par Christine Peltier, Economiste chez BNP Paribas
• La croissance a légèrement rebondi au cours des deux derniers trimestres, soutenue par la politique de relance des autorités. L’accélération au T1 2017 a été tirée par la reprise de l’activité industrielle, qui bénéficie du renforcement de la demande interne et du redressement des exportations.
• Cette amélioration conjoncturelle a permis à la banque centrale de commencer à resserrer prudemment sa politique monétaire, en réponse à l’aggravation continue des risques de crédit et des risques de stress sur la liquidité dans le secteur financier.
• Les risques baissiers sur les perspectives de croissance restent néanmoins élevés, et la détermination des autorités à contenir les risques financiers pourrait rapidement être testée en cas de nouveau ralentissement de l’activité.
Accélération de la croissance industrielle
La Chine a connu un nouveau trimestre de légère accélération de sa croissance au T1 2017. Le PIB réel a progressé de 6,9% en glissement annuel, contre 6,8% au trimestre précédent et 6,7% sur l’ensemble de l’année 2016. Les services ont continué d’enregistrer la croissance la plus rapide parmi les trois principaux secteurs (7,7% en g.a. au T1 2017 contre 7,8% en 2016), mais l’industrie est le seul à avoir affiché une accélération (6,4% en g.a. au T1 2017 contre 6,1% en 2016), soutenue par l’amélioration des perspectives d’exportations et le renforcement de la demande interne.
Les exportations chinoises ont effectivement augmenté de 4% au T1 2017 par rapport au T1 2016 (en dollars courants) après deux années de contraction, dans un contexte international de redressement de la demande, des prix et des volumes d’échanges. Cette reprise devrait pouvoir se consolider à très court terme, et pourrait également être aidée par les effets de la récente dépréciation du yuan (-6% en termes effectifs réels en 2016). Les risques baissiers restent toutefois élevés, notamment du fait des incertitudes qui continuent de peser sur les perspectives de croissance du commerce mondial et de la possibilité de tensions commerciales avec les Etats-Unis.
La demande interne a été le principal facteur de soutien à la croissance chinoise depuis l’an dernier, et encore au T1 2017. Trois secteurs en particulier se sont redressés sous l’effet des mesures de relance des autorités : i) les infrastructures publiques : la progression de l’investissement y a rebondi au S1 2016 puis encore au début de 2017, notamment dans les projets de conservation de l’eau et l’environnement ; ii) l’immobilier : le marché s’est progressivement redressé depuis fin 2015 (rebond des ventes et des prix dans un nombre croissant de villes, suivi d’une ré-accélération de l’investissement), en réponse à l’assouplissement de la politique monétaire et de la politique « immobilière » (c’est-à-dire des règles prudentielles appliquées aux transactions et aux prêts dans le secteur) ; et iii) les ventes automobiles, qui ont progressé de plus de 10% en 2016, encouragées par des incitations fiscales. Elles ont fortement fléchi depuis le début de 2017 suite au relèvement de la taxe sur l’achat de petites voitures. Bien que les ventes au détail soient pour le moment soutenues par le besoin de biens durables qui accompagne la reprise des transactions immobilières, la dynamique de la consommation privée reste contrainte par le ralentissement continu de la progression des revenus des ménages.
Les effets d’entraînement du rebond de l’activité dans les secteurs directement concernés par la politique de relance sur le reste de l’économie ont été limités. Cependant, depuis l’automne, l’investissement dans le secteur manufacturier a également repris des couleurs, stimulé par la remontée de l’inflation des prix à la production (revenue en territoire positif depuis septembre pour atteindre 7,6% en g.a. en mars 2017) et la hausse des profits des entreprises industrielles (+9% en 2016 et +32% en g.a. sur les deux premiers mois de 2017). La reprise de l’investissement privé au début de 2017 semble également avoir été tirée par la multiplication des projets d’infrastructure financés via des Partenariats Public-Privé.
Une politique monétaire moins accommodante
Les investissements dans les infrastructures resteront un moteur essentiel de la croissance au cours des prochains trimestres. La politique budgétaire expansionniste pourrait également consister en de nouvelles mesures fiscales, mises en œuvre en faveur des entreprises et des ménages si la demande privée venait à fléchir à nouveau. En revanche, la politique monétaire a récemment pris un tour moins accommodant et devrait rester très prudente à court terme. La politique « immobilière » est également devenue un peu plus restrictive depuis quelques mois (mais toujours différenciée selon les régions), puisque les règles d’achats et d’obtention des crédits ont commencé à être durcies dans plus d’une trentaine de villes où la hausse des prix des logements est devenue excessivement rapide.
