Compassio : souffrance partagée

par Alexandra Estiot, Thibault Mercier et Jean-Luc Proutat, économistes chez BNP Paribas

Fondamentalement, on peut se poser la question de savoir pourquoi l’on prête à un débiteur souverain. Dans le cas du prêt à une entreprise, le créancier peut provoquer, en cas de défaillance, une saisie des actifs et espérer la récupération d’une partie de sa créance, ce qui n’est pas possible, en tout cas de façon significative, dans le cas d’un souverain (saisie d’actifs sis à l’extérieur des frontières).

Seules la menace de non-accès au marché et la perte de réputation rendent crédible le fait qu’un souverain soit incité à respecter ses engagements. Lorsque cela devient impossible, le défaut ou la restructuration arrivent à l’ordre du jour. Cela n’empêche pas, comme le montre l’histoire, le retour sur les marchés à l’issue de délais et dans des conditions qui dépendent de la manière dont la crise a été traitée (notamment le degré de perte infligée aux créanciers). La littérature a amplement traité cette question1.

Les défauts souverains remontent à l’antiquité. Traditionnellement, les crises de dette souveraine débouchaient sur l’inflation et la dépréciation monétaire, des voies de spoliation des créanciers qui sont fermées dans le cadre de la zone euro. Ce n’est qu’au XVIème siècle que sont apparues les restructurations de dette, c’est-à-dire des accords débouchant sur une modifica- tion du service de paiements tel qu’il était prévu au départ, sous l’effet d’un défaut ou d’une menace de défaut. Depuis le début du XIXème siècle, parallèlement à la montée des flux de capitaux transfrontaliers, les défauts et restructurations se comptent par centaines2.

Les crises de dette souveraine peuvent être déclenchées par des chocs adverses (productivité, taux d’intérêt…) ou provenir de la prise de conscience d’une situation de surendettement provoquant un choc de confiance soudain suite à une période d’optimisme excessif, ce qui semble s’appliquer à la Grèce.

Le sauvetage de cette dernière est passé par un premier plan de soutien propre à régler un problème de liquidité : sa durée était limitée et il était assorti de taux élevés. La suite a montré, s’il en était besoin, que la Grèce était en réalité confrontée, non pas à un problème de liquidité, une impossibilité temporaire d’accéder au marché dans des conditions normales, mais à un problème d’insolvabilité, la dette dépassant la valeur actualisée des revenus pouvant être dégagés – vu les contraintes budgétaires – pour assurer normalement le service de la dette. Gagner du temps et augmenter l’endettement dans l’attente d’un retour à des conditions normales d’accès au financement de marché ne suffisaient pas.

Le deuxième plan de soutien a pris acte de cette réalité, en allongeant considérablement les échéances et en allégeant les conditions avec une participation volontaire des créanciers privés. Pour être possible, un tel traitement d’un problème de solvabilité, via une restructuration, doit naturellement être mutuellement bénéfique aux créanciers et au débiteur3. La décision d’impliquer le secteur privé n’a pas été neutre en matière de contagion tant sur le plan des spreads souverains que sur celui de la corrélation entre spreads souverains et spreads bancaires. Cette décision fait l’objet du présent article.

La Grèce, d’un plan à l’autre

En mai 2010, la Grèce a été renflouée une première fois par le FMI et les pays de la zone euro, avec, en parallèle, la création du FESF (Fonds européen de Stabilité financière4). Face à une crise de liquidité, les remèdes habituels du FMI ont été appliqués, le pays étant protégé des marchés par un prêt «relais» de EUR 110 milliards. La mission de la Grèce était alors de réduire ses déficits publics et, ainsi, de replacer sa dette sur une trajectoire soutenable, tout en mettant en place des réformes structurelles visant à rehausser son potentiel de croissance. Les premières coupes dans les dépenses ont porté leurs fruits rapidement et, entre 2009 et 2010, le déficit a été ramené de 15,4% du PIB à 10,5%.

Mais les premiers ajustements sont toujours les plus faciles et, rapidement, force a été de constater que le plan ne fonctionnait pas. La Grèce est ainsi entrée dans un cercle vicieux : la réduction des déficits publics (via l’augmentation des impôts et la baisse des dépenses) déprime la demande qui, en retour, réduit les recettes fiscales, ce qui nécessite un ajustement budgétaire plus important, déprimant un peu plus la demande et les recettes fiscales… La volonté du gouvernement n’est pas à remettre en cause. Mais la réduction des déficits publics ne peut être vertueuse que si elle est accompagnée de réformes structurelles. Si les premières ont été «délivrées», les secondes ont tardé5.

Parallèlement, l’économie mondiale a subi deux chocs d’offre massifs au début de l’année 2011. La flambée des prix du pétrole (due au dynamisme de la demande énergétique des pays émergents et aux interruptions de production avec le Printemps arabe) et les perturbations d’approvisionnement de la chaîne de production (avec les conséquences de la catastrophe naturelle au Japon) ont eu raison du dynamisme de l’activité manufacturière, et le ralentissement mondial a un peu plus compliqué la tâche du gouvernement grec. Au début de l’été, il a fallu se rendre à l’évidence et traiter la crise grecque pour ce qu’elle était : une crise de solvabilité. Il ne s’agissait plus, alors, de fournir des liquidités en relais des marchés financiers, mais bien de réduire le poids de la dette de la Grèce. Le FMI estimait en juillet 2011 que, rapportée au PIB, elle attendrait 166% fin 2011.

