Chypre : l’amer épilogue d’un psychodrame

par Alan Lemangnen, économiste chez Natixis

Après 12 jours de fermeture consécutifs, les banques chypriotes ont rouvert jeudi leurs portes dans le calme. Afin d’éviter une ruée sur les dépôts, les autorités chypriotes ont acté la mise en place d’un contrôle des capitaux qui pourrait être maintenu pendant un mois, le temps que la restructuration du secteur bancaire soit terminée.

Car c’est en effet sur une forme de « bail-in / bail-out » que se sont accordés les bailleurs de fonds internationaux dans la nuit du 24 au 25 mars derniers. En échange d’un programme d’assistance de 10 mds EUR, qui permettra de couvrir le besoin de financement de l’Etat sur la période 2013-2016, les deux principales banques chypriotes, la Bank of Cyprus (BoC) et la Cyprus Popular Bank (Laiki) (55% de l’actif du système bancaire, soit un peu moins de 450% du PIB chypriote) sont profondément restructurées, avec une sévère mise à contribution du secteur privé, particulièrement des dépôts non garantis.

Laiki est immédiatement liquidée, ses actifs sains et ses dépôts garantis transférés à la BoC, le reste de son bilan se retrouvant dans une « bad bank », financé par les dépôts non-garantis ; la BoC, quant à elle, est recapitalisée via une mise à contribution des actionnaires, des détenteurs de dette obligataire et des dépôts non garantis, lesquels pourraient subir jusqu’à 30% de pertes sur leurs avoirs.

Chypre s’engage par ailleurs à réduire substantiellement la taille de son secteur bancaire en vue de le ramener à 350% du PIB en 2018, contre un peu moins de 800% à ce jour. Enfin, diverses mesures fiscales, un programme de privatisations et le rééchelonnement d’un prêt de 2,5 mds EUR complètent le volet restructuration pour réduire le besoin de financement de l’Etat.

Avec la réouverture des banques, le psychodrame de ces 15 derniers jours semble trouver son épilogue. Mais le constat est amer et tout le monde sort perdant de cet épisode :

  • Les Chypriotes d’abord, qui vont dorénavant devoir subir les affres de l’austérité et de la récession. Si le recours au bail-in sera bénéfique à court terme pour les finances publiques, il affectera en revanche lourdement la croissance de l’économie chypriote. La restructuration du système bancaire met en effet à bas un pan entier du modèle de croissance sur lequel s’est construite Chypre depuis son accession à l’Union en 2004, à savoir celui d’une économie de services fondée sur le tourisme et le secteur financier. Une forte récession est donc à attendre cette année et l’année prochaine, accompagnée d’une augmentation substantielle du chômage, d’autant plus que Chypre ne dispose d’aucun véritable relais de croissance, tant du côté de l’offre que de la demande. Si bien qu’au final, la récession pourrait effacer le bénéfice à court terme du bail-in et porter la dette publique à plus de 100% du PIB dès 2014.
  • Les déposants non garantis et les investisseurs ensuite, qui payent l’intégralité de la facture du bail-in bancaire. Les engagements de Laiki et BoC étant en effet essentiellement composés de dépôts, dont une large part non-garantie, ce sont ces derniers qui vont contribuer le plus à la restructuration, avec des pertes qui seront certainement substantielles. Concernant le modèle que pourrait constituer Chypre pour d’autres programmes d’ajustement en zone euro, il apparaît à ce sujet que l’éventualité d’une mise à contribution du secteur privé est dorénavant plus élevée que par le passé, bien que la forte implication des dépôts non-garantis semble avant tout liée à la singularité de la question souveraine et bancaire chypriote.
  • Les institutions européennes et la zone euro enfin, qui auront une fois de plus échoué à assurer une gestion ordonnée de la crise. Les défaillances en termes de communication et le manque de pédagogie, notamment autour de la proposition de taxation des dépôts, puis de la participation des dépôts non-garantis, sont flagrants et ont contribué à propager un sentiment de panique parmi les Chypriotes et de profonde inquiétude sur les marchés.

La crise est donc loin d’être terminée en zone euro, ou du moins pas pour tout le monde.

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