par Sylvain Laclias, Economiste au Crédit Agricole
• 2017 ne démarre pas trop mal. L’activité économique reste dans l’ensemble sur la même dynamique qu’au dernier trimestre 2016, lorsque la croissance s’était élevée à 6,8%.
• A y regarder de plus près, plusieurs points questionnent, cependant. Les ventes au détail s’essoufflent. Est-ce passager ou pas ? L’immobilier demeure l’un des principaux moteurs de l’économie, mais le secteur présente de réelles fragilités. Puis cette performance de début d’année s’est probablement faite au prix d’un accroissement supplémentaire de la dette domestique.
• Par ailleurs, l’objectif officiel de croissance retenu pour 2017, « aux alentours de 6,5% », ne doit probablement pas être sur-interprété. La stabilité, notamment sociale, reste le maître-mot. En outre, cet objectif reste contraignant et n’offre pas vraiment de marges de manœuvre supplémentaires pour réformer, désendetter et rééquilibrer l’économie.
Ça démarre plutôt bien
La production industrielle a progressé de 6,3% sur un an en moyenne en janvier-février, comparé à une hausse de 6% en décembre dernier. L’investissement aussi s’est bien tenu, en augmentant de 8,9% durant cette même période, soit de 0,8 point de pourcentage de plus qu’au cours du dernier mois de 2016. Les ventes au détail, en revanche, ont assez nettement marqué le pas. Elles ont crû de 9,5% au cours des deux premiers mois de l’année, lorsqu’elles avaient augmenté de 10,9% en décembre, passant par là même sous la barre des 10% pour la première fois depuis février 2006.
Côté immobilier, l’orientation d’ensemble est aussi à la hausse. Les nouvelles mises en chantier (construction) ont fait un bond de 14,8% sur un an en moyenne en janvier-février, contre une hausse de 8,7% le mois d’avant. L’investissement dans le secteur a de son côté augmenté de deux points de pourcentage de plus qu’en décembre, soit de 8,9%. Quant aux ventes, elles se sont inscrites en hausse de 23,7%, à comparer à l’augmentation de 22,4% durant le dernier mois de 2016. De telle sorte, d’ailleurs, que si la dynamique des prix de l’immobilier a une nouvelle fois ralenti en février (à 22,1%, 21,1%, 23,1%, 13,5% et 14,4% en variation sur un an respectivement à Pékin, Shanghai, Guangzhou, Shenzhen et en moyenne dans les dix-huit plus grandes villes du pays, comparé à 24,7%, 23,8%, 24%, 18,2% et 15,2% le mois précédent), elle pourrait se stabiliser à très court terme, voire repartir légèrement à la hausse.
Les chiffres de janvier et février sont généralement à considérer à l’aune d’un nouvel an chinois, et des festivités qui l’accompagnent, dont la date change d’une année sur l’autre, donc à considérer avec quelque prudence. Néanmoins, l’économie chinoise semble poursuivre sur sa dynamique du dernier trimestre 2016, lorsque la croissance du PIB s’est élevée à 6,8% sur an, après s’être établie à 6,7% les trois trimestres précédents, et être par conséquent en bonne voie pour afficher une performance au cours des trois premiers mois de 2017 comparable, voire légèrement supérieure.
Mais une performance à nuancer
Plusieurs remarques, cependant. À commencer par la mollesse, certes toute relative, des ventes au détail en ce début d’année. Qu’elles continuent de décevoir au cours des mois à venir – et ce n’est pas impossible – alors que les conditions sur le marché du travail ne sont pas pleinement favorables, et cela compliquerait le policy-mix de Pékin, en plus de questionner le rééquilibrage de l’économie chinoise.
La vigueur persistante du marché de l’immobilier interroge aussi. Elle dit non seulement que celui-ci est peu sensible, du moins pour le moment, aux mesures prises l’an passé (notamment par les municipalités) pour l’apaiser et réduire le risque de bulle (ou que ces mesures ne sont pas suffisantes ou suffisamment efficaces), mais encore et surtout que le dynamisme de l’économie chinoise reste en partie lié à celui de l’immobilier et est par conséquent fragile, ce secteur étant difficile à appréhender et à piloter, globalement en surchauffe tout en présentant des poches de surcapacités (villes). Ainsi, lorsque plusieurs municipalités viennent d’annoncer de nouvelles mesures pour calmer ce marché (hausse de l’apport personnel minimum, restrictions sur l’achat d’un deuxième ou troisième logement…), il y a matière à s’interroger sur la croissance du PIB à compter du deuxième ou du troisième trimestre cette année…
Enfin, et ce point n’est pas des moindres, la performance de l’économie chinoise en janvier- février s’est probablement faite au prix d’un nouvel accroissement de la dette domestique. Sur la base des données de crédit et de social financing pour le moment disponibles, celle-ci pourrait avoir augmenté d’au moins deux à trois points de pourcentage de PIB, sachant qu’elle a terminé 2016 à 209,6% du PIB (comparé à 200,7% un an auparavant).
