Les pays ne disposant pas de matières premières auraient tout lieu de se réjouir de la baisse du prix du pétrole, qui est tombé autour de 27 dollars en janvier, soit son plus bas niveau depuis 13 ans. En réalité, cette évolution est inquiétante : l’absence de visibilité freine les investissements et pourrait remettre en cause la reprise mondiale.
Peu d’experts se risquent aujourd’hui à prédire le prix du pétrole au cours des prochaines années. Après Morgan Stanley, Goldman Sachs n’exclut pas qu’il tombe à 20 dollars le baril. En mai 2008, alors qu’il était autour de 100 dollars, les analystes de la banque d’affaires américaine prévoyaient une hausse à 120 dollars en 2011 et jugeaient « de plus en plus plausible » qu’il atteigne 150 voire 200 dollars à moyen terme.
Deux éléments sont venus contrarier ce scenario : le développement du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis, qui ont contribué à ce que ce pays devienne autosuffisant puis exportateur en matière énergétique, puis la stratégie surprenante de l’Arabie saoudite.
Selon des diplomates, le régime wahabite a décidé à partir de 2013 de jouer de l’arme du pétrole contre la Russie pour son rôle en Ukraine et, surtout, en Syrie puisque, sans intervenir directement à l’époque, Moscou soutenait déjà le régime de Bachar el-Assad tandis que Ryiad était du côté des rebelles sunnites. De fait, le passage du baril sous les 100 dollars, à la mi-2014, a provoqué un décrochage du baril du rouble russe.
Les Saoudiens ont vu alors le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’un pétrole suffisamment bas pour contrer les nouveaux concurrents exploitant le gaz et pétrole de schiste aux Etats-Unis puisque le coût d’exploitation de ces opérateurs était estimé autour de 80 dollars. Les arrières pensées géopolitiques n’étaient pas absentes : une Amérique autosuffisante n’aurait plus besoin de l’Arabie saoudite – un pays accusé de financer le terrorisme islamiste – et pourrait se rapprocher davantage de l’Iran après la signature de l’accord nucléaire d’autant que l’appui de Téhéran est indispensable pour stabiliser l’Irak et pour venir à bout des djihadistes sunnites en Syrie.
Le problème pour les Saoudiens est que bien vite ils ont perdu le contrôle de la spirale car aucun autre pays membre de l’OPEP ne veut baisser sa production.
A mesure que le prix baissait, de nombreuses petites sociétés énergétiques américaines ont fermé des puits voire ont fait faillite. Mais les plus robustes ont réduit leurs coûts pour s’adapter de sorte, selon certains experts, que plusieurs acteurs des gaz et pétrole de schiste ont désormais un coût de production à peine au-dessus de 30 dollars. Ils ne gagnent pas d’argent mais ils sont en mesure de tenir.
Retour au point de départ donc à ceci près que, depuis l’été 2015, la Russie intervient militairement en Syrie pour soutenir le régime d’Assad.
Pour ne rien arranger aux affaires de l’Arabie saoudite, les stocks dans les pays industrialisés sont au plus haut niveau depuis les années 1930. En outre, l’Iran revient sur le marché pétrolier avec de grandes ambitions, notamment pour récupérer ses parts de marché en Europe, et que l’Irak veut augmenter sa production pour financer son développement après des années de guerre et de destruction.
Le prix du pétrole va donc demeurer sous pression encore quelque temps. La situation budgétaire de certains pays pourrait les inciter à réduire leur production.
James Butterfill, Directeur de la recherche et des stratégies d’investissement chez ETF Securities, suggère de regarder le prix d’équilibre budgétaire du pétrole plutôt que le coût de production. Selon ses chiffres, présentés récemment à Paris, si l’Arabie saoudite peut produire un baril autour de 20 dollars voire à 10 dollars, ce pays a besoin, pour faire face à ses dépenses, d’un baril à 106 dollars contre 96 dollars pour l’Algérie, 87 dollars pour l’Iran, 81 dollars pour l’Irak et 49 dollars pour le Koweit.
Face à la chute du prix du pétrole, Riyad a coupé dans les généreuses subventions accordées à ses sujets. Son déficit budgétaire se situe entre 15% et 20% du PIB.
Pour autant, il ne faut pas s’attendre à des mesures rapides. Pour John Butterfill, les principaux pays de l’OPEP, qui disposent de réserves financières imposantes et qui provoquent en partie les turbulences actuelles sur les marchés financiers en cédant massivement des actifs, espèrent se battre jusqu’en …2018. L’Arabie saoudite ne se retrouverait en situation de dette nette qu’à partir de 2017.
Sauf que certains pays, en premier lieu l’Algérie et le Venezuela, se trouvent dans une situation financière inquiétante et que cela pourrait provoquer des troubles sociaux.
L’OPEP a indiqué le 10 février qu’il s'attendait à un ralentissement de la croissance de la demande mondiale de pétrole en 2016. Elle prévoit un excédent d'offre de 720.000 barils par jour (bpj) cette année si ses membres maintiennent leurs niveaux de production de janvier. L'excédent était évalué précédemment à 530.000 bpj.
Dans ce contexte, il est impossible de prévoir le prix du pétrole à court et moyen terme. On peut seulement souligner que la tendance est clairement baissière. Comme les pays producteurs vont avoir besoin de liquidités et que des entreprises du secteur devraient faire faillite, les turbulences sur les marchés financiers devraient continuer…