par Olivier Le Cabellec, Bénédicte Kukla et Anna Sienkiewicz, économistes au Crédit Agricole
• Après d’intenses négociations qui auront duré une dizaine de jours et provoqué la fermeture temporaire des banques, le gouvernement chypriote et la Troïka (FMI, UE, BCE) se sont mis d’accord pour le sauvetage financier de l'île, entraînée par la faillite de son secteur bancaire.
• Au-delà des flottements de communication, le plan de sauvetage choisi est plutôt pertinent, car il combine préservation de la zone euro et atténuation de l’impact négatif sur la population chypriote, tout en sanctionnant les dérives d’un système bancaire et d’un modèle de paradis fiscal, à la gouvernance discutable, au sein de l’UE.
• Ce sauvetage permet effectivement d’éviter un défaut souverain et une sortie désordonnée de la zone euro ; mais les modalités du soutien sont inédites dans l’UE, car les déposants des banques vont être fortement sollicités.
Au total, comme il avait été convenu à l’origine des négociations, l’UE et le FMI se sont donc engagés à prêter 10 Mds € et l’État chypriote va apporter 7 Mds €. Les dépôts supérieurs à 100 000 €, seuil de la garantie des dépôts, vont être fortement mis à contribution dans les deux principales banques : les pertes sur ces dépôts vont s’élever à 40% à Bank of Cyprus et 60% à Popular Bank of Cyprus (Laiki Bank) dont la faillite va être organisée par l’État. Actionnaires et créanciers paieront pour la restructuration et le démantèlement de la deuxième banque du pays, qui sera en partie absorbée par la première, Bank of Cyprus. Cette mesure spécifique est évidemment une réponse au caractère particulier des dépôts chypriotes, composés en partie des fuites de capitaux russes.
Deux risques importants subsistent néanmoins pour l’économie chypriote. À court terme, le contrôle des capitaux ne pourra pas durer longtemps dans un pays de la zone euro et le risque de fuite massive des dépôts (russes et européens) après la levée des restrictions est élevé. Les soutiens en liquidités de la BCE pourraient donc s’avérer plus importants que prévu. À court et moyen terme, une accentuation des difficultés économiques est inévitable. Une sévère récession va durer pendant deux à trois années et la maîtrise du ratio de dette publique sur PIB au plafond de 100% à horizon 2020 souhaitée par la Troïka n’est pas assurée. La transformation d’une économie de paradis fiscal en une économie plus diversifiée, selon un modèle encore à inventer, sera difficile dans le cas chypriote en l’absence, à ce stade, de flux d’exportations permettant un redressement de la balance des paiements. C’est l’autre point de faiblesse majeur du pays, après l’hypertrophie de son système bancaire.
Concernant les risques de contagion au sein de la zone euro, ils sont pour l’instant limités vis-à-vis des pays de la périphérie. Le cas chypriote a néanmoins ravivé le risque de fuite des dépôts et les difficultés de refinancement des banques les plus fragiles.
La crise chypriote a aussi jeté une lumière assez crue sur les grandes faiblesses institutionnelles de l’UE et de la zone euro, faiblesses qui rendent absolument nécessaire une meilleure organisation de la surveillance macro-bancaire, la mise en place d’une union bancaire et le renforcement de l’harmonisation fiscale au sein de l’UE. Les défauts de communication et le manque de pédagogie auprès des peuples européens doivent aussi être soulignés.
Ce qui a été conclu entre le gouvernement et la Troïka
En échange d'une aide de 10 Mds € dont 1 Md en provenance du FMI, et le reste de l'UE (via le Mécanisme Européen de Stabilité, MES), le secteur bancaire va être restructuré, Popular Bank of Cyprus (Laiki Bank) sera démantelée et les déposants résidents et non-résidents de Laiki Bank et de Bank of Cyprus vont se voir imposer une décote sur les dépôts de 40% à Bank of Cyprus et de 60% à Laiki Bank au-delà de 100 000 €. Par ailleurs, les 40% de dépôts échappant à la ponction de 60% vont être bloqués pendant six mois.
Cette mesure, mise en œuvre sous la forme d’un prélèvement à la source sur les dépôts lors de la réouverture des banques, va permettre de saisir 4,2 Mds €, en plus des 10 Mds d'aide multilatérale.
