Supprimer les paradis fiscaux ?

Les chefs d’Etat et de gouvernement européens semblent déterminés à lancer une offensive contre les paradis fiscaux lors du sommet du G20 d’avril à Lo

Les chefs d’Etat et de gouvernement européens semblent déterminés à lancer une offensive contre les paradis fiscaux lors du sommet du G20 d’avril à Londres. Dimanche 22 février, à l’issue d’une réunion à Berlin à l’initiative de la chancelière allemande Angela Merkel, les six principales économies européennes (Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Espagne et Pays-Bas) ont publié une déclaration finale au ton ferme : “Nous voulons concevoir des sanctions pour mieux nous protéger contre les dangers provenant des juridictions non coopératives, y compris les paradis fiscaux”. De nombreux petits Etats, dans les Caraïbes mais aussi en Europe, se sont fait une spécialité d’accueillir des fonds sans en demander l’origine.

C’est une opportunité exceptionnelle pour des réseaux criminels qui veulent blanchir leur argent. Selon certaines estimations, ce phénomène représenterait plus de 300 milliards de dollars par an. Un montant difficile à vérifier puisque le secret règne. Mais les paradis fiscaux permettent aussi à des entreprises de créer des structures discrètes pour verser des commissions. Il serait naïf de croire que les contrats à l’exportation ne se gagnent que sur les mérites des entreprises. Dans de nombreux Etats, des personnalités placées au coeur ou en périphérie de régimes corrompus exigent des versements de pots-de-vin. Des entreprises occidentales refusent. D’autres acceptent de céder pour obtenir des commandes faisant tourner des usines et générant une croissance des profits. Enfin, les paradis fiscaux séduisent des citoyens des pays occidentaux qui veulent placer tout ou partie de leur patrimoine à l’abri d’une fiscalité nationale qu’ils jugent confiscatoire. L’évasion fiscale représenterait plus de 35 milliards d’euros chaque année en France, selon diverses estimations.

Comme on le voit, les paradis fiscaux existent pour de multiples raisons. Peut-on les supprimer ? Constatons que dans un domaine comme le transport maritime les Etats occidentaux n’ont jamais réussi à supprimer les “pavillons de complaisance” alors que des navires poubelles naviguent sur tous les océans de la planète et provoquent de temps à autre des catastrophes écologiques. Pourtant, à l’heure de la surveillance par satellites, quoi de plus simple que de suivre des bateaux ? Pis, certains pays européens ont créé leur propre “pavillon de complaisance” pour faire face à la concurrence de micro-Etats. La France a ainsi créé, en 1986, le “pavillon Kerguélen” pour offrir des avantages fiscaux et sociaux aux navires de commerce.

Il est donc illusoire de penser qu’on pourrait supprimer les paradis fiscaux d’autant que tous les mouvements d’argent sont aujourd’hui dématérialisés. Faut-il pour autant s’en accommoder ? La lutte contre le blanchiment de l’argent doit s’accentuer. Une régulation plus forte est sans aucun doute nécessaire. Mais il ne faut pas rêver : la transparence n’est pas pour demain. La Suisse vient ainsi de montrer qu’elle n’avait pas l’intention de céder aux exigences américaines au sujet d’une levée du secret bancaire de la part de la banque UBS. Il serait douteux que les autres Etats visés acceptent de plier aux exigences des Etats-Unis et de l’Union européenne d’autant que plusieurs Etats européennes, dont la France, abritent déjà des paradis fiscaux.

Et si la solution consistait, pour les pays européens, à créer leurs propres paradis fiscaux ? Pour réduire la facture fiscale de ceux qui pourraient être tentés par l’évasion fiscale, la France a mis au point pas moins de 500 niches fiscales qui coûtent chaque année plus de 73 milliards d’euros ! Ce mécanisme n’empêche pas les grandes fortunes de partir vers la Belgique ou la Suisse. Parmi les niches fiscales, il y a des abattements pour les investissements dans les départements d’outre-mer (DOM). Problème : ces investissements, dans l’hôtellerie et le logement essentiellement, n’ont en rien résolu les problèmes économiques et sociaux de ces territoires, comme on le voit depuis le début de l’année en Guadeloupe. Les cadeaux fiscaux ont enrichi les riches entrepreneurs locaux, qui vivent de la rente, et n’ont pas permis de créer une dynamique de développement.

Créer des paradis fiscaux dans les départements d’outre mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion) permettrait de résoudre deux problèmes.

D’une part, installer une nouvelle activité économique dans ces DOM frappés par le chômage de masse. Il ne s’agit pas seulement d’immatriculer des sociétés financières mais de proposer des services divers. Ainsi, des centres de traitement des opérations financières et des centres d’appels pourraient voir le jour dans des zones franches. Des milliers d’emplois pourraient être générés en quelques années.

D’autre part, les établissements financiers de la France et des autres pays européens pourraient proposer à leurs clients de déposer leur argent dans des succursales installées dans ces territoires en bénéficiant d’une taxation moins forte. Il ne s’agit que de transformer ces DOM sur le modèle du Luxembourg, un Etat qui est membre de l’Union européenne contrairement à la Suisse. L’argent des citoyens français resterait ainsi en France et pourrait être utilisé pour financer des activités en France. Surtout, ces DOM devenus plateformes financières auraient pour mission d’attirer les fonds des autres pays en prenant garde de lutter contre le blanchiment, bien entendu. Prenons le cas des Antilles : les entreprises des pays pétroliers comme le Venezuela ou le Mexique pourraient placer leur argent dans des banques respectant les règles de l’Union européenne tout en offrant une certaine flexibilité dans la gestion. Même chose à La Réunion qui pourrait séduire les industriels indiens ou chinois ou des fortunes du Golfe à la recherche d’établissements leur offrant sécurité et rentabilité. On ne mesure pas l’attrait d’une zone économique intégrée comme l’Union européenne pour des investisseurs du monde entier.

Une telle évolution ne peut se faire que dans le cadre d’une réglementation politique très stricte sur place afin d’éviter une corruption généralisée et des conflits violents. C’est la raison pour laquelle il faudrait cibler les départements d’outre mer, où la tutelle de l’Etat est plus forte que dans les territoires et collectivités de type Polynésie Française ou Nouvelle Calédonie. Avec un programme articulé sur les paradis fiscaux, mêlant régulation plus forte pour lutter contre le blanchiment et développement de places dans ses DOM, la France peut résoudre plusieurs problèmes. Les obstacles sont nombreux mais le pari vaut d’être tenté.