– Une crise de liquidité…

Le premier plan de soutien à la Grèce n’aura ainsi pas été suffisant. Sur l’enveloppe de EUR 110 milliards accordée en mai 2010, les EUR 57 milliards qui restaient à être versés début juillet ne couvraient qu’une faible partie des besoins de financement de l’Etat jusqu’en 2013. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, les déficits publics grecs ont été plus importants que prévu. En 2010, le déficit public s’élevait à 10,5% du PIB contre un objectif de 8,4%. En 2011, il devrait atteindre 8,5% du PIB contre un objectif de 7,6%. Paradoxalement, les ajustements réalisés correspondent aux exigences des bailleurs de fonds : en 2010, le déficit public a été réduit de 5 points (la plus forte amélioration jamais constatée dans un pays de l’OCDE) et devrait s’améliorer de 2 points supplémentaires en 2011. Les décalages de niveaux proviennent des réévaluations à la hausse des déficits publics grecs annoncées par Eurostat entre novembre 2010 et avril 2011. Ces réestimations ont conduit à des niveaux de déficits budgétaires en 2009 et 2010 supérieurs à ceux ayant servi de base à l’élaboration du programme de mai 2010. Aussi, pour une même réduction des déficits publics, les besoins de financement sont supérieurs de 3 points de PIB aux prévisions initiales du FMI.

Ensuite, la récession a été plus violente qu’on ne l’attendait. Lors de la première visite du FMI à Athènes, en septembre 2010, l’institution prévoyait une contraction du PIB en 2010 et 2011 de respectivement 4% et 2,6%, suivie d’une reprise en 2012, avec une croissance de 1,1%. En réalité, l’ajustement a été beaucoup plus brutal : le PIB a perdu 4,4% en 2010 et devrait continuer de se contracter en 2011 et 2012 de respectivement 5,5% et 2,2%. L’ampleur de la récession rend la consolidation budgétaire plus ardue à cause des pertes cycliques de revenus : la réduction du déficit ex post est bien moindre que ne pouvaient le laisser espérer les mesures adoptées ex ante. En 2011, le gouvernement a engagé de nouvelles mesures d’austérité, évaluées à plus 6 points de PIB, pour une amélioration escomptée du solde budgétaire de seulement 2 points de PIB. L’absence de reprise compromet la poursuite de l’assainissement des comptes publics. Sans un retour de la croissance après plusieurs années d’austérité, la consolidation budgétaire se heurte à l’impossibilité technique de réduire davantage les dépenses publiques et à la fronde sociale nourrie par le chômage et la précarité.

Enfin, les tensions sur les marchés se sont accentuées. Un an et demi après l’octroi du prêt, les taux d’intérêt grecs à 10 ans ont augmenté de près de 1 000 points de base. La perception par les marchés d’un défaut imminent de la Grèce nourrit l’envolée des taux qui, elle-même, renforce cette hypothèse. Dans ces conditions, la Grèce n’avait plus (et n’a toujours) aucun espoir de regagner un accès aux marchés en 2012 tel que prévu dans le programme élaboré en mai 2010.

– … qui cache une insolvabilité

La volonté politique des dirigeants de la zone euro d’éviter un défaut aux conséquences imprévisibles a nécessairement posé la question d’un second plan de soutien. Toutefois, pour répondre aux besoins spécifiques de la Grèce, il fallait d’abord reconnaître l’insolvabilité de l’Etat grec. Contrairement aux autres pays bénéficiant d’un programme d’assistance UE-FMI (l’Irlande et le Portugal), la Grèce fait face à une évasion fiscale massive, liée notamment à la taille de son économie informelle. Si, par définition, une mesure précise de l’économie souterraine est impossible à donner, la plupart des études sur le sujet l’estiment à 30% du PIB. Cela veut dire qu’un pan entier de l’économie échappe à l’impôt, qu’il soit direct (comme l’impôt sur le revenu) ou indirect (comme la TVA).

Par ailleurs, la corruption endémique compromet l’efficacité de la collecte de l’impôt. D’après l’indice de corruption calculé par l’agence Transparency International, la Grèce avait, en 2010, le même niveau de corruption que la Chine, la Colombie, le Lesotho et le Pérou. Aussi, même à supposer que la croissance de l’activité retrouve peu ou prou son niveau potentiel, la faiblesse structurelle des recettes fiscales rend impossible la réalisation d’un solde budgétaire primaire suffisant pour honorer la charge d’intérêts (autour de 6,5% du PIB en 2011), ni même pour faire baisser le stock de dette.

Un rapide calcul de soutenabilité de la dette publique permet d’appréhender l’ampleur du problème. Si l’on suppose, comme le FMI, que la Grèce retrouvera une croissance nominale d’environ 2% en 2013, que le taux d’intérêt apparent sera de 4,5% et que la dette publique grecque atteindra 188% du PIB en 2013, il faudrait dégager un surplus primaire de 4,7% du PIB ne serait-ce que pour stabiliser la dette publique à ce niveau. Pour rappel, l’Etat grec affichait un déficit primaire de 4,9% du PIB en 2010.

Le 21 juillet, les chefs de gouvernement de la zone euro ont alors annoncé un deuxième plan d’aide à la Grèce. Au-delà des nouveaux fonds publics (EUR 109 milliards, une partie étant allouée au financement des rachats de titres, aux besoins de recapitalisation bancaire ainsi qu’au rehaussement de la qualité des obligations souveraines, condition sine qua non à la bénédiction de la BCE), la réduction du taux d’intérêt (d’environ 5,2% pour la partie européenne du premier plan de soutien, à environ 3,5%) et l’allongement des échéances (de 4,5 ans initialement à des maturités comprises entre quinze et trente ans) répondaient, en partie, au besoin d’allègement des charges d’intérêts de la Grèce. Mais cette réponse, si elle était bienvenue, ne suffisait pas, et une vingtaine d’institutions financières, représentées par l’IFI (Institut de Finance Internationale), ont présenté leur plan.

