par Stephan Mazel et Guillaume Lacroix, Responsable Gestion Crédit et Gérant High Yield chez Groupama AM
Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux titres obligataires de catégorie « investment grade » ont été rétrogradés en « high yield » par les agences de notation. Pour autant, les perspectives ne sont pas aussi sombres qu’attendu pour ces « anges déchus ».
Depuis le mois de janvier, ce sont 47 milliards d’euros de dettes « investment grade » qui sont passés en catégorie « high yield », uniquement sur le segment des titres libellés en euros*. 21 émetteurs sont concernés, parmi lesquels on retrouve sans surprise des entreprises du secteur aérien (Lufthansa), de l’automobile (Renault, Ford, Valeo), ou encore de la sidérurgie (ArcelorMittal)*.
380 milliards d’euros de dettes sont désormais classés en catégorie high yield en Europe, après une longue stagnation autour de 300 milliards*. Les anges déchus constituent le principal contributeur de cette progression du fait que les « downgrades » d’émetteurs « investment grade » sont revenus à leur plus haut niveau depuis 2015.
Une situation meilleure qu’attendu face aux craintes initiales
Pourtant, derrière ces chiffres a priori inquiétants, le sentiment des investisseurs est au soulagement. Et pour cause : à la mi-mars, au pic de la crise financière, les anticipations étaient beaucoup plus sombres. C’est d’ailleurs pendant la période de confinement mondial que la plupart des dégradations en catégorie high yield ont été prononcées par les agences de notation. Depuis, le mouvement s’est atténué, même si 10 à 15 milliards d’euros de dettes « IG » pourraient encore basculer en catégorie high yield d’ici la fin d’année.
Du côté des taux de défaut, la situation reste également bien meilleure qu’attendu. En avril, les agences de notations anticipaient un taux de défaut de l’ordre de 8% par an sur le segment high yield en Europe**. Or, le taux de défaut des emprunteurs reste actuellement autour de 4.9%** et ne devrait pas dépasser le seuil des 5 à 6% dans les prochains mois. On remarquera également que les défauts, quand ils ont lieu, restent très partiels : le taux de recouvrement pour les investisseurs reste élevé depuis le début de l’année, se situant généralement entre 50% et 90% du nominal de la dette.
Si la situation reste aussi « favorable » malgré l’importance de la crise économique, c’est notamment du fait que les mesures de soutien aux entreprises, comme les prêts garantis par l’Etat en France, ont permis de limiter considérablement les problématiques d’insolvabilité. Seuls les secteurs les plus touchés par la crise restent confrontés à cette problématique à court terme.
De nouvelles opportunités pour les investisseurs sélectifs
Dans ce contexte très particulier, l’arrivée de nouveaux « anges déchus » au sein de la catégorie high yield, associés à des rendements devenus plus consistants, peut être interprété comme un vecteur d’opportunités pour les investisseurs. Avec ces nouvelles arrivées, le segment high yield gagne en diversité et en profondeur, offrant un univers d’investissement plus large.
Certes, à court terme, les « fallen angels » restent souvent associés à des perspectives négatives, liées à la dégradation de leur situation financière. En contrepartie, leurs emprunts présentent un fort bêta, et peuvent donc connaître un rebond rapide aux premiers signes d’amélioration. Certains « anges déchus » de la précédente crise de 2015-2016 s’étaient d’ailleurs illustrés par leur rebond rapide et la réintégration de leur ancienne catégorie « investment grade ». Les secteurs de l’automobile et de la sidérurgie étaient déjà, à l’époque, au cœur de cette problématique.
Ces titres rétrogradés pourraient également bénéficier du soutien de la BCE. Plusieurs membres du conseil des gouverneurs se sont déjà dits ouverts à l’idée d’élargir le spectre des rachats d’actifs du quantitative easing aux anciennes obligations « investment grade » ayant basculé en catégorie « high yield ». Une telle opération écraserait les primes de risque sur ces titres, au bénéfice de leurs détenteurs.
Malgré ces espoirs, il reste plus que jamais essentiel de séparer le bon grain de l’ivraie sur ce segment de marché. Du fait des incertitudes de la crise actuelle, qui connaît une nouvelle accélération depuis le début du mois de septembre, il reste primordial de se tenir à l’écart des titres pouvant présenter un risque de défaut à court terme, notamment dans les secteurs du tourisme, des transports et de la grande distribution non-alimentaire, aux perspectives actuellement incertaines.
A l’inverse, d’autres secteurs se montrent plus résilients, en particulier dans les domaines de la santé, des télécommunications ou de la grande consommation alimentaire. C’est notamment au sein de ces secteurs que se trouvent des emprunteurs au profil idéal, présentant un risque modéré à court terme et de perspectives toujours solides à plus long terme.