par Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva.
S’agissant d’énergie et d’environnement, je voudrais commencer par rendre un hommage. Un hommage à la contribution essentielle des Etats-Unis au débat mondial sur le problème crucial du changement climatique ! Je veux rendre hommage au vice-président Al Gore et à son étonnant film « Une vérité qui dérange ». Qui, en Europe, aurait cru que le message le plus énergique, le plus fort sur le changement climatique serait venu des Etats-Unis, d’un pays où les émissions de CO² par habitant avoisinent les 20 tonnes, contre une moyenne mondiale de 4,2 tonnes ? Un pays montré du doigt pour sa réticence envers les mécanismes du protocole de Kyoto ?
Nous savons tous, bien sûr, qu’Al Gore n’a rien découvert de nouveau sur le changement climatique, qu’avant lui tout a été dit par d’éminents experts et scientifiques, dont certains sont présents dans cette assistance. Mais la façon dont il a présenté la situation au monde est tout simplement digne d’admiration. La cause de notre changement climatique avait besoin d’un porte-parole, et sa vérité qui dérange a réveillé les consciences endormies de ceux qui croyaient que la vie et la machine des affaires allaient continuer de tourner pendant des décennies.
Maintenant que nous savons que le « carbone est notre ennemi » – pour parler comme Angel Gurrias, secrétaire général de l’OCDE – que devons-nous faire ? Je devrais même dire : qui voulons-nous être ? Les méchants qui continuent à compromettre l’avenir de la planète ? Ou les héros de la vie quotidienne qui, à travers de petits gestes, maîtriseront un phénomène sans précédent ?
Nous savons tous que cela ne suffirait pas. En tant qu’« acteurs de la vraie vie » du film d’Al Gore, nous devons trouver de meilleures façons de laisser notre empreinte dans l’histoire du monde. Et être ceux qui non seulement se sont montrés sensibles à la réalité indéniable du changement climatique, mais ont aussi su faire preuve de l’engagement, de la promptitude et de l’imagination nécessaires pour influer sur le cours des événements.
N’ayons par peur de regarder la réalité en face : nous sommes confrontés à une révolution, une révolution énergétique mondiale, la troisième de notre histoire récente. La 1re, au XIXe siècle, était celle du charbon et de la valeur ; la 2e, qui a vu le jour au XXe siècle, a été celle du pétrole et de l’électricité. Aujourd’hui, les facteurs de la troisième révolution sont :
o Des ressources fossiles limitées ;
o Une forte croissance économique dans les pays émergents ;
o Une croissance démographique, avec 3 milliards de personnes en plus d’ici 2050 ;
o Un changement climatique.
Les Américains et les Français savent qu’en période de révolution, on peut toujours choisir d’être du bon ou du mauvais côté. En ce qui concerne la crise énergétique actuelle, choisir le mauvais côté signifie abandonner, la force d’inertie étant si grande quand le sujet est abordé que la bataille semble perdue d’avance. Cela signifie faire le choix le plus facile, même si c’est aussi le pire des choix.
Le bon côté, quant à lui, n’est certainement pas attrayant. Il suppose de s’attaquer à de très gros problèmes, comme l’avenir de nos habitudes en matière de transport. Et lorsqu’il s’agit de trouver des remèdes pour réduire les émissions de CO² dans les transports, des milliards de dollars de recherche et de développement nous séparent des solutions qui devront être mises en oeuvre.
Il nous faut également financer nos programmes de recherche et de développement pour la production d’énergie, par exemple en matière de capture et de stockage du carbone, et poursuivre la recherche et le développement concernant le transport de l’électricité, responsable d’importantes pertes d’énergie, et les capacités de stockage avancé, afin de tirer un meilleur profit de la production d’énergie éolienne et d’énergie solaire. Ces solutions ne sont pas encore une réalité, et il faudra peut-être des années pour qu’elles le deviennent, mais la recherche et le développement sont certainement un élément de réponse à la crise énergétique. Mais là encore, cela ne suffit pas.
Nous devons agir maintenant. J’ai cité Angel Gurrias, de l’OCDE. Dans son ouvrage intitulé Perspectives de l’environnement à l’horizon 2030, publié début mars, il insiste sur le fait qu’agir aujourd’hui est nécessaire et possible, en dépensant l’équivalent de 1 % du PIB.