Implication du secteur privé

En juin 2011, une première forme de participation du secteur privé (PSI pour Private Sector Involvment) avait été proposée par les banques françaises sous le nom d’Initiative de Paris, en référence à l’Initiative de Vienne, qui, au début de 2009, avait vu un certain nombre de banques privées assurer le financement des pays d’Europe centrale et orientale, que l’intense stress financier, suite à la chute de Lehman Brothers, avait rendu difficile.

– PSI : d’une proposition à l’autre

* L’Initiative de Paris

Fondamentalement, les investisseurs disposés à participer au plan auraient réinvesti 70% de la dette grecque arrivant à échéance (d’ici à la mi-2014) dans de nouveaux emprunts d'État grecs à 30 ans. Ceci se serait traduit par un financement net du pays à hauteur de 50% des tombées de dette, avec la garantie pleine et entière d'un véhicule ad hoc (SPV, special-purpose vehicle) domicilié à la BCE, qui en aurait été le fiduciaire, investi en obligations à zéro coupon de première catégorie (emprunts d'État notés AAA ou obligations émises par le FESF, le Mécanisme européen de Stabilité et/ou la Banque européenne d'Investissement). Les obligations grecques nouvelle- ment émises auraient porté un taux d'intérêt indexé sur la croissance du PIB, avec un plancher de 5,5% et un plafond de 8%. Enfin, la négociation des nouveaux emprunts d'État grecs aurait été limitée jusqu'en 2022. L'Initiative de Paris comprenait également un plan B : une conversion quasi pure des obligations grecques arrivant à échéance en nouveaux emprunts d'État grecs à 5ans portant un taux d’intérêt de 5,5%, sans restriction de négociation.

Un bon plan correspond à une situation où les deux parties sont gagnantes. Les investisseurs privés qui auraient choisi de rejoindre l'Initiative de Paris auraient indéniablement bénéficié d'un tel plan :

  • Avant cette proposition, ils portaient un risque de 100% sur la Grèce ; dans le cadre de l'Initiative de Paris, leur exposition aurait été certes renouvelée à hauteur de EUR41 milliards mais garantie jusqu’à EUR 35 milliards grâce au SPV. En effet, avec un rendement à 30 ans de 3,70% en Allemagne (qui prévalait début juillet 2011 ; actuellement, il est de près de 100 points de base plus faible), la valeur future actualisée (sans prendre en compte l'inflation) de EUR 12 milliards d'obligations à zéro coupon est de EUR 35 milliards, ce qui signifie que le risque de défaut est limité à EUR 6 milliards (EUR 41 milliards – EUR 35 milliards = EUR 6 milliards).
  • Apporter des fonds à la Grèce réduit le risque de défaut de paiement à court terme. Par ailleurs, le risque de défaut est nettement plus faible sur le long terme (comme l’atteste la forte inversion de la courbe des taux grecs) : il faut bien un horizon à 30 ans pour bénéficier du plein effet des réformes structurelles.
  • La reconduction de la dette vient dans la continuité de l'engagement, pris par les banques de la zone euro vis-à-vis de la BCE, de ne pas revendre leurs obligations grecques. En outre, aider la zone euro à se sortir de la crise de la dette souveraine sert les intérêts du secteur bancaire (mondial) lui-même.
  • Le taux d'intérêt de 5,50% ajouté au taux de croissance du PIB était assez intéressant pour rendre le plan attrayant. Sur la base de nos prévisions de croissance, le plan représentait EUR 93 milliards de paiements d'intérêts. Il est clair qu'il subsistait un coût d'opportunité, puisque le rendement des emprunts d'État grecs à 30 ans était alors de 11,40 %.

L'intérêt pour la Grèce était, en revanche, nettement moins évident. Il est indéniable que le plan apportait de la liquidité au pays. Mais le prix à payer était plutôt prohibitif : si et, en fait, lorsque (puisque les reprises sont généralement assez marquées après des récessions profondes) la croissance réelle aurait atteint 2,5%, le taux d'intérêt payé sur la nouvelle émission d'emprunts d'État à 30 ans aurait touché le plafond de 8%. De plus, alors que le pays n’aurait disposé que de EUR 29 milliards pour couvrir ses besoins de financement, il aurait payé des intérêts sur la somme de EUR 41 milliards, soit un taux d’intérêt moyen de 10,3%. Ceci aurait eu un impact limité sur la charge de la dette, du fait du taux d’intérêt limité sur les prêts concessionnels (4,2 % à cette date).

Mais, pour qu’un tel plan soit une option, les deux parties doivent y trouver leur compte. Si les banques privées profitaient d’importantes garanties avec l’Initiative de Paris, le taux d’intérêt que la Grèce devait honorer était encore trop important. Si la Grèce voyait son financement assuré sur quelques années, loin de régler le problème de soutenabilité, l’Initiative de Paris aurait pu être à l’origine d’un effet boule de neige : même avec un excédent primaire, la charge de la dette est telle qu’elle entraîne une augmentation autonome de la dette, générant encore davantage de paiement d’intérêts… En résumé, l’Initiative de Paris perdait de vue l’objectif ultime : réduire la dette de la Grèce. En cela, le plan proposé le 21 juillet par l’IFI était bien plus raisonnable, avec un taux d’intérêt moyen de 5,33% pour la Grèce, soit une centaine de points de base au- dessus de l’actuel taux apparent de la dette (4,2% en 2010).

* La proposition de l‘IFI du 21 juillet

Dans le plan plus complet du 21 juillet, l’implication du secteur privé ou PSI (pour Private Sector Involvement) dans le dossier grec reprend les techniques de restructuration mises en place pour faire face aux crises dites de «première génération», qui avaient concerné la dette souveraine des pays d’Amérique latine (Mexique, Argentine, Venezuela…) dans le courant des années 1980. On y retrouve l’articulation des secteurs public et privé qui sous-tendait le plan Brady, du nom du secrétaire américain au Trésor sous la présidence de Ronald Reagan et architecte des restructurations de dettes latino-américaines 6 . Les programmes de buy-back et échanges de titres moyennant décote sont financés ou garantis par les organismes internationaux, Banque mondiale et FMI dans le plan Brady, Commission européenne et FESF aujourd’hui.

