Chine : l’affaiblissement du renminbi, une mesure jusqu’ici modeste de soutien à l’activité

par Jean-Louis Martin, économiste au Crédit Agricole

•  Les autorités chinoises ont mis en place le 11 août un nouveau mécanisme de détermination du taux de change du yuan. Cela s'est traduit par une dépréciation cumulée d'un peu moins de 3% en trois jours par rapport à l'USD.

•  Parmi les arguments avancés par la Banque centrale : une meilleure prise en compte des conditions de marché. Ce qui n'est pas tout à fait infondé : le yuan était pratiquement la seule devise à ne pas avoir reculé par rapport à l'USD, alors que les monnaies de pays concurrents de la Chine se sont fortement dépréciées. Par ailleurs, les réserves chinoises en devises sont en baisse depuis un an, malgré un excédent courant persistant.

•  Mais le principal objectif des autorités chinoises est bien d'affaiblir le yuan, pour redonner un peu de compétitivité à son industrie, et contribuer ainsi à relancer une activité en décélération probablement plus marquée que ne l'indiquent les chiffres officiels de croissance.

•  La dépréciation du yuan devrait toutefois rester modérée. Les autorités chinoises ne souhaitent sans doute pas lancer une "guerre des devises" en Asie, et ne voudront pas prendre le risque d'une accélération des sorties de capitaux.

La Banque centrale chinoise modifie la règle du jeu

Le 11 août, la Banque centrale chinoise (la PBoC) a annoncé une modification du mode de fixation du yuan (CNY). Le cours "central" du jour prendra en compte, comme par le passé, les taux de change proposés avant l'ouverture du marché par les différents "market makers" (pondérés), et les taux de change entre les autres devises, mais aussi, et cela est nouveau, le taux de clôture du marché de la veille.

Le nouveau mécanisme s'est traduit par un recul immédiat du taux de change contre USD, de 6,210 à 6,323 CNY/USD, soit -1,79%. Le 12 août, le yuan reculait à nouveau, à 6,388 CNY/USD au closing. Mais il avait atteint 6,45 pendant la journée, avant une intervention lourde de la PBoC. Le 13 août, le CNY se stabilise, ne perdant que 0,2%. Au total, le CNY aura perdu 2,96% en trois jours.

Un double objectif : se rapprocher du marché, et (surtout) soutenir les exportations et l'activité

L'objectif affiché par la PBoC est clair : il s'agit de mieux prendre en compte les conditions de marché. Les autorités chinoises estiment en effet que la robustesse récente du CNY n'intègre pas le prochain relèvement du taux directeur américain, ni l'appréciation en cours de l'USD par rapport à la plupart des autres devises. En d'autres termes, le CNY devrait, selon elles, être valorisé un peu au- dessous des 6,21CNY/USD autour desquels il fluctue très faiblement depuis la mi-mars. Il y avait donc un objectif explicite de dépréciation, mais "habillé" par un argumentaire de marché. Le "marché" a d'ailleurs bien compris cet objectif officiel, contre lequel il est en Chine difficile de prendre position, puisque le CNY a effectivement reculé.

L'innovation de la prise en compte du cours de clôture de la veille peut aussi être vue comme une manifestation supplémentaire de flexibilité, dans la perspective d'une intégration prochaine du CNY dans le panier de calcul des DTS (Droits de Tirages Spéciaux, en anglais SDR), la "monnaie du FMI".

Mais il est clair que l'objectif de dépréciation n'a pas que des visées théoriques (la "libéralisation financière") ou diplomatiques (le renforcement de l'influence au FMI). Il s'agit aussi et surtout de soutenir les exportations et, à travers elles, l'activité industrielle.

L'excédent commercial chinois est devenu colossal : 537 Mds USD en juillet 2015 sur les 12 derniers mois cumulés. Mais depuis 2012, et plus encore depuis 18 mois, il n'y a plus aucune corrélation entre l'accélération de la montée de cet excédent et un CNY stabilisé.

