Chypre : un sauvetage de grande ampleur

par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management

L'économie chypriote vient de se voir appliquer un plan de soutien de grande ampleur puisque l'aide apportée par l'Union Européenne et le FMI représentera plus de 50% du PIB (10 milliards d'aide à comparer à un PIB de 17.9 Milliards d'€ en 2012). Ce plan est à mettre en regard d'une demande qui représentait environ 17 Milliards. Un plan d'aide d'une telle ampleur n'était pas possible directement puisqu'il représentait quasiment 100% du PIB et doublait spontanément la dette chypriote en pourcentage du PIB.

Les 7 milliards restant vont provenir de recettes de privatisations, d'une hausse de la fiscalité sur les entreprises (1.4 Mds pour les deux mesures) et d'une taxation sur les dépôts bancaires: a priori un taxe de 6.75% serait appliquée aux dépôts de moins de 100 000 euros et de 9.9% pour les dépôts supérieurs à ce montant (des discussions ont eu lieu en fin de journée dimanche pour moduler ces taux à 3% pour les dépôts de moins de 100 000 et 12.5% au-delà (deux taux étaient aussi évoqués pour les montants au-delà de 100 000 selon que le montant est inférieur ou supérieur à 500 000 euros)).

Cette situation de fragilité a deux origines. La première est l'absence de reprise de l'activité économique depuis le début de la crise. Cela pèse sur la dynamique des finances publiques (…) Le PIB recule de façon significative depuis la mi-2011. En 2012 l'activité a reculé de -2.4%.

L'autre fragilité vient du secteur bancaire, dont la taille est imposante puisque les actifs bancaires représentent 8 fois le PIB. Il a subi trois types de déformations. Chypre est un lieu de dépôts bancaires russes. Il y a certains avantages fiscaux à avoir des dépôts à Chypre pour les russes. Les dépôts étrangers représentent 100 % du PIB environ.

Le marché de l'immobilier s'est développé rapidement engendrant une hausse significative de la dette hypothécaire (plus de 25% de hausse par an de 2006 à 2011). Le marché immobilier a changé de tendance avec le repli de l'activité et pénalisé les banques. Le troisième aspect est l'impact de la restructuration de la dette grecque. Celle-ci était très importante dans les portefeuilles bancaires puisque le coût du PSI a été estimé à 25% du PIB.

Ces déformations bancaires sont au cœur du besoin de restructuration du secteur et de son besoin de fonds supplémentaires.

Cette situation pose 4 questions La première est celle de la garantie des dépôts. En l'absence de la possibilité de faire payer le détenteur de la dette publique par une restructuration, c'est le détenteur des dépôts bancaires qui est mis à contribution. La situation est complexe en raison du poids des dépôts étrangers dans le secteur bancaire chypriote et des sources obscures qu'ils peuvent avoir. De ce fait, la discussion n'a pas porté sur la mise en œuvre d'une taxe sur les dépôts élevés mais sur la taxation des dépôts de moins de 100 000 euros (On lira avec intérêt cet article du Financial Times sur la fixation des taux d'imposition et le rôle de la BCE dans la négociation http://on.ft.com/WuF44K ). La mise à contribution des résidents chypriotes fait qu'il n'y a plus de garantie des dépôts. Celle-ci n'existait pas à Chypre mais c'est faire rentrer néanmoins dans la régulation bancaire européenne un nouveau mode d'ajustement. On notera une fois encore que le MES n'a pas eu de contribution.

Le montant des taxes sur les dépôts des résidents a fait l'objet d'intenses discussions et le taux pour les dépôts de moins de 100 000 euros sera certainement modulé. C'est un moyen aussi pour le gouvernement de faire passer l'ensemble des mesures au parlement où le président ne dispose pas d'une majorité absolue. Le nouveau président chypriote Mr Anastasiades dispose via son parti d'un contrôle sur 20 sièges et une coalition regroupant le parti Démocratique (8 sièges), le parti Européen (2 sièges). Il lui faut 28 sièges sur 56 d'où la nécessité de négocier encore et de maintenir fermées les banques encore mardi. (Les montants des dépôts qui serviront de base à la taxation ont été figés vendredi soir). La situation politique n'est pas gagnée.

Le 3ème point important sera l'effet de contagion vers les autres pays. A Chypre les distributeurs de billets sont vides et il est probable que cette situation nouvelle va engendrer une économie plus "liquide" pendant un moment. Dans les autres pays il y a deux questions distinctes qui sont posées. La première est la réaction immédiate des résidents. Va-t-il y avoir une défiance forte vis-à-vis des dépôts bancaires? Pour l'instant lors des autres plans de sauvetage il n'a pas été noté de panique bancaire entrainant des retraits massifs. Sera-ce la même chose ici ? La question est plus complexe car l'ajustement s'est fait en grande partie sur les dépôts bancaires ce qui ne s'était pas fait encore à cette échelle. C'est en cela que des réactions nouvelles pourraient être observées. En outre les procédures de sauvetage évoluent et donnent désormais un rôle plus important aux déposants. Cela peut être une source d'incertitude et modifier ainsi en profondeur les comportements.

Le 4ème point sera le rôle qui sera tenu par la BCE. Elle doit par des procédures d'apport de liquidités, veiller à réduire les risques de panique et de contagions. Elle doit sur ce point avoir une action stabilisante.

Deux semaines après les élections italiennes, la situation de Chypre est une nouvelle source de perturbation en modifiant de façon unilatérale la valeur des dépôts détenus dans les banques. Les modes d'ajustement changent et fragilisent potentiellement le déposant. La façon dont le système s'ajuste se modifie en profondeur et en fait porter le poids directement par le citoyen, sans plus aucune intermédiation. Le risque est que cela soit perçu comme un choc par ceux qui le subissent, incitant les européens à modifier leur attitude en considérant que ce sont eux qui font les sacrifices de la crise.
Il y a des réductions d'emploi en raison d'une activité insuffisante, si en plus les dépôts peuvent être une source d'ajustement on ne peut exclure des situations plus instables qui pourraient à terme être pénalisante pour la construction européenne.