Chine : mise à l’épreuve

par Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas

•  La panique qui a secoué les bourses chinoises début janvier est révélatrice des fortes inquiétudes qui persistent au sujet du ralentissement de la croissance et de l’efficacité des actions de politique économique.

  Elle illustre aussi les difficultés auxquelles sont confrontées les autorités dans leur gestion des réformes structurelles.

•  Face aux importants risques baissiers qui pèsent sur les perspectives de croissance à court terme, les autorités vont multiplier les mesures de relance. Elles comptent notamment sur l’investissement public et des allégements fiscaux pour soutenir la demande intérieure.

Un début d’année chahuté

L’économie chinoise a souffert en 2015. Dans l’industrie, les difficultés liées à la faiblesse de la demande intérieure et extérieure, aux excès de capacités de production et à la dégradation des profits se sont aggravées, et la croissance a atteint un point bas historique (+6%). Ceci n’a été que très partiellement compensé par la bonne performance du secteur des services (+8,3%). Dans un contexte d’ouverture progressive du compte de capital, la Chine a fait face à des sorties de capitaux sans précédent, ce qui a compliqué à la fois la mise en œuvre d’une politique monétaire accommodante et le processus de réforme du régime de change.

En 2015, la banque centrale a perdu 13% de ses réserves de change (qui sont toujours à un niveau très confortable de USD 3 330 milliards) et le yuan s’est déprécié de 4,7% contre le dollar. Sur les marchés actions, les cours se sont effondrés au cours de l’été après une année d’euphorie. Les collectivités locales ont vu leurs ressources fondre à cause du ralentissement économique et de la correction sur le marché immobilier, ce qui a sévèrement dégradé leur situation financière et réduit leur capacité à soutenir l’activité. La dette des entreprises (y compris des entités appartenant aux collectivités locales) a continué d’augmenter, atteignant près de 165% du PIB fin 2015, contre 100% fin 2008. Dans ce contexte, la capacité des entreprises à rembourser leur dette a continué de s’affaiblir et la performance du secteur financier de se détériorer.

L’année 2016 ne commence pas sous de meilleurs auspices. Les bourses ont déjà essuyé d’importantes pertes : l’indice composite de la bourse de Shanghai a chuté de 7% le 4, puis encore le 7 janvier (pour finalement cumuler une baisse de 18% sur les quinze premiers jours de 2016). Dans les deux cas, les autorités ont eu recours au système de "coupe-circuit", entré en vigueur le 1er janvier et destiné à suspendre les cotations pour la journée quand la baisse de l’indice atteint 7% ; mais ce mécanisme a plutôt aggravé la nervosité des investisseurs.

Les épisodes de correction en bourse ont suivi : i) d’une part la publication des indices des directeurs d’achat (PMI) du secteur manufacturier à fin décembre qui, en restant sous la barre des 50, ne laissent pas envisager de reprise de la croissance industrielle à très court terme, et ii) d’autre part, la décision des autorités d’accélérer le mouvement de dépréciation du yuan, qui a perdu 1,6% contre le dollar entre le 1er et le 8 janvier. Cette décision est une réponse aux sorties de capitaux qui se sont encore aggravées en fin d’année (comme l’atteste la baisse record des réserves de change en décembre), et une nouvelle étape du processus de réforme du régime de change, visant cette fois à prendre davantage en compte l’évolution du taux de change effectif du yuan. Celui-ci s’est apprécié de 2,9% entre fin 2014 et novembre 2015, sur la base du nouvel indice publié par la banque centrale1. Le manque de précisions communiquées par les autorités, les raisons pouvant expliquer la récente dépréciation (difficultés des exportateurs, détérioration du compte de capital), ses possibles conséquences (sur les entreprises locales endettées en devises, sur les marchés des changes de la région) et la nouvelle montée des anticipations d’affaiblissement du yuan à court terme sont autant de facteurs d’anxiété pour les investisseurs.

En outre, les investisseurs en bourse ont anticipé des ventes en masse de titres de la part des plus gros actionnaires, puisque l’interdiction de vendre qui leur était imposée depuis juin dernier devait prendre fin le 8 janvier. En réponse à la panique, les autorités ont finalement interdit à ces actionnaires de vendre plus de 1% d’une valeur donnée dans les trois prochains mois, et abandonné le mécanisme de "coupe-circuit". Néanmoins, les interférences des autorités sur les marchés et leurs "tâtonnements" réglementaires pourraient bien affaiblir encore davantage la confiance des investisseurs.

Poursuite du ralentissement

Les effets de contagion de la crise boursière au reste de l’économie devraient être limités, puisque le financement par actions ne représentait que 5% des nouveaux flux de financement à l’économie en 2015 et que les effets de richesse ne sont pas significatifs (moins de 20% du patrimoine financier des ménages est investi en actions). Les risques "systémiques" sont également relativement modérés, mais se sont néanmoins accrus depuis un an étant donné la montée des interconnections entre la bourse, les banques et les autres institutions du secteur financier.