L'envolée de l'excédent commercial n'est plus due à une croissance des exportations de plus de 23% par an, en moyenne, comme cela a été le cas entre 2003 et 2010. Sur les sept premiers mois de 2015, les exportations sont en recul de 0,6% par rapport à la même période de 2014. L'excédent n'augmente que parce que sur la même période, les importations ont reculé de 14,4% en USD.

Or l'évolution du taux de change semble sur la période récente assez bien corrélée avec celle des exportations : les autorités chinoises contiennent le CNY quand les exportations ralentissent (et avec elles, la production industrielle, dont la croissance n'est plus que de 6,0% a/a en juillet – officiellement, et selon certains observateurs nettement moins). La décision du 11 août de dépréciation du CNY vise aussi à relancer les exportations, et l'activité industrielle.

Le RMB est-il surévalué ?

Quand les autorités chinoises avancent l'argument de l'évolution des autres devises pour justifier la dévaluation du 11 août, elles n'ont pas tort. Le CNY se distinguait en effet en étant la seule monnaie stable par rapport à l'USD : celles de ses concurrents exportateurs asiatiques et du Mexique reculaient, très fortement pour ce dernier pays et pour l'Indonésie. Parmi les BRICs, l'évolution du CNY diverge aussi sensiblement de celles du real brésilien ou du rouble russe, et même de la roupie indienne. Le CNY s'appréciait aussi beaucoup par rapport à l'euro : de 8,34 CNY/EUR le 1er janvier 2014 à 6,82 le 10 août 2015. Au total, le taux de change effectif réel du CNY augmentait fortement, surtout depuis la mi-2014, handicapant sans aucun doute les exportations chinoises.

La comparaison avec le Mexique est particulièrement intéressante. Ce pays est en effet le principal concurrent de la Chine sur le marché nord-américain. En 2002, le salaire moyen dans l'industrie était au Mexique 4,5 fois plus élevé qu'en Chine. En 2014, il serait (les données ne sont évidemment pas rigoureusement comparables) pour la première fois passé au-dessous. Si on fait pour 2015 l'hypothèse d'une hausse des salaires nominaux de 8% en Chine et de 4% au Mexique, et si on utilise les taux de change de juillet 2015, les salaires mexicains ne représentent plus maintenant que 75% des salaires chinois. Deux explications à cette évolution : d'une part, la forte hausse des salaires nominaux en Chine (14% par an en moyenne depuis 1990, et encore 10,6% en 2014) alors que les salaires réels mexicains stagnent depuis 2001 (ce qui n'est sûrement pas favorable au développement réel du pays) et, d'autre part, le change. Un peso mexicain valait 1,71 CNY en 1990, il ne vaut plus aujourd'hui que 39 centimes de CNY. On comprend ainsi que le Mexique ait réussi à reconquérir des parts de marchés aux Etats-Unis, y compris, dans certains secteurs, aux dépens des exportateurs chinois.

Il est donc clair qu'une dévaluation de 4% sera très loin d'être suffisante pour retrouver la compétitivité perdue. Par exemple, pour retrouver le niveau de compétitivité de 2010, en corrigeant les impacts de l'appréciation relative du CNY et des hausses de salaires beaucoup plus rapides que chez ses concurrents, le CNY devrait être déprécié d'au moins 30% (et même plutôt 50% par rapport au peso mexicain). Il s'agit toutefois là d'un scénario que nous excluons : les autorités chinoises ne souhaitent sans doute pas commencer une "guerre des devises" en Asie, ni donner des arguments aux "China-bashers" aux Etats-Unis, et encore moins prendre le risque de sorties massives de capitaux (voir plus bas).

La balance des paiements peut aussi donner une indication sur l'éventuelle "valeur d'équilibre" du CNY. Il faut d'abord souligner un changement radical à partir de 2011 : alors que précédemment la balance courante était très proche de la balance commerciale, la Chine enregistre depuis un déficit croissant et aujourd'hui massif (192 Mds USD en 2014) de ses échanges de services (largement dû à la hausse spectaculaire des dépenses de voyage des Chinois : 30 Mds USD en 2007, 165 Mds en 2014; la dépréciation du CNY pourrait contribuer à contenir ce dérapage). Quand on y ajoute le déficit du poste "revenus" (les sorties de dividendes sont, assez étonnamment, plus élevées que les revenus procurés par les énormes réserves en devises du pays), l'excédent des paiements courants est ainsi en 2014 de "seulement" 220 Mds USD, contre 476 Mds pour l'excédent commercial.