L'attribution aux déposants ponctionnés d’actions Bank of Cyprus en compensation à hauteur de 37,5% est plutôt politique et cosmétique, car la valeur de ces titres devrait rester très basse et ne progressera que si les banques redeviennent rentables, ce qui reste peu probable à moyen terme. Les pertes assumées par les actionnaires et les créanciers obligataires des banques sont également un élément favorable du plan de sauvetage, car elles illustrent le maintien de la hiérarchie des créanciers dans les cas de faillite. Le montant de leurs pertes en capital est néanmoins élevé, notamment à Laiki Bank.
Le corollaire du plan de sauvetage est la réduction de la taille du système bancaire chypriote. La cession des filiales et succursales des banques chypriotes en Grèce est désormais pratiquement bouclée. Les implantations grecques de Bank of Cyprus et Laiki Bank vont être prochainement intégrées dans le groupe bancaire grec Piraeus Bank. Ceci devrait permettre au système bancaire de l'île de retrouver une taille plus raisonnable par rapport à l'économie chypriote, en diminuant de presque 40% et de se rapprocher ainsi de la taille moyenne européenne (ratio actifs sur PIB de 4,2 contre un objectif de 3,5 environ).
Une autre condition du plan de sauvetage est un audit par un institut indépendant sur la gouvernance dans le système bancaire et le blanchiment d’argent. Les autorités chypriotes semblent avoir pris la mesure des dérives passées. Selon le président Anastasiades, la classe politique sera également concernée par l’enquête à venir qui va être diligentée par trois anciens juges de la Cour suprême. La Commission d’enquête va déterminer si d’éventuels délits d’initiés ont eu lieu et étudier la légalité de transferts bancaires avant la crise. La démission du Ministre des Finances, Michael Sarris, nommé il y a seulement un mois s’inscrit dans le cadre – de cette enquête compte tenu de ses fonctions de Président de Popular Bank au cours des six premiers mois de 2012.
Le but ultime de cet accord est donc bien de maintenir le «plafonnement» du ratio de dette publique sur PIB à 100% à horizon 2020 pour que la solvabilité de l’État puisse être assurée.
Ce que le nouveau plan de sauvetage a permis d’éviter
Pour les autorités européennes et le gouvernement chypriote, il a fallu trouver un accord pertinent et équilibré pour, d’une part sanctionner les dérives d’un système bancaire discutable et, d’autre part, éviter les effets délétères d’un aléa moral en Europe, tout en protégeant la population d’une trop forte contribution financière et économique. Le plan de soutien répond bien à ces objectifs. Il a surtout permis d’éviter les événements suivants.
– Un défaut souverain de l’État chypriote et l'effondrement du système bancaire
Un soutien total de l’UE, sans participation du secteur privé, aurait rendu l’État insolvable avec une dette publique de plus de 140% du PIB. Le défaut souverain serait intervenu tôt ou tard et aurait entraîné le système bancaire dans sa chute, puisque celui-ci détient l'essentiel des titres d'État. L’hypothèse d’un défaut unilatéral de l’État, repoussée par le nouveau président Anastasiades et la BCE qui craignait des risques de contagion sur l’Europe du Sud, était assez élevée, compte tenu du refus du Parlement d’avaliser le premier plan de soutien qui prévoyait de mettre à contribution tous les déposants dès le premier euro. Le nouveau plan évite donc cet écueil, car les effets récessifs du scénario de défaut auraient été bien plus forts que ceux du plan de sauvetage. Toutefois, le couple dette publique/dette externe positionne Chypre dans une zone de double surendettement qui maintient le pays dans une zone de forte fragilité.
– Une sortie de Chypre de la zone euro
Cet événement semblait un corollaire évident d’une absence d’accord entre la Troïka et l’État chypriote qui aurait provoqué l’arrêt du financement d’urgence déjà opéré par la BCE auprès des banques locales. Il aurait provoqué un défaut souverain et bancaire désordonné et une sortie quasi-certaine de la zone euro. Il n’est pas certain que les avantages d’un retour à la livre chypriote fortement dévaluée en termes de regain de compétitivité et de relance commerciale aient pu compenser les effets négatifs d’une hyperinflation et d’une crise de liquidité.