En ce qui concerne l’électricité, les solutions sont déjà entre nos mains, maintenant et ici même ! On oublie souvent que l’un des principaux éléments participant aux émissions de CO² est la production d’énergie, et non le transport routier. D’une certaine façon, c’est là une bonne nouvelle ! Car si les décisions relatives au transport dépendent essentiellement de choix individuels difficiles à influencer, la production d’énergie, en revanche, est un enjeu que nous pouvons contrôler. Seuls quelques acteurs – à savoir les gouvernements et les grandes entreprises – ont les rênes en main dans ce domaine : s’ils prennent les bonnes décisions, les investissements nécessaires – si importants et longs soient-ils – devraient suivre.
Prendre des décisions, mais lesquelles ? Investir, mais dans quoi ?
J’ai été invitée à participer à une autre conférence en Californie, intitulée « Going Nuclear: panacea or pipe dream? » (Le nucléaire : la panacée ou une chimère ?) Je ne vais pas m’étendre sur la seconde hypothèse ! Mais pour ce qui est de qualifier l’énergie nucléaire de panacée, vous serez peut-être surpris d’entendre mon opinion : « Non, l’énergie nucléaire n’est pas une panacée ». Pourquoi ? Simplement parce qu’aucune panacée, aucune « vérité révélée » ne peut résoudre la crise énergétique en cours !
Aucune « vérité révélée », mais une autre vérité qui dérange :
L’énergie nucléaire n’est certainement pas La solution, mais il n’y a pas de solution sans l’énergie nucléaire.
Comme il ressort de plusieurs publications de Socolov et autres auteurs de Princeton, sous réserve d’une sécurité d’approvisionnement, la concurrence et la durabilité environnementale pour tous exigeront un recours à tous les moyens possibles : un accroissement de l’efficacité énergétique ; une optimisation de l’utilisation de l’énergie ; l’encouragement de la recherche et du développement dans les nouvelles technologies énergétiques ; et le développement de sources d’énergies sans CO² comme les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire.
J’entends d’ici vos objections : si cette vérité est si simple, s’il est si évident que l’énergie nucléaire doit faire partie de la solution, pourquoi est-elle encore ignorée dans des régions aussi déterminées que l’Europe à lutter contre le changement climatique et à réduire les émissions de CO² ? Pourquoi un pays comme l’Allemagne, dont les habitants sont si sensibles à l’environnement, a-t-il décidé de se débarrasser de l’énergie nucléaire ?
Pourquoi ? Parce que, en certains endroits du monde, lorsque la question du nucléaire est abordée, l’idéologie est plus forte que la réalité.
Bien sûr, tout expert en énergie sait que les énergies renouvelables – à l’exception de la biomasse et de l’énergie géothermique – ne sont pas des sources d’énergie de base. Et que l’énergie solaire et l’énergie éolienne sont tributaires de centrales de secours alimentées au charbon ou au gaz lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil n’est pas suffisamment puissant. Voici un exemple éloquent : la France émet 8 fois moins de CO² par kWh que le Danemark, un pays dont la part d’énergies renouvelables est de près de 30 %. Pour remarquable que soit le développement des énergies renouvelables au Danemark, une part énorme de son énergie provient toujours de sources d’énergie fossiles.
Cet exemple montre clairement à quel point il est insensé d’opposer le nucléaire aux énergies renouvelables, comme nous l’avons fait pendant des décennies, et comme les opposants à l’énergie nucléaire le font encore. Il est beaucoup plus réaliste de les considérer comme étant complémentaires.
Je suis convaincue, quant à moi, que l’une des principales caractéristiques du XXIe siècle sera le développement de sources d’énergie sans CO² – de toutes les sources d’énergie sans CO² – et que le fait d’écarter a priori l’énergie nucléaire est à la fois un non-sens et un danger.
Si tous les pays industrialisés avaient suivi la même politique énergétique que la Suède et la France pour créer de l’énergie (un mélange de nucléaire et de sources d’énergie sans CO²), leur réduction des émissions de CO² aurait été de 4,6 milliards de tonnes de CO² par an, c’est-à-dire un cinquième des émissions actuelles. Et la France économise 20 milliards d’euros par an sur sa facture d’énergie grâce à l’énergie nucléaire, si l’on compare avec ses importations de pétrole en 1973.