Cet excédent courant n'augmente plus, fluctuant autour de 200 Mds USD depuis 2009. On peut le considérer comme excessif, voire anormal: un pays au niveau de développement de la Chine devrait plutôt être importateur d'épargne extérieure, et donc enregistrer un déficit courant. Mais la persistance d'un excédent nous semble relever beaucoup plus d'une répression (certes moindre que par le passé) de la demande intérieure que d'un taux de change inadéquat.

Une deuxième constatation est que depuis la mi- 2014, les réserves en devises chinoises n'augmentent plus. Depuis le pic de juin 2014 (3 993 Mds USD), elles ont reculé de 300 Mds. La raison : des sorties de capitaux sans précédent, qui ont totalisé 569 Mds USD sur les trois derniers trimestres connus (jusqu'au 1er trimestre 2015 inclus ; pour le deuxième trimestre 2015, le chiffre peut être estimé à 170 Mds supplémentaires).

L'ampleur de ces sorties de capitaux est sans doute aujourd'hui pour la PBoC un des principaux arguments contre une dévaluation massive du CNY. Si elles ont dépassé 700 Mds en un an, dans une période de stabilité du change et de forte hausse du marché boursier, on peut imaginer ce qui se passerait en cas de chute brutale du cours du CNY. Les autorités souhaitent un CNY plus faible, mais pas au prix de sorties massives de capitaux.

Enfin, on peut aussi estimer la sous- ou la surévaluation d'une monnaie en comparant les ratios entre PIB nominal (calculé en monnaie locale et converti en USD au taux du marché) et PIB à parité de pouvoir d'achat. Dans la quasi- totalité des pays émergents, ce ratio est nettement inférieur à 1. Il est en général d'autant plus faible que le pays est moins avancé. Le calcul du ratio pour la Chine et quelques autres pays ne permet pas de conclure de manière décisive. Il est en Chine de 0,59, comme attendu nettement plus élevé qu'en Inde (0,28), mais très proche voire un peu supérieur à des pays plus avancés (Amérique latine hors Brésil, Russie, Turquie, Pologne). Selon ce critère, le taux de change du CNY pourrait donc être un peu plus faible que son niveau actuel, mais la correction serait mineure.

Le renminbi, un outil de politique économique, comme les autres devises

Il serait injuste d'accuser les autorités chinoises de manipuler leur devise. Pas parce qu'elles ne le font pas, mais parce que tous les pays qui ont les moyens de le faire le font à un moment ou à un autre. Certains avec brutalité : on se rappelle du "Le dollar, c''est notre monnaie, mais c'est votre problème" du secrétaire au Trésor de Richard Nixon, John Connally, en 1971. D'autres plus discrètement, par exemple en mettant en avant un autre objectif, la dépréciation étant alors présentée comme un effet collatéral. Ainsi les Quantitative Easings actuels de la Banque Centrale Européenne ou de la Banque du Japon, qui visent comme chacun sait à relancer le crédit ou à réintroduire un peu d'inflation.

L'ampleur de la réaction des marchés financiers et le volume de commentaires (y compris le présent papier !) que cette dévaluation (de moins de 4%) du CNY a suscités sont sans doute excessifs. Mais le mouvement qui vient d'être décidé à Pékin nous confirme que les autorités chinoises sont inquiètes : le ralentissement de l'activité est sans aucun doute beaucoup plus sensible que les chiffres publiés de croissance du PIB (7,0% a/a aux premier et deuxième trimestres 2015) ne l'admettent. La production industrielle ne progressait plus que de 6,0% a/a en juillet (chiffre officiel), les ventes d'automobiles étaient en recul de 7,1% a/a, et la consommation d'électricité n'avait augmenté que de 1,6% a/a au deuxième trimestre. La petite dévaluation du CNY, qui pourrait aller un peu plus loin (mais pas trop, pour des raisons exposées plus haut) est donc une mise en œuvre, jusqu'ici mesurée, d'un instrument de politique économique.

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