– La saisie des fonds des petits déposants
Le nouvel accord permet de protéger les « petits » épargnants ayant moins de 100 000 € de liquidités, en leur évitant d’être taxés à hauteur de 6,75% comme prévu dans le premier plan. C’est assurément un signe positif et qui ne pénalise pas une population peu responsable, malgré tout, des errements de la politique économique et des dérives de son système bancaire. Il permet aussi de réaffirmer le principe et les lois de garantie des dépôts au sein de l’UE en dessous du seuil de 100 000 €, principe qui avait été écorné dans la première version du plan.
La protection des fonds de pension. Le gouvernement a, un temps, proposé leur utilisation pour financer la part chypriote du plan de sauvetage, mais cette solution avait été reçue peu favorablement par l’UE. Comme dans le cas des dépôts des petits épargnants, le maintien du système de protection sociale semble indispensable dans un pays de l’UE, compte tenu de l’approfondissement de la crise sociale à venir. La double protection des dépôts bancaires et des fonds de pension de la population est évidemment socialement beaucoup plus acceptable et permet d’atténuer le risque politique et d’instabilité sociale.
– Un aléa moral préjudiciable
Un aléa moral très préjudiciable à la stabilité de la zone euro est évité. Un soutien inconditionnel et discrétionnaire de l’UE au système bancaire chypriote sans participation du secteur privé aurait eu pour effet d’adresser un signal très défavorable en termes de gouvernance européenne : comment moralement justifier de faire porter au contribuable européen le coût financier des dérives d’un système bancaire et indemniser des dépôts de non-résidents (Russes essentiellement) dont l’origine est douteuse ou ceux d’autres Européens uniquement attirés par un dumping fiscal fort rémunérateur depuis quelques années ?
On sent, dans les dernières annonces de l’Eurogroupe, que la volonté résoudre les futures crises bancaires dans la zone euro, en soutenant systématiquement les banques en difficulté, a fortement diminué. La volonté de ne pas laisser se développer un aléa moral générateur de dérives financières futures a été renforcée par la crise chypriote et le plan de sauvetage finalement adopté.
Quel est l’avenir de Chypre après le plan de sauvetage ?
– A court terme : un risque de fuite des capitaux
Le premier risque à court terme est celui d’une fuite massive des dépôts des non-résidents, notamment des Russes, après la suspension du blocage des comptes et du contrôle des capitaux à l’échéance de la période de blocage de six mois, soit début octobre 2013. D'ores et déjà, l'image de paradis fiscal est fortement affectée, et la perspective d’une fuite des dépôts de la part des non-résidents semble une évidence, une fois levées les mesures de contrôle des capitaux.
Par ailleurs, un contrôle des capitaux dans un pays de la zone euro est tout à fait exceptionnel et inédit. Même légal selon les textes qui gouvernent la zone, il ne pourra perdurer trop longtemps et les responsables chypriotes ont réaffirmé son caractère temporaire (six mois). La Banque centrale de Chypre estime qu’une fuite de 10% des dépôts (soit 7 Mds €) est envisageable après la libéralisation du contrôle des capitaux. Cette hypothèse semble très basse. Les dépôts des Russes hors interbancaire représentent environ 20 Mds € avant haircut et sans doute 15 Mds après pertes imposées aux déposants. Le risque que la totalité de ces dépôts quitte le pays, soit 20% du total des dépôts, est assez élevé. Les soutiens en liquidité de la BCE pourraient donc s’avérer plus importants que prévu, si les actifs liquides des banques ne sont pas (ce que nous croyons) aussi facilement cessibles qu’annoncé par la Banque centrale. Or, les conséquences d’une telle décision ne doivent pas être sous-estimées, car le bilan consolidé du système bancaire, s’il résout son problème de solvabilité par le plan de soutien, va affronter de sérieux défis dans les prochaines semaines en termes de liquidité. Dans le cadre du plan, la question du traitement des banques coopératives, fortement fragilisées par la crise financière et à la transparence financière très médiocre n’a pas été abordée, alors que c’est un sujet important compte tenu de leur taille (10 Mds € de prêts, soit 59% du PIB du pays).
Enfin, le risque de développement d’un cercle vicieux, enchaînant baisse du crédit, hausse des créances douteuses dans les banques et accentuation des effets récessifs sur l’économie, pourrait s’intensifier au cours des prochains trimestres.