Ce sont des faits. Et « les faits sont têtus », comme disait Mark Twain. Si têtus que je suis persuadée que l’idéologie a priori dont je parlais à l’instant ne vivra pas longtemps. Je suis également persuadée qu’aux Etats-Unis, les inquiétudes portant sur l’environnement et la sécurité de l’approvisionnement conduiront à une accélération de la marche vers le nucléaire, que ce pays a déjà entamée.
Quant à nous, chez AREVA, nous avons fait notre choix pour l’avenir : nous investissons massivement dans de nouvelles capacités industrielles pour répondre aux besoins des marchés de l’énergie nucléaire, des énergies renouvelables et de la transmission & distribution d’énergie. L’année 2007 fut une année record en termes de ventes (+10 % soit 11,9 milliards d’euros) et de rentabilité (+14,4 % soit 740 millions d’euros). Notre carnet de commandes a augmenté de 55 % l’an dernier, atteignant près de 40 milliards d’euros. Nous avons donc toutes les raisons d’investir. S’agissant du nucléaire, nous investissons dans la prospection, l’exploitation minière, la conversion et l’enrichissement de l’uranium… ; nous investissons dans la recherche et le développement (10 % des ventes en 2008) et dans de nouveaux modèles de réacteur, comme l’ATMEA 1 de taille moyenne, que nous mettons au point avec MHI ; nous nous préparons à construire une autre usine d’enrichissement aux Etats-Unis ; et nous embauchons et formons des milliers d’ingénieurs, de techniciens, de cadres (plus de 11 500 pour la seule année 2007), etc.
Nous faisons tout cela pour répondre aux besoins du marché du neuf, qui devraient se situer entre 200 et 500 MW d’ici 2030, soit 125 à 315 EPR, notre réacteur de génération 3+ de 1600 MW actuellement en construction en Finlande, en France et en Chine.
Notre ambition est de répondre à un tiers des attentes du marché mondial, mais de façon exhaustive : notre offre couvre tout le cycle nucléaire, du réacteur au combustible et aux services, nécessaires à son exploitation et à son entretien.
Nous croyons également qu’une offre intégrée, qui présente des avantages pour tous les clients, est particulièrement attrayante pour les nouveaux venus dans le domaine de l’énergie nucléaire. Dans un avenir rapproché, ces derniers devraient représenter moins de 10 % du marché du neuf. Mais leurs besoins sont spécifiques. Après la création du cadre juridique et sécuritaire nécessaire, ce qui peut prendre des années, ils auront besoin d’un opérateur expérimenté pour exploiter leurs centrales et ils nous demanderont de prendre en charge toute la gestion de leur combustible frais et épuisé. Il s’agit là, au passage, de la meilleure garantie qui soit contre la prolifération.
A ce propos, puisque que nous sommes ici pour nous dire les uns aux autres nos quatre vérités, même les plus dérangeantes, venons-en aux points critiques, aux questions délicates qui peuvent peut-être expliquer pourquoi le nucléaire suscite des réserves.
Je ne dirai pas que l’histoire de la renaissance du nucléaire a déjà été écrite. Je sais que, au-delà des problèmes à court terme qui seront résolus – comme la capacité de fabrication de composants nucléaires et le personnel qualifié – il faut s’attaquer aux problèmes à long terme.
Permettez-moi de les aborder un à un.
o Premier problème : « Il n’y a pas assez d’uranium ! »
• Eh bien, c’est faux !
• Les ressources traditionnelles représentent 200 fois la demande annuelle. La consommation en uranium de notre EPR de génération 3+ est inférieure de 14 % à celle de ses prédécesseurs. Avec le réacteur rapide de 4e génération sur lequel les Etats-Unis et la France sont en train de travailler, en collaboration avec d’autres pays, les ressources sont virtuellement illimitées. La 4e génération appartient encore au futur, mais nous avons suffisamment d’uranium pour durer, même au-delà des prévisions les plus pessimistes, jusqu’à la mise en œuvre de cette 4e génération.
• L’uranium est disponible, il est bien réparti dans le monde entier et les grandes mines actuellement exploitées se trouvent dans des pays très stables, comme le Canada ou l’Australie. Et si l’on ajoute aux mines le recyclage associé au cycle fermé du combustible, on obtient des ressources considérablement plus importantes.
o Deuxième problème : « Il n’y a pas de solution pour la gestion des déchets nucléaires ! »
• Vous avez sans doute remarqué que j’ai prononcé le mot « recyclage ». Permettez-moi de me pencher un moment sur les déchets nucléaires, car il s’agit sans aucun doute de l’un des principaux motifs de préoccupation du grand public.