-) Le programme de Buy-back

Le PSI du 21 juillet s’accompagnait de la possibilité pour la Grèce de racheter sa propre dette sur les marchés avec une décote de 38,6% par rapport au nominal. Cela dépassait les 21% retenus par le programme d’échanges de titres qui, à défaut, aurait perdu de son intérêt. Il était prévu que EUR 20 milliards soient prêtés par le FESF à la Grèce pour que celle-ci puisse donc racheter sa propre dette à 61,4% de sa valeur faciale (100% – 38,6%). Le montant concerné était donc de EUR 32,6 milliards (EUR 20 milliards/61,4%) pour une diminution instantanée de la dette grecque de EUR 12,6 milliards (EUR 20 milliards – EUR 32,6 milliards).

-) Les grandes lignes du PSI du 21 juillet

Le PSI du 21 juillet prévoyait un échange de tous les titres de dette grecque détenus par le secteur privé arrivant à échéance avant mi-2020, à l’exception des titres courts (Treasury Bills), soit, en tout EUR 135 milliards. Selon la nature de leurs activités, le cadre réglementaire ou comptable dans lesquels ils opèrent, les créanciers privés de la Grèce n’ont pas tous la même incitation à participer à une telle opération. C’est pourquoi celui-ci retenait, dans sa version initiale, quatre options supposées répondre à la spécificité des engagements de chacun.

Dans deux de ses options (les options 3 et 4,), un échange de dette prévoyait une décote de 20% sur le montant notionnel des obligations engagées. Le stock de dette était donc réduit. Si l’on faisait l’hypothèse que les créanciers privés choisissaient à parts égales chacune des quatre options, la réduction du stock de dette était égale à 50%*EUR 135 milliards*20% (part des créanciers choisissant les options 3 et 4 * encours de GGB qualifiés pour le plan * décote de 20%), soit EUR 13,5 milliards. La réduction de la dette grecque atteignait donc au total EUR 26,1 milliards(EUR 12,6 milliards provenant du programme de buy-back et EUR 13,5 milliards retenus par les options 3 et 4 du PSI du 21 juillet), soit 8% de la dette grecque et 11 points de PIB du ratio de dette.

Toutes les options aboutissaient à une perte en valeur actuelle nette (VAN) de 21%. On rappelle que la VAN, soit la différence entre la somme actualisée des revenus futurs et celle décaissée en début de période, est le critère financier de référence qui préside à toute décision d’investissement.

A l’équilibre, la VAN est nulle : la valeur de marché d’un titre est égale à la somme actualisée des revenus qu’il génère. Une valeur négative indique donc bien un arbitrage défavorable à l’investisseur et un soutien à la Grèce. Dans le cadre de la proposition d’échange du 21 juillet, les nouveaux titres grecs souscrits à 30 ans portaient un coupon moyen de 4,5% (options 1 et 2), le principal étant garanti à l’échéance par la mise en réserve d’un collatéral investi dans des titres zéro coupon notés AAA.

En faisant l’hypothèse d’un rendement «sans risque» à 30 ans de 3,75% (un niveau proche des taux de swap au 21 juillet 2011), la valeur actuelle d’un capital garanti à 100 dans 30 ans est de 33.

C’est le montant qui doit être mis en collatéral. Le PSI du 21 juillet prévoyait que le FESF gère le collatéral, son coût de financement étant assuré par la Grèce. Le taux d’actualisation retenu pour l’opération était de 9%, un niveau inférieur à la moyenne des rendements (au 15 juillet, la moyenne de rendement sur toute la courbe des taux grecs7 était de 21,6% et de 14,7% pour la seule partie longue, soit de 10 à 30 ans) délivrés par les titres grecs au moment de conduire l’opération mais qui reposait sur l’hypothèse d’une normalisation de la courbe et d’un recul des primes de risque une fois celle- ci réalisée, ce qui n’a rien d’irréaliste. On retrouve bien la perte de 21% en valeur actuelle nette retenue par la PSI du 21 juillet.

Lorsque l’implication du secteur privé a été proposée, la courbe des rendements grecs était déjà inversée (taux longs inférieurs aux taux courts), indiquant une forte défiance des investisseurs à l’égard des titres de maturité courte et moyenne (les premiers susceptibles d’être concernés par un défaut). Trois mois après la proposition du 21 juillet, le niveau de défiance s’est encore accru, les rendements à deux ans atteignant des niveaux proches de 70%, impliquant une perte d’environ 60% par rapport au nominal, soit une décote plus importante que celle envisagée dans le programme de buy-back du PSI du 21 juillet.

L’hypothèse était néanmoins faite que, une fois mis en œuvre, le programme d’échange de titres permettrait une diminution des primes de risque et une baisse des rendements sur tout ou partie de la courbe. Si la réduction de la dette résultant de l’opération est jugée suffisante pour améliorer durablement sa soutenabilité, la perception du risque de défaut et, ainsi, le niveau des taux d’intérêt devraient massivement baisser. La normalisation peut ainsi être violente. Il faut garder en tête qu’actuellement le marché de la dette grecque est très illiquide, et que les prix qui s’y forment n’ont que peu de pertinence8. Ainsi, se pose la question du comportement de passager clandestin. Si certains détenteurs de titres grecs acceptent une décote, améliorant la soutenabilité de la dette, ceci profite aux détenteurs qui n’ont pas participé au programme : ces derniers sont alors les grands gagnants, ne supportant aucun coût tout en bénéficiant de tous les avantages. C’est pour parer à une telle situation que l’IFI avait assorti son offre d’un taux de participation minimum de 90%.