– L’approfondissement de la récession est certain et les difficultés économiques et sociales vont s’accentuer
La saisie des dépôts va accentuer la crise économique, car les Chypriotes sont déjà surendettés. L’effet de choc de la remise en cause du modèle de développement va accentuer la récession. Elle était prévue à environ 3,5% en 2013 et devrait plutôt s’établir autour de 10% et perdurer à 4% en 2014. La maîtrise du ratio de dette publique sur PIB au plafond de 100% maximum à horizon 2020 souhaitée par la Troïka n’est donc pas assurée, si le PIB se contracte de plus de 15% dans les deux prochaines années. Ceci va donc faire peser sur l’économie de l’île des défis budgétaires et de réformes structurelles lourdes. Les privatisations envisagées devront donc se montrer suffisamment attractives pour des investisseurs étrangers, malgré l’environnement défavorable.
Malgré la protection des dépôts inférieurs à 100 000 € et la préservation des fonds de pension, les conséquences sociales seront lourdes. En termes de chômage, la restructuration bancaire et la fusion2 des deux principales banques du pays vont provoquer une hausse des licenciements dans le secteur financier qui emploie le plus de main d’œuvre. Le taux de chômage est à 14% en février 2013 et une hausse à 20% au cours de l’année 2013 est probable.
Enfin, l’île devrait continuer à souffrir de la contraction des autres secteurs de l’économie, notamment l’immobilier. Le relais du tourisme devrait aussi être limité, dans la mesure où de nombreux non-résidents ayant des comptes à Chypre et participant au développement touristique pourraient se détourner de l’île après les pertes sur les comptes.
– La difficile sortie du modèle de paradis fiscal
La troisième difficulté est la sortie du modèle de paradis fiscal (les activités financières offshore étant le premier pilier économique de l’île) et l’invention d’un nouveau modèle économique. Même si l’UE n’a pas officiellement remis en cause le statut fiscal de l’île en n’augmentant l’impôt sur les sociétés que de 10 à 12,5%, la matérialisation du risque systémique bancaire, avec une perte en capital très élevée pour les déposants, signe la fin d’un modèle de développement de paradis fiscal pour Nicosie. Cette volonté est sans doute implicite dans les décisions prises par les responsables de la zone euro, lors de l’élaboration du plan de sauvetage.
Mais la transition vers un autre modèle sera longue et douloureuse. D’une part, parce que Chypre exporte très peu et que le tourisme ne représente que 14% du PIB de l’île et est insuffisant pour servir de relais économique. D’autre part, parce que le déficit de la balance courante suggère une surévaluation du change et des pertes de compétitivité élevées qui ne peuvent être compensées que par d’importantes réductions salariales. Les découvertes gazières maritimes au sud-est du pays sont une chance pour l’avenir de l’île, mais les estimations de réserves font encore l’objet de chiffrages très contrastés et imprécis. L’exploitation de ces champs ne pourra pas intervenir avant quatre ou cinq ans et nécessitera des investissements de plusieurs milliards d’euros. Le redressement de la balance commerciale et l’équilibre de la balance des paiements sont les prochains défis auxquels Chypre va être confronté et les recettes gazières futures pourront l’y aider, mais seulement à un horizon de moyen terme. La sortie de crise sera donc particulièrement difficile pour Chypre.
Quelles conséquences pour l’UE et la zone euro ?
– Les relations avec la Russie : peu d’impact
Il y aura peu de conséquences négatives, malgré le coût élevé pour l’oligarchie Russe de la saisie d’une grande partie des dépôts. La Russie a annoncé qu’elle allait restructurer et allonger le prêt de 2,5 Mds € accordé à Chypre en 2011, mais n’apporterait pas de nouveau soutien financier. Les protestations officielles du gouvernement russe sont restées plutôt formelles. De plus, le positionnement politique du gouvernement russe, favorable à une intensification de la lutte contre la corruption et qui souhaite le retour des fonds ayant fui le pays, n’entre pas en contradiction avec le traitement de la crise chypriote qui pénalise les fuites de capitaux, vu du côté gouvernemental russe. En revanche, les capitaux russes devraient plutôt se déplacer vers d’autres places offshore (type Singapour) que rentrer en Russie.