• Nous recyclons le papier, nous recyclons le verre… Peut-on m’expliquer pourquoi le recyclage, qui est un « devoir » dans nos sociétés modernes, devient répréhensible lorsqu’il s’agit de déchets nucléaires ?!
• En tant que PDG d’une société qui a déjà recyclé plus de 22 000 tonnes de combustible nucléaire épuisé dans différents pays, je peux vous dire que le recyclage est une approche responsable sur le plan économique, environnemental et social. Comme pour d’autres matières, le recyclage de combustible épuisé est un processus efficace pour optimiser l’utilisation de l’énergie. Pourquoi ?
• Le recyclage favorise l’indépendance énergétique et contribue à la sécurité énergétique. Aujourd’hui, nos technologies nous permettent de recycler 96 % du combustible épuisé, prêt à être réutilisé dans des centrales nucléaires, les déchets à évacuer ne représentant au final que 4 %. Aux Etats-Unis, 54 000 tonnes de combustible épuisé ont été produites au cours des 40 dernières années et sont stockées aujourd’hui dans des sites de réacteur en attendant une solution définitive. S’il est recyclé, ce combustible épuisé devient une mine d’uranium domestique qui pourrait assurer l’alimentation des réacteurs américains et produire environ 7 ans d’électricité. En d’autres termes, l’énergie nucléaire est « recyclable ».
• Le recyclage est une solution compétitive, comparé à une approche à passage unique où le combustible est stocké pendant une période donnée puis évacué dans un dépôt situé dans une formation géologique. Une récente étude réalisée par le Boston Consulting Group a révélé que le coût d’intégration d’un composant de recyclage au programme de dépôt entraînerait des coûts de cycle de vie comparables à ceux de la stratégie de dépôt à passage unique. En outre, les coûts de recyclage sont connus et leur évolution est prévisible.
• Le recyclage facilite la gestion des déchets nucléaires. Il réduit la radiotoxicité dans le dépôt d’un facteur de 10 ; il réduit le volume de déchets à évacuer d’un facteur de 5 ; et il enferme les déchets les plus délicats dans une forme de verre durable et traitable. Les déchets nucléaires sont donc stockés et neutralisés, contrairement au CO², qui est présent dans l’atmosphère sans aucune limite, sans frontières et sans traçabilité.
• Pour toutes ces raisons, le recyclage permet d’optimiser la capacité et le nombre des dépôts finaux. Bien sûr, la mise en place d’un dépôt géologique à long terme requiert de la pédagogie à l’égard des collectivités locales, du temps et de la patience. Mais elle est réalisable, a fortiori si les dimensions sont limitées et si l’on évite la multiplication des dépôts. C’est une question de simple bon sens.
o Troisième problème : « Le nucléaire irradie les habitants ».
• La sécurité nucléaire est et sera toujours une priorité. La sécurité et la radioprotection ne sont pas seulement une question de réglementation et de procédures.
Elles sont d’abord et avant tout une question d’attitude et de culture. Et c’est pour cette raison qu’elles peuvent toujours être améliorées. Cependant, on ne peut qu’admettre que, au cours des vingt dernières années [depuis Chernobyl], les performances des centrales nucléaires sur le plan de la sécurité et de l’environnement ont été excellentes. Tout comme il faut reconnaître que des améliorations sont régulièrement apportées en matière de sécurité, tant au niveau de la conception qu’à celui des opérations.
• Notre réacteur EPR de génération 3+ a été conçu en tant que réacteur post-Chernobyl. Imaginez une boîte fermée faite d’acier et de béton. Dans l’éventualité hautement improbable d’un accident grave, cette boîte a été conçue de manière à ce que rien ne puisse en sortir et à ce qu’aucun objet indésirable, pas même un avion commercial, ne puisse y pénétrer. Cette boîte hermétique, c’est l’EPR, un réacteur qui produit de l’énergie, un réacteur qui, pour ne citer que l’une de ses caractéristiques améliorées, répond à des critères de sécurité.
o Quatrième problème :« L’énergie nucléaire favorise la prolifération ! »
• Observons en premier lieu les principaux pays proliférants. Le fait est que la Corée du Nord, l’Iraq et l’Iran n’ont jamais produit un seul kWh à l’aide du nucléaire. Je ne dis pas qu’il n’y a aucun risque lié à la production d’énergie. Mais là encore, on ne peut qu’admettre qu’un tel risque est sérieusement limité par les garde-fou de l’AIEA et par son protocole additionnel.