Le décalage entre les conditions offertes par le PSI du 21 juillet et celles du marché appelle ainsi deux réflexions :

1/ Il augmente l’incitation à participer au programme d’échanges de titres. Le PSI du 21 juillet visait, comme nous l’avons indiqué, un taux de participation de 90% des créanciers privés de la Grèce. A la mi-septembre, quarante et une institutions avaient apporté leur soutien au plan, dont huit hors zone euro. Les banques couvertes par les stress tests de l’ABE du printemps 2011 ayant apporté leur soutien au plan de l’IFI étaient au nombre de vingt-trois, pour un portefeuille de dette grecque de EUR 68 milliards, soit 75% des détentions des banques européennes.
2/ Mais il questionne aussi sur la crédibilité du programme en tant que tel, la question étant de savoir de combien le poids de la dette grecque devait être réduit afin que celle-ci retrouve une trajectoire soutenable, un certain nombre d’observateurs faisant valoir qu’une décote de 21% était insuffisante.

 * Les nouvelles modalités du PSI

-) Pourquoi amender le PSI ?

Lors des sommets européens des 23 et 26 octobre, les dirigeants européens ont tranché : la décote devait être plus importante. En effet, pour retrouver une trajectoire soutenable, la Grèce a besoin de voir sa charge brute d’intérêt réduite. Celle-ci représente en 2011 près de 6,5% du PIB, un niveau difficilement soutenable. Pour ramener la Grèce dans la moyenne de la zone euro (3% du PIB, en supposant un taux d’intérêt apparent de 4%), il faudrait réduire le ratio d’endettement à 75% du PIB, soit une décote d’environ 55% sur le stock de dette grecque. La question était alors de savoir si les institutions financières pourraient absorber un tel choc.

A l’automne 2011, en plein processus de ratification par les parlements nationaux des accords du 21 juillet (prévoyant l’élargissement des pouvoirs du FESF et notamment sa capacité de financer des recapitalisations bancaires dans l’ensemble des pays de la zone euro), la question d’une décote de la dette grecque plus importante a commencé à se poser. En effet, les besoins de financement de l’Etat grec ont de nouveau été revus en hausse entre les deux visites de la Troïka à Athènes.

Dans son cinquième rapport trimestriel, en octobre 2011, la Commission européenne a fait état d’une nette détérioration de la soutenabilité de la dette publique grecque en l’espace de quelques mois. Entre juillet et octobre 2011, les experts de la Troïka ont augmenté de 20 points de PIB leur estimation du ratio d’endettement public grec en 2012. Prévu à 161,3% du PIB lors de la quatrième revue, celui-ci devrait atteindre 181,4% du PIB d’après la cinquième revue. Cette révision à la hausse est pour l’essentiel attribuée à la dégradation des perspectives de croissance. Alors qu’en juillet 2011 la Commission européenne prévoyait une contraction du PIB de 3,8% en 2011 et une reprise en 2012 (+0,6%), en octobre, le PIB était attendu en baisse de respectivement 5,5% et 2,8% en 2011 et en 2012.

Par ailleurs, certains aspects techniques du PSI du 21 juillet appelaient des modifications. L’été 2011 a été particulièrement agité sur les marchés financiers, avec une aversion pour le risque marquée, conduisant logiquement à une fuite vers la qualité: ainsi, le rendement des obligations souveraines notées AAA a chuté. Une baisse de ces rendements conduit, toutes choses égales par ailleurs, à une hausse de la valeur actualisée des sommes mises en collatéral. Ainsi, pour garantir, à échéance, le même montant, la part des financements accordés à la Grèce et allouée à la constitution du collatéral augmente. De plus, les investisseurs candidats au PSI du 21 juillet semblaient préférer la première option de celui-ci. Or, si la répartition entre les quatre options ne se fait plus à parité, le besoin de collatéral en est affecté. Pour assurer une répartition équivalente entre les différentes options il fallait imaginer un système d’enchères, qui auraient vu les candidats non plus choisir mais hiérarchiser leurs préférences. Finalement, malgré les avancées considérables annoncées le 21 juillet 2011, les taux grecs ont continué de se tendre. Les prix de marché incorporaient ainsi une décote supérieure a celle prévue dans le PSI (tel que proposé le 21 juillet) ouvrant la porte à des opérations d’arbitrage : acheter aujourd’hui des titres décotés à près de 60% pour ensuite participer au PSI dont la décote était limitée à 20%.

-) Les accords du 26 octobre

Dans la nuit du 26 au 27 octobre, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro se sont mis d’accord sur l’octroi d’un nouveau prêt de EUR 100 milliards d’euros à la Grèce, qui doit permettre de couvrir les besoins de financement de l’Etat jusqu’en 2014 et de recapitaliser les banques du pays. Parallèlement, les créanciers privés de la Grèce sont invités à participer, début 2012, à un échange de dette incluant une décote de 50% sur la valeur faciale des titres échangés.

D’après les prévisions de septembre du FMI, le stock de dette publique grecque s’élèvera à EUR 366 milliards à fin 2011. Sur ce montant, EUR 78 milliards sont issus du premier plan d’aide de mai 2010 (à supposer que la septième tranche de décembre soit versée), EUR 15 milliards sont des titres à court terme (maturités inférieures à un an) et nous faisons l’hypothèse que la BCE détient EUR 50 milliards de titres dans le cadre du Securities Market Programme (SMP). Le stock de dette détenu par le secteur privé potentiellement éligible à l’échange de titres est donc de EUR 223 milliards. En retenant un taux de participation de 90%, EUR 200 milliards de titres grecs seront donc échangés contre de nouvelles obligations d’une valeur nominale de EUR 100 milliards.