Le krach boursier inquiète davantage par le fait qu’il révèle les craintes, fortes et persistantes, au sujet du ralentissement chinois, et semble bien illustrer les enjeux de la transition actuelle de l’économie vers un régime de croissance plus modéré et moins dépendant du crédit et de l’investissement. Les autorités ont en effet de plus en plus de difficultés pour à la fois contenir les risques liés à l’ajustement de l’investissement (i.e. soutenir l’activité) et poursuivre les réformes structurelles (réduction des capacités excédentaires dans l’industrie, rationalisation des finances des collectivités locales, lutte contre la corruption, resserrement réglementaire dans le secteur financier, libéralisation du compte de capital et assouplissement du régime de change…). Ces réformes sont indispensables à la transition mais certaines ont un effet récessif à court terme. En conséquence, au ralentissement économique et à la hausse des vulnérabilités (crise de l’industrie, excès de dette, sorties de capitaux, correction sur les marchés d’actifs) s’ajoute une montée de la nervosité des investisseurs liée aux incertitudes sur la politique économique des autorités chinoises.

Dans notre scénario central, les autorités poursuivent le processus de réformes structurelles dans les années à venir, et multiplient les mesures de relance à court terme, permettant ainsi de contenir l’ampleur du ralentissement de la croissance du PIB. Celle-ci passerait à 6,3% en 2016, contre 6,9% en 2015. Ce scénario reste positif, mais comporte de nombreux risques baissiers, liés notamment aux difficultés de l’industrie, à la baisse de l’efficacité de l’investissement et du crédit, à la détérioration de la situation financière des entreprises, des collectivités locales et des banques, ou encore au risque de contagion du ralentissement industriel au secteur des services.

La politique budgétaire à la rescousse

Face à ces risques, les autorités vont encore assouplir leur policy mix. Depuis novembre 2014, en réponse à l’affaiblissement de la demande intérieure et de l’inflation, la banque centrale a déjà abaissé à six reprises les coefficients de réserves obligatoires (de 20% à 17,5% fin 2015 pour les grandes banques) et les taux de référence sur les prêts à un an (de 6% à 4,35%), ce qui a également permis d’alléger la charge d’intérêts sur la dette des entreprises et collectivités locales. L’efficacité de ces actions est néanmoins contrainte par la désinflation, qui élève les taux réels, et les sorties de capitaux, qui ont un effet restrictif sur les conditions de liquidité interne. La progression du total des crédits à l’économie, tous flux de financements confondus, ne s’est pas vraiment redressée en 2015. Néanmoins, sa composition a changé, avec un rôle plus important des financements par obligation et par action. D’autres baisses de taux sont attendues en 2016, accompagnées de nouvelles injections de liquidités et de mesures visant à encourager les crédits vers certains secteurs ciblés.

Les autorités vont également élargir leur champ d’actions sur le plan budgétaire. i) La progression de l’investissement des collectivités locales dans les projets d’infrastructure devrait se redresser (elle ralentit depuis le T2 2015) avec l’amélioration de leur situation financière. D’une part, le refinancement de leur dette est facilité depuis mai 2015 par le desserrement de certaines restrictions qui avaient été introduites par la nouvelle loi budgétaire de fin 2014 (une illustration des difficultés des autorités à réformer les finances publiques dans un contexte de ralentissement), et par les programmes de swap de leurs prêts bancaires par des obligations obligataires, moins coûteuses. D’autre part, leurs recettes provenant de la vente de terrains, qui se sont effondrées en 2015 (-35% en g.a. sur les trois premiers trimestres), pourraient se redresser grâce à la stabilisation du marché immobilier. ii)

De nouvelles solutions sont envisagées pour financer l’investissement public, comme le développement des partenariats public-privé et l’augmentation des crédits distribués par les trois banques publiques d’investissement. iii) Le gouvernement envisage une hausse de son déficit budgétaire (à au moins 3% du PIB en 2016), notamment du fait d’allégements fiscaux. Ceux-ci font partie d’un ensemble de mesures récemment annoncées, visant à soutenir les entreprises en abaissant leurs coûts (fiscaux, administratifs, financiers, logistiques…), pour améliorer la qualité de l’offre et réduire les risques financiers.

NOTES

  1. L’indice composite du China Foreign Exchange Trading System (CFETS) mesure l’évolution du yuan par rapport à un panier de 13 monnaies qui, étonnamment, exclut les devises de certains des principaux partenaires commerciaux de la Chine en Asie (la Corée du Sud par exemple).

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