Parmi les objectifs multiples de la Banque Populaire de Chine (garantir la stabilité des prix, soutenir la croissance et le marché de l’emploi, promouvoir les réformes financières…), deux ont été particulièrement mis en avant pour 2016 et 2017 : le soutien à l’activité économique et la stabilité financière. Le premier a conduit les autorités monétaires à mener une politique expansionniste jusqu’au T3 2016, en réponse au ralentissement jugé trop rapide de la croissance industrielle. Le deuxième justifie le récent resserrement de la politique monétaire. Les risques de crédit, les risques de stress sur la liquidité dans le secteur financier et les risques de bulles sur les marchés d’actifs sont effectivement élevés et se sont encore accrus depuis l’an dernier. Dans le même temps, la récente amélioration des chiffres de la croissance et de la performance de l’industrie, ainsi que la remontée de l’inflation des prix à la production, ont permis aux autorités de hiérarchiser leurs priorités un peu différemment.
Alors qu’elles ont annoncé une politique « prudente et neutre » pour 2017 et fixé un objectif de hausse des financements à l’économie (+12%) que très légèrement inférieur à sa progression en 2016 (+12,8%), les autorités ont de fait déjà procédé à quelques actions visant à durcir les conditions monétaires.
La banque centrale utilise une série d’instruments de gestion de la liquidité, tels que les coefficients de réserves obligatoires mais aussi et surtout, de plus en plus les opérations d’open-market et les « facilités de financement », qui permettent de fournir des liquidités à certaines institutions bien ciblées. Les taux d’intérêt sur ces facilités et les taux repo sont de fait devenus les déterminants des taux sur le marché interbancaire. Or, les taux repo ont été remontés progressivement depuis le T4 2016 et les taux sur les facilités de financement ont été augmentés depuis le début de 2017.
La banque centrale a également toujours recours aux « taux d’intérêt de référence » sur les prêts et les dépôts. Il n’existe plus aucun contrôle sur les taux d’intérêt depuis octobre 2015, mais les banques commerciales continuent de suivre ces taux de référence pour déterminer les taux offerts à leurs clients. Ces taux de référence, qui avaient été abaissés six fois entre fin 2014 et fin 2015, sont restés inchangés depuis cette date.
Ces actions illustrent la prudence des autorités, qui ne souhaitent pas élever brutalement le coût des crédits aux ménages et aux entreprises pour ne pas peser sur l’activité ni aggraver leur service de la dette mais qui, dans le même temps, resserrent les taux monétaires, notamment pour décourager le recours aux financements interbancaires. Ceux-ci ont fortement augmenté ces dernières années, et sont largement utilisés par les petites institutions bancaires et non bancaires (du « shadow banking »). En augmentant la volatilité des sources de financement des créanciers, les risques de transformation dans leurs bilans et les risques de contagion en cas de stress sur la liquidité de certaines institutions, l’expansion des financements interbancaires aggravent les risques d’instabilité financière. Ces risques viennent s’ajouter aux risques de crédit déjà élevés liés à l’excès de dette du secteur non financier (estimée à 213% du PIB à la fin du T1 2017) et au manque de supervision et de bonne gouvernance des institutions financières.
Sur ce dernier point, de nouvelles mesures macro-prudentielles ont été introduites ces derniers mois et dernières semaines, visant à renforcer la gestion des risques par les autorités et par les institutions financières.
Le léger resserrement de la politique monétaire, le durcissement de la politique «immobilière» dans les villes dont le marché du logement est en surchauffe, et le renforcement du cadre réglementaire du secteur financier pourraient permettre, sinon une inversion, au moins une stabilisation dans la dynamique de montée des risques de crédit observée ces dernières années. Mais pour cela, le cap du « durcissement prudent » devra être maintenu. Or, il pourrait être remis en cause rapidement si la croissance venait à ralentir trop fortement, par exemple sous l’effet même du récent resserrement des conditions monétaires. La stabilité de la croissance économique restera en effet la priorité de Pékin au moins jusqu’au 19ème Congrès du Parti Communiste de l’automne prochain.