D’après le communiqué officiel, les Etats de la zone euro contribueront à l’effort du secteur privé en apportant des garanties pour EUR 30 milliards. Nous faisons l’hypothèse que cette somme servira à la Grèce à acheter des obligations zéro coupon AAA à 30 ans afin de garantir 100% du nominal des obligations échangées. (En effet, en supposant que les obligations AAA à 30 ans offrent un rendement de 3,8%, EUR 30 milliards achetés aujourd’hui valent EUR 100 milliards dans 30 ans).

Enfin, en supposant que le FMI participe à ce second plan d’aide dans les mêmes proportions que le premier (c'est-à-dire à hauteur de 30%), sans toutefois prendre part au financement des garanties, le montant qui incomberait au FESF serait de EUR 100 milliards.

L’objectif de ce nouveau programme d’aide est d’améliorer la soutenabilité des finances publiques grecques, ce qui péchait dans l’élaboration du premier plan. Sur ce point, la participation des créanciers privés est clé puisque la décote comprise dans l’échange de dette réduit immédiatement le ratio d’endettement public de la Grèce. En supposant que EUR 200 milliards de créances privées sur l’Etat grec soient apportées à l’échange, l’allégement brut du stock de dette serait de EUR 100 milliards. Toutefois, la collateralisation des nouveaux titres crée un besoin de financement supplémentaire de EUR 30 milliards pour l’Etat grec. Au total, la réduction nette du stock de dette grecque serait de EUR 70 milliards, soit environ 30% du PIB. Toutes choses égales par ailleurs, le ratio d’endettement public passerait de 182% du PIB à 152% du PIB en 2012. En 2020, il atteindrait 120% du PIB grâce à l’échange de dette proposé le 26 octobre contre 152% du PIB avec l’échange de dette proposé le 21 juillet. La soutenabilité de la dette grecque est ainsi améliorée instantanément et dans des proportions satisfaisantes.

Le sommet du 26 octobre s’est terminé très tard dans la nuit, notamment du fait des difficultés quant à la négociation des nouvelles modalités de l’implication du secteur privé. A partir du peu d’éléments disponibles à ce jour, on peut faire quelques hypothèses, afin d’estimer le coût pour le secteur privé. Si l’on fait l’hypothèse que l’échange de titres se fait sous les conditions de l’option 3 de la proposition de PSI du 21 juillet9 alors la perte en valeur actuelle nette serait de 52,6%. Mais, en retenant des taux de swap de 2,92% (niveau du 27 octobre 2011) et en appliquant la même surprime de 15 à 20 points de base, le taux servi sur le collatéral serait de 3,10%. En conséquence, le montant à mettre en collatéral serait donc supérieur aussi bien aux sommes de juillet qu’aux sommes allouées par les dirigeants européens, à EUR 38 milliards. Ces calculs sont également très dépendants des hypothèses de base. Ainsi, avec des nouvelles émissions souveraines grecques à 7% (au lieu de 6%), la perte en VAN se limite, toutes choses égales par ailleurs, à 47,5%. Si l’on retient un taux d’actualisation de 10% (au lieu de 9%) la perte en VAN atteint, toutes choses égales par ailleurs, 55,1%. On comprend mieux l’absence de détail du communiqué de presse officiel: l’important est la réduction de EUR 100 milliards de la dette grecque, montant à la fois faramineux et facile à retenir…

Recapitalisations bancaires, corollaire du PSI

* Principe et chiffrages discutables

La réticence de certains pays du Nord de la zone euro à prêter à la Grèce, leur exigence de voir le secteur privé impliqué dans des pertes éventuelles, ont ouvert une brèche dans le principe, jusqu’ici largement admis, selon lequel un Etat développé ne peut pas faire défaut. Cette brèche s’est encore élargie depuis que le FMI, en septembre dernier, s’est prêté au jeu du calcul de l’incidence de l’élargissement des spreads sur la valeur implicite des portefeuilles de dettes souveraines détenus par les banques européennes. Si le chiffre avancé par le Fonds avait alors frappé les esprits par son ampleur (EUR 300 milliards entre la fin 2009 et septembre 2011), les erreurs d’interprétation auxquelles il a donné lieu par la suite10 ont, néanmoins, fait éclore le débat sur le traitement comptable des expositions à la dette souveraine. Cela a finalement débouché, par l’accord des 26-27 octobre, sous l’effet de la détérioration des finances publiques grecques, et dans le dessein de contenir l’effet des dispositifs de soutien sur les finances publiques des autres pays de l’UE, sur une participation renforcée du secteur privé, suscitant un besoin de recapitalisation supplémentaire des établissements les plus exposés.

L’accord européen des 26-27 octobre sur un plan global de sortie de crise comporte ainsi un volet bancaire sur le renforcement des fonds propres. Dans la foulée de l’annonce du plan, l'Autorité bancaire européenne (EBA) a estimé à EUR 106,5 milliards le montant de capitaux propres supplémentaires qui seraient nécessaires aux principales institutions de crédit européennes11 pour atteindre, au 30 juin 2012, un ratio Core Tier 1 de 9%. Ce seuil s’avère supérieur aux exigences minimales réglementaires12. Le chiffre publié par l’EBA est une estimation préliminaire qui sera révisée courant novembre pour prendre en compte, lorsqu’ils seront définitivement arrêtés, les montants de fonds propres et des expositions au 30 septembre 2011, l’estimation finale pouvant s’établir à environ EUR 80 milliards. Les banques sont appelées à détailler d’ici à fin 2011 les moyens envisagés pour y parvenir, en tenant compte de l'ensemble de leurs expositions aux dettes souveraines européennes au 30 juin 2011 évaluées à leur prix de marché au 30 septembre 2011. La publication des résultats du troisième trimestre a révélé que certains grands groupes ont déprécié bien au-delà de ce que prévoit le plan des 26-27 octobre.