• En second lieu, les réacteurs à eau légère comme l’EPR d’AREVA ne présentent aucun risque en eux-mêmes, s’agissant de prolifération. Pour ce qui est de la matière nucléaire nécessaire à l’exploitation de ces réacteurs, elle ne peut devenir sensible que si elle est associée avec la maîtrise de technologies à double usage hautement sophistiquées, à savoir l’enrichissement de l’uranium et le traitement du combustible épuisé. Mais la plupart des pays jouissent des avantages de l’énergie nucléaire sans devoir maîtriser ces technologies : grâce à un marché du cycle du combustible en bonne santé, avec des fournisseurs comme AREVA qui offrent des services d’enrichissement et des services de traitement du combustible épuisé à des prix compétitifs, ces pays n’ont tout simplement pas besoin de maîtriser ces technologies. Et ce tant que les gouvernements des pays fournisseurs n’interviendront pas indûment sur le marché ou dans les règles de la concurrence, qui sont l’une des conditions de son efficacité, mais bien sûr…
Pour ma part, il ne doit pas y avoir de tabou lorsque nous parlons d’énergie nucléaire. Toutes les questions, y compris les plus délicates, doivent être mises sur la table.
Au même titre que tout grand projet d’infrastructure, l’énergie nucléaire soulève des débats et continuera certainement de les soulever ! Eh bien tant mieux, puisque qu’il n’y a aucune « vérité qui dérange » à cacher en ce qui concerne l’énergie nucléaire, et puisque qu’il est sain de débattre !
Quelles que soient les réponses techniques – et j’espère avoir démontré qu’elles existent – les inquiétudes de la population doivent être prises au sérieux et abordées avec honnêteté. Les gouvernements doivent faire preuve de leadership et de continuité dans leur politique et le secteur de l’énergie nucléaire doit être ouvert au débat public. Je suis convaincue qu’à travers un dialogue sincère et un débat public, toutes les inquiétudes légitimes peuvent être apaisées.
Je voudrais conclure sur une note un peu plus personnelle. Lorsque j’ai fait mon entrée dans le secteur du nucléaire, il y a dix ans, j’ai découvert un monde fermé. Un monde fermé sur lui-même, sur la défensive et, vu de l’extérieur, un monde opaque. En d’autres termes, j’ai trouvé une forteresse médiévale, fermée au monde extérieur, structurée à des fins défensives. Les populations ne savaient pas ce qui se passait à l’intérieur de cette forteresse, mais on leur demandait d’avoir confiance.
J’ai décidé de transformer cette forteresse médiévale en une maison ouverte aux multiples fenêtres, afin que chacun puisse voir ce qui s’y déroule et que tous ceux qui se trouvent à l’intérieur ne puissent ignorer les perceptions du monde extérieur. De telles fenêtres, comme les webcams et les mesures de radioactivité en ligne, ont été placées sur nos sites industriels, par exemple à la Hague, où nous possédons une usine de recyclage. J’ai également organisé des débats avec toutes les parties prenantes, même des opposants. J’ai compris que l’on ne choisit pas ses opposants, ainsi va la vie !
Eh bien, dix ans plus tard, je peux dire que cette stratégie a été un succès. « Nucléaire » n’est plus un mot que nous devons prononcer du bout des lèvres avec honte. C’est une solution reconnue par l’OCDE, par l’Agence internationale de l’énergie et par les principaux pays industrialisés et émergents, dans le but de remporter la course contre le changement climatique et la pénurie d’énergie.
Certains pays se sont lancés dans la course « sur le bout des pieds », d’autres marchent tranquillement ou trottent d’un bon pas. Et il y a ceux qui galopent vers la ligne l’arrivée.
Quel que soit le rythme choisi par les Etats-Unis, j’espère qu’il sera maintenu et que le pays fera preuve d’un leadership renouvelé et de persévérance dans cette course.
(Discours prononcé devant l’Université de Harvard, le 12 mars 2008)