idée s'est trouvé renforcée par l'éclatement de la bulle Internet en 2000. A cette époque, les pertes subies sur le marché des actions ont été atténuées par le fait que le patrimoine des ménages se composait essentiellement d'actifs immobiliers.
Au cours de la dernière décennie, les choses ont dérapé et des bulles immobilières se sont formées dans de nombreux pays développés. Il est encore difficile de déterminer à quel moment précisément les prix ont commencé à augmenter à un rythme trop rapide. En Espagne, Irlande et en Australie par exemple, la croissance vigoureuse du PIB, la baisse du taux de chômage, la hausse de l'immigration nette et l'augmentation du PIB par habitant étaient autant d’éléments plaidant en faveur d’une hausse (soutenue) des prix de l'immobilier. Comme l'a dit un jour Alan Greenspan, « il est très difficile d'identifier une bulle avant que son explosion ne confirme sa préexistence. »
Dans les pays développés, et à l'exception notable du Japon et de l'Allemagne, les prix de l’immobilier ont augmenté très rapidement au cours de la dernière décennie, avec un point culminant en 2006-07. En moyenne, entre 1999 et 2007, les prix des logements dans les pays de l'OCDE ont augmenté de 83,5 % en termes nominaux et de 54,7 % en valeur réelle. Huit pays ont enregistré des hausses nominales supérieures à 100 % : Australie, Espagne, France, Irlande, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, et Suède.
Tous les pays n'ont cependant pas été exposés à une bulle telle que définie par Alan Greenspan. Certains, après avoir enregistré des hausses de prix très importantes, n'ont pas subi (certains ajouteraient « pas encore ») de correction par la suite : entre 2007 et 2009, les prix de l'immobilier ont progressé de 8 % (en valeurs nominales) en Australie et de 4,9 % en Suède, par exemple. A l'inverse, aux Etats-Unis, l'éclatement de la bulle immobilière a eu des effets dévastateurs.
Jusqu'à présent, l'ajustement des prix de l'immobilier a été particulièrement spectaculaire aux Etats-Unis, en Irlande et au Royaume-Uni, plus modéré en Espagne, alors qu’il a déjà pris fin (ou s’est temporairement interrompu) en Islande et en France et a été inexistant ailleurs. D'après Reinhart et Rogoff1, l'éclatement des bulles immobilières entraîne une baisse moyenne de 35,5 % des prix réels de l'immobilier. En Irlande et aux Etats-Unis, la baisse des prix est d’ores et déjà plus importante et le Royaume- Uni y est presque. En Espagne, cependant, les prix doivent encore baisser de 10 à 15%.
La durée de la correction doit également être prise en compte : 6 ans en moyenne selon Reinhart et Rogoff. Aucune amélioration ne serait donc à espérer avant début 2012 aux Etats-Unis, mi- 2013 au Royaume-Uni et en Espagne et début 2014 en Irlande. La raison d'une phase de correction aussi longue est assez simple : lorsqu'une bulle immobilière éclate, un nombre croissant de ménages fait défaut et les créanciers se retrouvent avec un stock de biens immobiliers sur les bras.
Lorsqu'ils ont le choix, ils décident généralement de ne pas les brader et de les conserver en portefeuille dans l'espoir de les vendre plus tard à un meilleur prix. Une telle stratégie limite la correction initiale des prix mais a aussi pour effet de retarder une reprise du marché puisque les stocks de logements invendus restent élevés plus longtemps. La période durant laquelle les défauts sont nombreux peut être longue, car l'économie entre habituellement dans un cercle vicieux lorsqu'une bulle immobilière éclate : la baisse des prix des logements provoque un ralentissement de l'activité dans le secteur du bâtiment et chez ses fournisseurs, une augmentation du chômage avec pour corollaire une multiplication des défaillances, ce qui pèse sur la rentabilité des banques (et leur solvabilité) et induit un resserrement du crédit qui limite la demande de logements et, partant, entraîne de nouvelles baisses des prix de l'immobilier.
Généralement, la politique monétaire aide à atténuer les effets de la crise en apportant aux banques de la liquidité bon marché, qui leur permet d'abaisser les taux hypothécaires.
Mais les circonstances ont certainement été différentes cette fois puisque suite à l'éclatement de la bulle aux Etats-Unis, de grandes institutions financières ont sombré, ce qui a considérablement aggravé le resserrement du crédit, l'un des phénomènes qui participe au cercle vicieux. D’autre part, alors que les pays développés ont plongé, les pays émergents ont résisté, alimentant la hausse des cours des matières premières, ce qui s'est traduit par une accélération de l'inflation dans les pays développés. C'est la raison pour laquelle la BCE a commencé, et devrait à durcir sa politique monétaire. Les taux hypothécaires européens augmentent par conséquent à un stade précoce du cycle de correction de l'immobilier, ce qui pourrait entraîner de graves effets collatéraux. Les ménages irlandais et espagnols sont massivement endettés à taux variables (75 % et 85 % respectivement). La hausse des taux d'intérêt ne va donc pas simplement limiter la demande de logements dans ces pays : elle va également affecter les ménages déjà endettés, ce qui risque d'engendrer une multiplication des défaillances, avec des conséquences sur un secteur bancaire toujours convalescent, et constitue une menace potentielle sur le risque souverain.
Il ne faut pas espérer que le secteur immobilier soutienne la croissance à court terme, même si le frein qu'il a constitué devrait progressivement s'estomper. Cela vaut pour les pays où la bulle immobilière a déjà éclaté. Il reste ceux où la bulle est toujours présente, comme la Chine. Les autorités essayent depuis des années de calmer le dynamique marché de l'immobilier. Selon certaines données récentes (mais partielles), il apparaît qu'elles y seraient finalement parvenues. La nouvelle pourrait ne pas être aussi bonne qu’il y paraît, dans la mesure où la croissance était (en partie) alimentée par le marché résidentiel (selon certaines estimations, le secteur de l’immobilier résidentiel a représenté jusqu’à 13 % de la croissance chinoise l'année dernière). Si la bulle immobilière chinoise venait à éclater, cela freinerait l'activité dans de nombreux secteurs intérieurs connexes, ainsi que…dans le secteur minier en Australie, où la bulle immobilière n’a toujours pas éclaté.
NOTE
- « This time is different – Eight centuries of financial folly », Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, Princeton University Press, 2009.