Vaut-il mieux mourir guéri ou vivre un peu diminué ?
Vaut-il mieux mourir guéri ou vivre un peu diminué ? La question revient régulièrement quand il s’agit d’analyser les décisions de la Banque centrale européenne (BCE). Face à la pire crise économique depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les dirigeants de l’institut monétaire viennent de montrer qu’ils n’avaient aucune intention d’abandonner leur unique objectif qui est de combattre l’inflation même si celle-ci relève actuellement de la menace fantôme. La BCE a ainsi abaissé son principal taux de refinancement d’un quart de point à 1,25% alors que les investisseurs et les dirigeants politiques, qui notent que la Réserve fédérale américaine a ramené ses taux à zéro, attendaient une baisse d’un demi-point. Conscient sans doute d’avoir déçu, le président de la BCE a pris la peine d’expliquer que le nouveau taux ne constituait “pas un plancher”, laissant entendre qu’il pourrait y avoir d’autres mesures d’assouplissement monétaire.
Cette approche soulève plusieurs questions. Quelle est l’efficacité d’une politique de petits pas ? La Fed agit de manière beaucoup plus déterminée. En décembre, elle n’a pas hésité de réduire son principal taux directeur de trois-quarts de point afin de provoquer un choc de confiance. Quand on cite cet exemple devant des dirigeants de la BCE, ils rappellent à bon droit que la Fed doit lutter contre l’inflation mais doit aussi favoriser le plein emploi. Les statuts de la BCE ne mentionnent que l’impératif de stabilité des prix. Bon exemple ? Qu’a fait la BCE pour empêcher l’inflation ces derniers mois ? En juillet, l’inflation atteignait 4% dans la zone euro, soit bien au-dessus de l’objectif – “inférieur à 2% mais proche de 2%” – de l’institut monétaire ? Et encore, c’est un taux officiel. L’inflation ressentie par les citoyens européens est bien plus importante car les indices de prix à la consommation intègrent des produits qu’on ne renouvellent qu’une fois tous les deux ou trois ans (par exemple les objets électroniques dont les prix sont tendanciellement orientés à la baisse) et les produits de consommation courante. La réponse de la BCE face à la “vraie” inflation n’a pas eu le succès escompté. C’est la crise économique qui a fait baisser les prix. La politique des petits pas montre son inefficacité face à une inflation galopante et face au risque de récession puisque l’activité économique devrait se contracter de 4,1% dans la zone euro en 2009, selon les dernières estimations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Si elle agissait de manière plus décisive, la BCE pourrait peut-être rétablir plus rapidement la confiance.
Voyons la question de l’inflation. Selon les estimations préliminaires d’Eurostat, le taux annuel serait de 0,6% en mars après 1,2% en février. Compte tenu des anticipations économiques, il est peu probable qu’il y ait une franche remontée cette année, même si le cours du pétrole devrait remonter et impacter les prix de l’énergie. Dans ce contexte, le discours de la BCE est plutôt surprenant. S’exprimant à la suite du sommet des 20 premières puissances économiques mondiales (G20), le chef économiste de la BCE, Jürgen Stark, vient de de critiquer implicitement, dans une interview publiée mardi 7 avril par le quotidien Handelsblatt, la décision de tripler les ressources du Fonds monétaire international (FMI) via notamment l’émission de droits de tirage spéciaux (DTS). “C'est de la création pure de monnaie”, a-t-il dit en regrettant qu’il n’y ait aucune étude pour savoir “s'il y a un besoin supplémentaire de liquidités au niveau mondial”. Il redoute clairement une reprise de l’inflation.
Or, plusieurs économistes estiment que l’inflation pourrait permettre de régler sans trop de douleur une partie de l’énorme dette contractée pour sortir de la crise. Historiquement, c’est ce qui s’est presque toujours passé. Pragmatiques, les Américains n’auront probablement aucune réticence à jouer l’inflation et la baisse du dollar pour rétablir quelque peu leurs comptes publics. La BCE est manifestement hostile à une telle approche. Quelle est l’alternative ? La hausse des impôts. En bonne logique, la BCE devrait donc inciter prochainement les gouvernements de la zone à durcir leur fiscalité. Pas sûr que l’opinion publique l’accepte.