Bref, une performance, en termes d’activité économique, en ce début d’année, plutôt encourageante en apparence, mais pas vraiment saine sur le fond. Une performance qui questionne la trajectoire à venir de l’économie chinoise. Et ce n’est pas la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP) qui s’est tenue à Pékin courant mars qui permet d’y voir plus clair et/ou avec plus de sérénité…
Les grands objectifs de 2017
La mission officielle de l’ANP est d’approuver les lois proposées / envisagées par l’équipe ministérielle en poste dans la capitale chinoise. Dans les faits, l’avis des quelque trois mille membres de l’institution est avant tout consultatif et l’ANP est soumis aux volontés du parti communiste chinois (PCC).
Ce rassemblement était en tout cas attendu, comme chaque année, car l’occasion pour le Premier ministre de dévoiler lors du discours inaugural, les principaux objectifs macro-écono- miques de Pékin pour l'année en cours et les axes de la politique à suivre pour les atteindre. Ainsi, dans les grandes lignes, pour 2017 :
- une croissance aux alentours de 6,5%, comparé à entre 6,5% et 7% l'an passé ;
- un investissement en hausse de 9%, au lieu de 10,5% en 2016 ;
- de nouveau pas d’objectif de croissance des exportations, en raison de l’environnement externe jugé toujours fragile et incertain ;
- un déficit budgétaire à 3% du PIB, stable par rapport à l’exercice précédent ;
- une inflation, elle aussi, ciblée au même niveau qu’en 2016, à 3% ;
- mais avec une progression de la masse monétaire M2 de 12%, soit un point de pourcentage de moins que l’an passé ;
- et la création de 11 millions d'emplois urbains, contre 10 millions l'année dernière.
Changement de cap ?
Les dirigeants chinois attacheraient-ils un peu moins d'importance à la croissance ? Ce pourrait être une lecture de cette cible « aux alentours de 6,5% » comparée à la fourchette de « 6,5%-7% » de 2016. Et de prolonger en se disant, c’est bon signe. Ils se décident enfin à prendre un peu plus en considération dans leurs objectifs la problématique de l'endettement domestique et à s'accorder aussi un peu plus de marge pour avancer sur les réformes nécessaires au rééquilibrage et à la consolidation de l'économie (qui ne se cantonne pas seulement au désen- dettement, mais tient aussi à la réduction des surcapacités de production, à l'amélioration de l'efficacité des entreprises publiques et privées, à la montée de l'industrie manufacturière dans la chaîne de valeur, au développement des services…) ; réformes qui n'ont pas beaucoup avancé ces dernières années. On est en effet loin des annonces faites et répétées.
Nuançons… Il n’est pas impossible que Pékin cherche simplement à rassurer les investisseurs en cette période de sorties importantes de capitaux ; sorties qui pèsent sur les réserves, sur le change et viennent compliquer le policy-mix. Par ailleurs, soyons quasi certains qu’en cette année de renouvellement du Comité permanent du bureau politique du PCC, Xi Jinping a plus que jamais besoin de stabilité. De stabilité sociale, d’abord et surtout. La croissance doit permettre de soutenir l’emploi: aux alentours de 6,5% pour 11 millions d’emplois créés. Autrement dit, si cela ne suffit pas, si les conditions sur le marché du travail viennent à faire gronder la population, soyons quasi certains que Pékin fera le nécessaire pour modifier cela, sans grande considération des questions de deleveraging et de rééquilibrage. Disons que pour le moment, les dirigeants chinois semblent confortables avec l’idée qu’en dépit d’une croissance a priori moindre en 2017, l’économie devrait pouvoir créer un million d’emplois de plus que l’an dernier. Attendons de voir, sachant que cela suppose tout de même, des emplois moins créateurs de richesse et probablement plus précaires.
Enfin, quand bien même tout cela tiendrait d’un point de vue social, la concession en termes de croissance au profit de plus de marges pour réformer et consolider l’économie paraît bien modeste, voire quasi nulle, au regard des pressions baissières qui subsistent sur l’activité économique. Bref, un objectif de croissance qui devrait quand même nécessiter une politique fiscale proactive (expansionniste), une politique monétaire au moins neutre (un resserrement est difficile à envisager dans ce contexte), le tout au risque d’entretenir, voire d’accentuer, les fragilités et les risques que présente l’économie chinoise (caractérisés par l’endettement domestique). Mais un objectif de croissance dont on est, là aussi, quasi certain qu’il sera atteint.