Les systèmes bancaires des pays dont les dettes souveraines subissent les décotes de marché les plus importantes concentrent, sans surprise, les besoins en fonds propres les plus significatifs – ce qui explique la forte corrélation entre CDS des emprunts d’Etat et bancaires. Ce sont, en particulier, les établissements grecs (besoins estimés à EUR 30 milliards), espagnols (EUR 26 milliards) et italiens (plus de EUR 14 milliards). Les besoins en fonds propres des quatre principales banques françaises sont, pour leur part, estimés à EUR 8,8 milliards. La plupart des grandes banques devraient être en mesure de combler le déficit de capital en procédant à des mises en réserves, sans faire nécessairement appel au marché.

En cas d'augmentation de capital, l'apport de capitaux privés doit être envisagé en priorité, l'intervention des autorités nationales en second lieu, le FESF ne devant être mis à contribution qu’en ultime recours.

Afin d’éviter que le relèvement du ratio de fonds propres ne vienne peser sur le financement de l'économie, le ratio au 30 juin 2012 sera calculé sur la base des actifs au 30 septembre 2011, dans le but de limiter la tentation du deleveraging.

Cependant, dans la perspective de la mise en application de Bâle 3 et sur fond de tensions sur la liquidité, les précautions de l’EBA ne devraient pas suffire à freiner les plans de réduction d’actifs. La somme des programmes de réduction des actifs pondérés annoncés ces dernières semaines par plusieurs grands établissements financiers avoisine déjà EUR 1 000 milliards, affectant naturellement les activités les plus consommatrices de capital (activités de marché ou credit valuation adjustment, notamment), dont les lignes de métier reposant sur des financements en dollar US. Au total, cependant, la préservation de l’offre de financement risque d’être contrariée par le durcissement de l’environnement réglementaire et le ralentissement de l’activité économique.

* Quelles modalités ?

Les recapitalisations reprendraient les grandes lignes des propositions faites par la Commission européenne le 13 octobre, à savoir : 

  •  Le plan de recapitalisation doit couvrir les banques «potentiellement systémiques», c’est-à-dire les institutions couvertes par les stress tests de l’ABE.
  • Une valorisation «prudente» de l’exposition aux dettes souveraines doit être retenue, afin d’assurer une totale transparence de la qualité des actifs. Ici, il a été retenu une comptabilisation en valeur de marché.
  • Compte tenu de toutes ces exigences, les banques affichant un ratio prudentiel trop faible devront présenter et mettre en place des plans de recapitalisation aussi rapidement que possible. Tant que les ratios prudentiels n‘auront pas atteint les niveaux appropriés, les institutions concernées seront contraintes par les régulateurs nationaux à ne verser ni dividendes (à leurs actionnaires) ni bonus (à leurs salariés). 
  • Il s’agira de faire appel à des capitaux privés autant que possible, en n’excluant pas l’option de convertir la dette en capital13 .
  • Si nécessaire, les gouvernements nationaux apporteront leur soutien, le FESF n’intervenant qu’en dernier ressort.

Le coût des recapitalisations devrait ainsi être relativement limité. On est donc très éloigné de ce que certains appelaient de leurs vœux, c’est-à-dire un TARP (Troubled Asset Relief Program) à l’européenne, doté d’au moins EUR 200 milliards. Mais si la réponse américaine à la crise financière de 2008 a été rapide, massive et semble-t-il efficace (la loi créant le TARP a été signée par le Président Bush un peu plus de trois semaines après la chute de Lehman Brothers), peut-elle pour autant servir de modèle à l’Europe ? Un premier élément de réponse réside dans les divergences de calendrier. Il ne faut, en effet, pas oublier que l’Emergency Economic Stabilization Act a été voté avant que les agences de notation ne décident de rétablir leur crédibilité (perdue avec la crise des subprimes) en dégradant les Etats souverains aussi souvent et massivement que possible. En octobre 2008, les Etats-Unis avaient encore les moyens de leurs ambitions. Ils ne les ont plus aujourd’hui, comme de nombreux pays européens, qui se sont engagés au retour rapide de leurs finances publiques à l’équilibre.

Il faut également noter que les Etats-Unis tentaient alors de prévenir le risque systémique lié à la taille des entreprises fragilisées (AIG, premier assureur mondial, General Motors, deuxième producteur mondial d’automobiles ou Citigroup, première banque mondiale avant la crise financière). Le paysage bancaire européen ne comprend pas aujourd’hui de tels colosses aux pieds d’argile, mais quelques institutions de petite taille présentant des besoins de recapitalisation14.

* Endiguer la contagion

La question grecque pourrait être, enfin, en voie de règlement. Il s’agissait dès lors de prévenir le risque principal, celui qui explique pourquoi les dirigeants européens ont tant tardé à prendre les bonnes (même si douloureuses) décisions, à savoir le risque de contagion. Dans un premier temps, il s’agissait de tuer les anticipations d’une future décote des dettes irlandaise et portugaise (les deux autres pays de la zone euro sous programme de la Troïka). L’augmentation de la force de frappe du FESF répond à cette problématique, alors qu’elle tente également de lever le risque de contagion à des pays tels que l’Espagne ou l’Italie.

L’Italie, bien que présentant un ratio de dette sur PIB élevé, est l’un des rares pays à afficher d’ores et déjà un solde primaire positif 15 . Mais le pays souffre d’une croissance chroniquement faible et, surtout, d’une instabilité politique préoccupante. C’est pourquoi les responsables européens, MM. Trichet et Draghi cet été, M. Sarkozy et Mme Merkel plus récemment, appliquent une pression toute particulière sur M. Berlusconi. In extremis, le mercredi 26 octobre, le gouvernement italien a finalement réussi à présenter un plan jugé satisfaisant par le reste de l’Europe, permettant d’ouvrir la voie à l’accord européen du soir même. Reste au pays à voter et appliquer ces mesures.