– Le risque de contagion à la Slovénie: comparaison n’est pas raison
Certains opérateurs de marché cherchent au sein de la zone euro des pays qui connaîtraient des caractéristiques de fragilité similaires à Chypre. La Slovénie est actuellement victime d’une crise majeure de son système bancaire étatisé, issue d’une bulle de crédit immobilière et d’un surendettement des entreprises qui la rapproche par certains côtés de l’économie chypriote, plusieurs fondamentaux rendent la comparaison très peu pertinente. Tout d’abord, la Slovénie n’est pas un paradis fiscal. De plus, le secteur bancaire est moins hypertrophié (taux d’intermédiation de 120% du PIB, pour 600% à Chypre) et les créances douteuses représentent 22% du PIB (contre40p0lus de 100% à Chypre). Les aides de la BCE en liquidités représentent 2% du PIB (contre 52% à Chypre).
Sur la solvabilité souveraine, la Slovénie dispose d’amortisseurs avec une dette publique de 53% du PIB en 2012, amortisseurs dont ne dispose plus Chypre avec un ratio de presque 90% en 2012. Enfin, si la dette externe slovène est élevée (130% du PIB), le solde courant est positif depuis de nombreuses années grâce à des flux d’exportation récurrents. À titre de comparaison, la balance des paiements chypriote est dramatiquement déficitaire (solde courant annuel entre -6 à -11% du PIB compensé par des dépôts bancaires assez instables) et la dette externe est exponentielle (4,5 fois les recettes des exportations de biens et services).
Un soutien UE-FMI n’est pas donc exclu pour la Slovénie en 2013, si les actifs des banques se détériorent à nouveau, si les tensions de marché persistent et si les taux de refinancement restent élevés (environ 350 pdb). Mais l’aide prendra alors la forme d’un stand-by FMI-UE qui stabilisera les finances, apaisera les marchés et devrait être absorbé dans la durée par des programmes d’ajustement par ailleurs en cours de mise en place par le nouveau gouvernement. Une aide de 10% du PIB (4Mds€ environ) positionnerait la Slovénie dans la moyenne des six pays d’Europe centrale ayant déjà reçu une aide FMI-UE depuis le déclenchement de la crise.
– En Lettonie : un impact peu probable
De son côté, la Lettonie a la particularité d’avoir à la fois un système bancaire où 50% de dépôts proviennent de non-résidents, très majoritairement Russes, compte tenu de la proximité géographique avec la Russie et de l’existence d’une forte minorité russe dans le pays. Certains observateurs estiment que les dépôts des Russes dans les banques chypriotes pourraient se relocaliser en Lettonie. Le système bancaire letton, non dépourvu d’accidents de parcours, est principalement détenu par des banques scandinaves financièrement solides qui n’accepteront pas les dépôts russes d’origine douteuse. Certains dépôts pourraient effectivement se relocaliser de Chypre en Lettonie, comme cela a été constaté en 2012 et 2013. Néanmoins, il n’est pas sûr que les Russes ne lui préfèrent pas des places financières à fiscalité avantageuse, perçues comme plus sécurisantes comme Singapour.
– Pour les autres pays fragiles de la zone euro, la réaction des marchés a été pour l’instant relativement limitée sur le souverain
Les taux de rendement sur les titres souverains des pays de la périphérie n’ont que légèrement augmenté. Néanmoins, l’agence de notation Moody’s estime que la gestion de la crise chypriote par les autorités européennes a été encore plus confuse que lors des crises précédentes – voire imprudente. L’agence a ainsi maintenu ses perspectives négatives sur l’Irlande et le Portugal, citant des risques accrus de chocs au sein de la zone euro.
La plupart des pays de la périphérie est déjà sous programme d’ajustement incluant, entre autres, la recapitalisation ou la restructuration de leurs systèmes bancaires. Le risque de faillite systémique y est donc réduit. L’Italie ne bénéficie pas de plan de sauvetage, mais la taille et la situation du secteur bancaire sont sans commune mesure avec celles des banques chypriotes. Le caractère modéré de la contagion s’explique à la fois par le fait que Chypre est un cas singulier en Europe et que l’exposition de la plupart des acteurs européens est très faible. Néanmoins, la pression des marchés reste encore importante pour les pays de la périphérie, notamment sur le Portugal, qui doit retourner sur les marchés financiers pour la première fois depuis le début de son programme d’aide conclu en 2011.
