par Sylvain Laclias, économiste au Crédit Agricole
• Les réserves de change ont baissé de 20% au cours des dix-huit à vingt derniers mois, en raison d’un compte financier (de la ba- lance des paiements) nettement déficitaire.
• Elles restent pour le moment à un niveau substantiel. Mais il ne faudrait pas que cela dure.
• Aucun des outils à disposition de Pékin (taux d’intérêt, taux de change, contrôles des capitaux) n’est pleinement satisfaisant.
• Tout l’enjeu porte en fait sur la confiance. Mais la regagner s’annonce difficile. Ou autrement dit, la trajectoire future du yuan est incertaine, et le risque de contrôle des capitaux certain.
Forte baisse des réserves
Les réserves de change ont diminué de presque 513 Mds USD l’an passé et d'encore 99,5 Mds USD en janvier; ce, en dépit d'un excédent courant en hausse de 73 Mds USD par rapport à 2014 (à 293 Mds USD, soit 2,7% du PIB).
Derrière, il y a :
- Moins d'entrées nettes d'investissements directs étrangers (d'un montant inférieur de près de 132 Mds USD sur l’ensemble de 2015 par rapport à l’année précédente ; avant tout en raison d’une hausse des investissements directs réalisés par les entreprises chinoises à l’étranger) ;
- Des sorties nettes d'investissements de porte- feuille (d’un peu plus de 41 Mds USD durant les trois premiers trimestres de 2015, lorsqu'il y avait eu des entrées nettes de 60,5 Mds au cours de ces mêmes neuf mois en 2014) ;
- Et encore le désendettement externe des entreprises chinoises (à hauteur de 143 Mds USD entre le premier et le troisième trimestre l’an passé) ; Le poste erreurs et omissions, qui cache probablement en grande partie des fuites de capitaux, est également important. Sans oublier la valorisation en dollars des actifs en euros, qui a évolué de concert avec la parité de la devise européenne contre le billet vert, mar- quée par une dépréciation certaine l'an passé.
Les réserves en devises de la Chine restent confortables. Elles représentent encore près de vingt mois d'importations de biens et services et permettent de couvrir largement le besoin de financement externe à court terme. Autrement dit, le risque de liquidité en devises est très faible à court terme, voire inexistant. Néanmoins, l'hémor- ragie est importante (les réserves ont diminué d’un cinquième depuis leur plus haut à 3 993 Mds USD en juin 2014) et cela ne peut continuer ainsi trop longtemps (même si certains capitaux sortent pour des raisons a priori positives, comme les acqui- sitions des entreprises chinoises à l’étranger)…
Des outils pour l’endiguer
De quels outils disposent les dirigeants chinois ? Augmenter les taux d’intérêt ? Cela irait à l’en- contre de leur volonté de soutenir l’activité économique et pénaliserait les agents économiques endettés en monnaie locale, assez nombreux à l’être lourdement. Sans compter que le succès d’une telle action n’est pas garanti. Lâcher complètement la bride sur le yuan ? Certes, les tensions sur la devise chinoise se sont apaisées ces derniers jours ; celle-ci a même enregistré sa plus forte appréciation journalière contre le dollar depuis plus d’une décennie après que le gouverneur de la Banque centrale a déclaré qu’il n’y a aucune raison de dévaluer et qu’il s’est montré satisfait du niveau actuel du yuan, conforme aux fondamentaux. Mais le risque existe que la monnaie chinoise se déprécie fortement et, in fine, que l’hémorragie s’aggrave et/ou que la Banque centrale soit forcée de remonter brutalement ses taux d’intérêt. Pékin n'est pas prêt à le prendre, craignant justement cette instabilité, mais aussi de provoquer une guerre des monnaies.
Des contrôles de capitaux ? Les autorités chinoises ont exprimé leur souhait de ne pas retourner en arrière, après l’intégration récente du yuan au panier de DTS du FMI sur fond d’ouverture progressive du bas de la balance des paiements (et de volonté affichée de poursuivre dans cette direction à l’avenir). Ce qui ne les a néanmoins pas empêchées de prendre un certain nombre de mesures contraignantes ces dernières semaines (limites ponctuelles sur les achats de dollars imposées à plusieurs banques, renforce- ment des contrôles administratifs sur les transactions en dollars des entreprises, restrictions sur les achats de produits d’assurance à Hong Kong…). Mais une action plus systématique/- généralisée risque, quoi qu’il en soit, d’envoyer un mauvais signal, d’affecter la confiance des investisseurs et d’avoir un effet inverse de celui recherché.