Les décisions prises fin octobre par les dirigeants européens sont de nature à lever une partie des tensions qui existent aujourd’hui sur les marchés de la dette souveraine de certains pays de la zone euro. Mais, nous nous abstiendrons de tout excès d’optimisme. Le montant que les pays hors zone euro sont prêts à apporter doit encore être précisé, tout comme l’efficacité des modalités prévues pour les recapitalisations bancaires. De plus, si nous avions l’habitude d’écrire que la balle était à présent dans le camp grec, force est de constater que cette fois, elle est dans le camp italien.

L’expérience de la crise de la dette souveraine en Europe conduit à un certain nombre de conclusions, bien connues de nos fidèles lecteurs16 : la nécessité d’un fédéralisme budgétaire dans la zone euro et, plus généralement, d’un degré élevé de centralisme dans la collecte de l’impôt17. Le cas particulier de l’implication du secteur privé dans la réduction de la dette grecque en amène d’autres. La plus importante est que plus vite la décision est prise moins lourde est la charge. S’il avait été décidé dès mai 2010 de faire porter au secteur privé des pertes équivalentes à celles décidées cet automne (de l’ordre de EUR 100 milliards), les charges d’intérêts auraient été bien moindres, réduisant d’autant les déficits publics. En résumé, le gouvernement grec aurait peut-être pu éviter une partie des mesures d’austérité votées (en catastrophe) pour assurer le versement des diverses tranches du plan d’aide de mai 2010. Et peut- être, la récession grecque aurait-elle été moins profonde… Peut-être aussi aurait-on pu éviter la contagion au Portugal, sans parler des pays qui se trouvent à la frontière du cœur et de la périphérie de la zone euro. En cela, la réponse américaine (dans la conjonction de son ampleur et de sa rapidité) à la crise financière de 2008 aurait dû servir d’exemple.

I Ce paragraphe a été rédigé en collaboration avec l’équipe Economie Bancaire.

NOTES

  1. F. Sturzenegger, J. Zettlemeyer : «Debt, defaults, and lessons from a decade of crisis», MIT Press, 2006.
  2. C. Reinhart, K. Rogoff, M. Savastano: «Debt Intolerance», Brookings Papers on economic activity, n°1, 2003.
  3. N. Roubini, B. Stetser: «Bailouts or Bail-ins?: Responding to Financial Crises in Emerging Economies», Institute for International Economics, Washington, 2004.
  4. Voir A.Estiot : «Consolidation européenne : Odin au secours de Dionysos», Conjoncture, avril 2011.
  5. La liste des réformes structurelles auxquelles la Grèce s’est engagée est longue, couvrant aussi bien la sphère fiscale que les privatisations, la rationalisation du fonctionnement de l’Etat, le système de santé, les retraites, le marché du travail, le système judicaire ou l’éducation. Une liste exhaustive (mise à jour et complétée à chaque revue de la Troïka) est donnée dans la lettre d’intention au FMI.
  6. Les décotes moyennes alors consenties étaient de 40% (fourchette allant de 80% pour la Bolivie à 20% pour le Venezuela). Voir W. Cline «International Debt Reexamined», Institute of International Finance, 1995.
  7. La courbe des taux (ou structure des taux) décrit la gamme des rendements associés à différentes échéances.
  8. Les fondamentaux plaident pour un spread de taux (par rapport au Bund) sur le 10 ans limité à 300 points de base. Il est actuellement de 2 200 points de base. Voir F. Cerisier et C. De Lucia «Zone euro : pas (encore) payée de ses efforts», Conjoncture, octobre 2011.
  9. Les nouvelles émissions obligataires de l’Etat grec à 30 ans portent un taux de 6%, le taux d’actualisation est de 9%, le taux d’intérêt du collatéral est de 3,75%.
  10. Ce montant avait été, à tort, directement assimilé à un besoin en fonds propres du système bancaire européen.
  11. Le périmètre retenu est celui de 70 principaux établissements bancaires européens, soit plus restreint que celui retenu lors des stress tests de juillet 2011 et qui comprenait 90 banques représentant 66,4% des actifs bancaires totaux de l’Union européenne + Islande, Liechtenstein et Norvège. La méthodologie de l’EBA est disponible à l’adresse suivante: www.eba.europa.eu.
  12. La définition du ratio Core Tier 1 retenue par l’EBA pour cet exercice présente un caractère intermédiaire, entre Bâle 2.5 et Bâle 3 (déductions Bâle 2 au numérateur mais en levant les filtres prudentiels comme dans Bâle 3).
  13. Cette option risque de poser un problème. Les créanciers des banques seront d’autant plus réticents à convertir les obligations en actions que promesse leur est faite qu’ils ne recevront pas de dividendes. Par ailleurs, cette opération pourrait contraindre fortement les financements à long terme des banques concernées, diminuant l’attractivité de leurs émissions obligataires.
  14. On pense, notamment, aux caisses d’épargne espagnoles. Voir D. Cavalier, «Banques espagnoles, attention travaux», Conjoncture, juillet 2011.
  15. Voir C. De Lucia, «La dynamique de la dette italienne», EcoWeek, 23 septembre 2011.
  16. Voir Ph d’Arvisenet «Crise de la dette souveraine en Europe» et J-L. Proutat «L’UEM priée de serrer les rangs», Conjoncture, janvier 2011.
  17. Les difficultés de la maîtrise des finances publiques au niveau local sont patentes, notamment en Espagne. Voir T. Mercier, «L’Espagne a encore les cartes en main», Conjoncture, juillet 2011.

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