– Mais les conditions de financement des banques sont durablement altérées
Cette crise aura vraisemblablement un impact sur l’ensemble des banques européennes. On observe déjà une remontée des CDS bancaires, témoignant d’un regain d’aversion au risque bancaire. Pour la première fois, les créanciers seniors et les gros déposants sont mis à contribution dans le cadre d’une restructuration bancaire, alors que l’expropriation récente des créanciers subordonnés dans le cas de SNS aux Pays-Bas avait déjà surpris. Cela tend à réduire encore la visibilité des investisseurs sur la façon dont seront traités les différents types de créanciers lors d’une prochaine faillite bancaire.
Depuis 2008, de nombreux États européens ont élaboré des réglementations sur la résolution des faillites bancaires au niveau national. Or, les modalités de mise à contribution des différents types de créanciers varient d’un pays à l’autre, en particulier pour les créanciers seniors et pour les dépôts non garantis. Dans ce contexte, la mise en place d’un mécanisme européen de résolution bancaire, probablement pas avant fin 2013, permettra d’homogénéiser la réglementation et de rendre la gestion des crises bancaires plus prévisible. D’ici là, la question est de savoir si le cas de Chypre servira d’exemple – la communication des autorités européennes sur ce point ayant été assez contradictoire.
Quoi qu’il en soit, la tendance à privilégier est la « résolution » des banques en faillite via la mise à contribution des créanciers privés, plutôt qu’une recapitalisation par les fonds publics. Cela devrait du même coup réduire la portée des interventions potentielles du MES dans le futur directement auprès des banques, sans passer par les comptes publics.
Par ailleurs, la tentative avortée de taxe sur les dépôts garantis, puis la médiatisation de citoyens européens incapables d’accéder pleinement à leurs comptes en banque devrait avoir des conséquences sur le comportement des déposants, en particulier dans les autres pays européens affectés par une fragilité bancaire.
Enfin, cette mesure crée un précédent qui pourrait affaiblir d’autres places offshore européennes, car le contrôle des capitaux sera dorénavant une hypothèse crédible. En cela, Chypre, comme la Grèce précédemment, est en train de déplacer certaines conventions importantes, et ce sans doute de façon durable. C’est peut-être l’un des aspects les plus importants de cette crise.
Toutefois, cela pourrait aussi avoir des effets positifs en termes d’assainissement de places financières à la gouvernance discutable.
– Le contrôle des capitaux au sein de la zone euro
Cette mesure totalement inédite au sein d’une union monétaire pose aussi des questions de fond sur « l’universalité » de la devise euro dans la zone euro. De plus, la question de la durée du contrôle des capitaux à Chypre reste à ce stade irrésolue et dépendra du volume des fuites des dépôts dans les jours à venir. Les banques chypriotes devraient accroître leur dépendance à la liquidité Banque centrale (ELA).
– La question de l’harmonisation fiscale au sein de la zone euro
Avec un taux d’imposition sur les sociétés de 10% à Chypre en 2008 et de 33,3% en France, le sujet de l’harmonisation fiscale au sein de la zone euro n’est pas nouveau. Avec la crise, il est devenu politiquement de plus en plus difficile d’apporter de l’assistance financière à des pays qui sont accusés de « dumping fiscal ». De plus, pour Chypre, ainsi que pour l’Irlande, la fiscalité avantageuse a entraîné des rentrées de capitaux excessives qui ont conduit à une hypertrophie de leurs systèmes bancaires ce qui, combiné à un système de régulation financière limité a créé une bulle de crédit de nature spéculative.
Il est donc nécessaire de rééquilibrer la fiscalité en zone euro, mais progressivement. En effet, ces économies sont aujourd’hui plus que jamais dépendantes de leur fiscalité avantageuse. Il sera difficile d’imposer une hausse trop importante de leurs taux d’imposition dans un contexte de récession (reprise molle en Irlande), où le retour de l’investissement (surtout étranger) sera primordial pour assurer une reprise de la croissance. En effet, certains avantages fiscaux devraient perdurer, peut-être dans la forme de création de niches fiscales avec comme objectif de ré-industrialiser les pays du sud de l’Europe.