Une question de confiance
Plusieurs possibilités donc, mais aucune de pleinement satisfaisante. La situation est complexe à gérer. Toutefois, face à cette problématique aux causes multiples, un réel enjeu semble se dégager autour de la question de la confiance. C’est en fait le nerf de la guerre.
Cette confiance passe par une meilleure com- munication. Les récents propos du gouverneur de la PBoC et leurs répercussions sur le yuan (évoqués plus haut) en témoignent. Pékin com- mence à reconnaître ses erreurs en la matière. Mais il y a encore du chemin à faire avant que sa communication ne s’améliore nettement. Sans oublier que le pouvoir du PCC tient en partie au contrôle de l’information et qu’il y a sans doute là une limite à toute éventuelle amélioration.
La confiance passe aussi par plus de clarté sur la trajectoire future de l'économie chinoise, à court comme à moyen terme. L’ampleur du ralentisse- ment en cours risque cependant de nourrir des discussions passionnées pendant encore quelque temps. Au-delà de la question de la fiabilité des chiffres officiels, il est vrai que la soutenabilité de l’endettement domestique interroge. Le risque d'instabilité financière suivie d'un hard landing est réel.
Puis, la transition vers un nouveau modèle de croissance, sujet aujourd’hui partiellement éclipsé par le précèdent, soulève beaucoup de ques- tions… et d'incertitudes. De l'investissement à la consommation, de l'industrie aux services, il n'y a pas de raccourcis. Et encore moins lorsque la réalité économique varie parfois fortement d’une ville à l’autre, d’une région à l’autre, ou au sein d’un même secteur. Cette hétérogénéité complique sérieusement le pilotage de la transition par Pékin. Et elle crée le risque que se renforce une économie duale, faite d'inégalités criantes, que la forte croissance passée masquait en partie. En effet, malgré l’excès d’investissement au niveau national, certaines régions ont toujours besoin d'investissements d'infrastructure et de capacité. Mais toutes ont besoin d'investissements de productivité et de qualité, c'est-à-dire rentables, pour une montée en gamme de la production manufacturière. C'est peut-être le meilleur moteur imaginable du développement et de la conso- lidation des services.
Que penser, par ailleurs, du système éducatif ? Les jeunes diplômés du supérieur sont, certes, nombreux. A priori un avantage pour éviter à la Chine de tomber dans la trappe des pays à revenu intermédiaire et sortir de cette transition par le haut. Mais ils sont peu opérationnels. Du coup, ils sont régulièrement sous-employés, et c'est une source de frustration importante. (Mieux) adapter les cursus scolaires et universitaires aux besoins des entreprises et développer la formation professionnelle s'imposent. Une évolution des comportements au travail aussi. De longs et délicats processus.
Afin de faciliter tous ces changements, le déblocage des forces du marché, même progressif, apparaît lui aussi nécessaire. Pour une allocation plus efficace, au plus proche du « juste » prix, des ressources utiles à toute production. La réforme financière s'inscrit dans cette logique. Celle des entreprises publiques aussi ; avec cette interrgation, comment la mener à bien sans détruire massivement des emplois, ni bousculer les avantages acquis de hauts responsables économiques et politiques ? Dans tous les cas, qui dit marché, dit perte de contrôle direct de l'État sur l'économie et, surtout, transparence et libre circulation de l'information (ainsi que pouvoir judiciaire indépen- dant, cela va souvent de pair). Retour au dilemme évoqué plus haut : le PCC peut-il se le permettre lorsque son pouvoir et sa légitimité reposent notamment sur la maîtrise du cycle économique et de l'information ? Donc cette transition s’annonce compliquée, faite de contradictions, d’intérêts divergents, risquée, sur les plans économique, politique et social, et susceptible de peser durablement sur la confiance.
Peu de visibilité
Dans ce contexte où le politique domine, il est finalement difficile de dire comment vont évoluer les flux de capitaux au cours des prochains mois et derrière, les réserves, les taux d'intérêt, le yuan et la règlementation encadrant ces flux. Mais le risque est réel qu'ils demeurent sortants, jusqu'à éroder un peu plus les réserves et contraindre Pékin, par une approche habituelle, pragmatique, empreinte de modération, à laisser la devise chinoise se déprécier un peu plus et à user de contrôles de capitaux supplémentaires.