Chacune à son rythme…

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

Depuis près d’un an, l’inflation, entretenue par la progression rapide des prix de l’alimentation, de l’énergie et des autres matières premières, est redevenue une préoccupation pour les banques centrales. Pourtant aucune d’entre elles ne tient le même discours ni n’entreprend la même action.

Certaines banques centrales se sont lancées bien avant les autres dans un cycle de hausse des taux : la Royal Bank of Australia dès octobre 2009 et la Banque centrale du Canada en juin 2010. Elles ont depuis fin 2010 opté pour le statu quo monétaire, observant les développements récents de la demande mondiale avec prudence, tout en se réservant le droit de renouer avec les hausses de taux si l’évolution de l’inflation le justifiait.

En Europe, c’est hors zone euro que le bal des premières hausses de taux a été ouvert dès l’année dernière. Depuis juillet 2010, la Suède a relevé de 175 pb son taux directeur. La dernière hausse de 25 pb a conduit le taux repo à 2% le 5 juillet. Le constat est simple : la croissance (4,6% prévu en 2011 après 5,4% en 2010) et les conditions sur le marché du travail (taux de chômage à 3,8% en mai, un plus bas depuis 2008) sont au beau fixe. La Riksbank devrait continuer de relever son taux directeur, au moins de 25 pb supplémentaires en septembre. En Norvège et au Danemark, la hausse n’a été, pour l’heure, que de 25 pb en mai dernier.

Dans la zone euro, la Banque centrale européenne a annoncé jeudi 7 juillet une deuxième hausse de 25 pb du taux « Refi » à 1,50%, son corridor d’évolution restant inchangé (+ / – 75 pb). A cette occasion, le Conseil des gouverneurs de la BCE a répété que les pressions inflationnistes étaient perceptibles dans les premières phases de la chaîne de production. La hausse du refi répond donc toujours au souci de prévenir la manifestation d’effets de second tour et d’ancrer les anticipations d’inflation. A 2,7% en juin, celle-ci reste nettement supérieure à l’objectif de 2% fixé par la Banque centrale, et elle pourrait avoisiner 3% avant la fin de l’année.

Les perspectives économiques, quant à elles, restent relativement favorables, bien qu’en retrait par rapport à celles qui prévalaient au premier trimestre. Les enquête de conjoncture (PMI, Commission européenne) sont moins euphoriques ; en zone euro, elles restent néanmoins compatibles avec un taux de croissance positif, de l’ordre de 1,5% à 2%.

Le cycle de resserrement commencé en avril 2011 devrait donc se poursuivre, mais à un rythme très modéré. Une troisième hausse des taux pourrait être annoncée à l’occasion de la publication des nouvelles hypothèses macroéconomiques de la BCE en septembre et décidée en octobre prochain. La « normalisation » est lente en raison du niveau élevé d’incertitude entourant la croissance européenne et mondiale, un point souligné par M. Trichet.

Par ailleurs, la détérioration de la situation des pays périphériques de la zone euro justifie le pragmatisme de la Banque centrale, comme l’a souligné M. Trichet en rappelant qu’aucune décision de politique monétaire n’était prise par avance. A cet égard, comme elle l’avait déjà fait pour la Grèce, la BCE a annoncé qu’elle suspendait les seuils minima de notation de la dette du Portugal. En conséquence, elle continuera à accepter les obligations souveraines portugaises en garantie, dans le cadre de ses opérations de refinancement des banques de l'Eurosystème. Cette décision suit l’abaissement de la note du Portugal par Moody’s de quatre crans, au cours de la semaine.

La tâche est tout aussi complexe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais pour d’autres raisons. Rappelons que les bilans des deux banques centrales ont crû de manière substantielle pour faire face à la crise financière : leur gonflement a représenté 12 points de PIB dans les deux pays, contre 7 points de PIB de la zone euro pour le bilan de la BCE. La Banque d’Angleterre se trouve désormais face à un dilemme. L’inflation (4,5% en mai comme en avril) milite en faveur d’une hausse des taux, mais pas les (mauvais) chiffres d’activité. À l’occasion de la réunion du Comité de Politique Monétaire du 7 juillet, le Bank rate a été maintenu à 0,5%. La Banque d’Angleterre opterait ainsi pour un statu quo monétaire prolongé, la première hausse des taux n’intervenant pas avant l’année prochaine.

Aux Etats-Unis aussi, la dégradation de l’activité dont témoigne, avec plusieurs mois de retard, le marché du travail (en juin créations d’emplois dans le secteur privé non agricole de seulement 18 000 et hausse du taux chômage à 9,2%), combinée au redressement de l’inflation, questionne l’orientation monétaire de la Réserve fédérale. Ainsi, la reprise a été plus lente que prévu, en partie en raison de facteurs temporaires (prix de l’énergie et de l’alimentation plus élevés, problèmes d’approvisionnement liés à la catastrophe japonaise), alors que la hausse de l’inflation sous-jacente (et totale) depuis quelques trimestres s’oppose à l’adoption d’un programme d’assouplissement quantitatif supplémentaire. Le statu quo monétaire au second semestre semble, par conséquent, la seule solution envisageable. Au cours des prochains mois, la Réserve fédérale devrait se contenter de réinvestir les recettes issues des titres qu’elle détient à son bilan, pour maintenir celui-ci à son niveau actuel (de l’ordre de USD 2 800 milliards). Une hausse du taux des Fed funds n’interviendrait qu’en 2012.

Les politiques monétaires apparaissent désormais trop accommodantes, au regard de la solidité de la croissance mondiale, même si elle est appelée à ralentir au deuxième semestre, et de la progression récente de l’inflation. En effet, le maintien prolongé de taux d’intérêt nominaux proches de zéro risque de contribuer à l’éclosion de distorsions qui ne sont pas souhaitables, comme la multiplication des arbitrages en faveur d’actifs risqués et la baisse de la volatilité sur les marchés financiers.

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