par Jérôme Tavernier, Directeur de la Gestion chez VEGA IM
Les statistiques publiées en mars le confirment : la qualité de la croissance économique perdure, elle se diffuse dans toutes les zones géographiques et elle est équilibrée entre consommation et investissement. Du fait de leurs niveaux très élevés, les indices manufacturiers aux États-Unis se sont légèrement repliés, notamment sur les composantes « production », commandes à l’export et nouvelles commandes. Parallèlement à la confiance des chefs d’entreprise, les créations d’emplois s’établissent (jusqu’à présent) à des niveaux élevés.
Les créations d’emplois en mars ont constitué la 1ère statistique décevante sur le marché du travail outre-Atlantique, à 103 000 bien inférieures aux attentes de 185 000; cependant, notons que la croissance du salaire horaire a continué de progresser, pour se situer à + 0,3 % sur un mois, alors qu’elle n’était que de 0,1 %en février. Ces indicateurs militent pour la poursuite de la remontée des taux directeurs par la Fed. En termes de croissance, la question du goulot d’étranglement sur l’emploi questionne toujours sur la capacité de l’économie américaine à se situer encore durablement au-dessus de sa croissance potentielle au cours des prochains trimestres.
Le protectionniste changera-t-il la donne ?
Ces dernières semaines, les débats autour de la croissance ont été étroitement liés aux risques engendrés par le protectionnisme commercial cher à Donald Trump. En premier lieu, indiquons que les motivations du Président américain tiennent aussi à la politique intérieure, avec le contexte particulier des élections partielles en Pennsylvanie (État historiquement producteur d’acier, lire ci-contre). En deuxième lieu, les décisions fracassantes de Donald Trump répondent aussi à une volonté affirmée de réduction des importations. Certains des déséquilibres pointés par son administration sont d’ailleurs bien réels, avec la Chine bien sûr mais aussi l’Europe. Par exemple, l’Union européenne impose un droit de douane de 10 % sur les véhicules américains contre 2,5 % pour les voitures européennes vendues outre-Atlantique. Paradoxe : ces écarts devaient être débattus dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement dont Donald Trump s’est retiré dès sa prise en fonction.
La question aujourd’hui est donc de savoir si ces mesures impacteront réellement l’économie américaine et celles de ses partenaires. Selon l’opinion générale, la posture de Donald Trump a surtout pour but de créer un rapport de force favorable pour ses futures négociations. Il surveillera sans doute l’évolution des marchés actions, qui pourraient être mis à mal par ses propos : la bonne santé de la Bourse est un des principaux marqueurs de sa politique économique !
Des évolutions de taux corroborant l’évolution des indices actions
Nous le notons dans notre scénario depuis plusieurs mois : les taux des obligations souveraines évaluent de manière divergente de ceux des dettes d’entreprises de la zone euro à haut rendement; ces derniers se tendent suite notamment à plusieurs accidents survenus sur des dossiers spécifiques. L’analyse des flux d’investissement au 1er trimestre confirme ces mouvements : les compartiments investment grade et high yield subissent des retraits significatifs. Ceci traduit la plus grande aversion au risque des investisseurs aujourd’hui que l’année dernière.
En termes d’évolution des dettes souveraines, le mouvement est également significatif, avec une hausse des taux 10 ans américains, sans réel impact sur les taux européens. Le décalage de cycles économiques entre les États-Unis et l’Europe, de taux de chômage (et donc de pression salariale) et de surprise possible sur l’inflation, continue d’être bien intégré par les investisseurs. De plus, l’évolution entre les taux d’intérêt allemands ou français (qui décalent de quelques centimes comparativement aux taux italiens et espagnols, qui ont baissé respectivement de plus de 20 et 30 centimes), témoigne du fait que les investisseurs ne se focalisent pas du tout sur le risque politique européen en ce début d’année, et sont plus préoccupés par les conséquences des déclarations de Donald Trump.
Des investisseurs en recherche d’éléments tangibles et plus protecteurs
Les niveaux de valorisation en ce début d’année font de nouveau l’objet de débats, et notamment les multiples élevés de Price Earning Ratio (PER) des actions américaines et surtout sur le compartiment des valeurs technologiques. Dans ce contexte, il est significatif que des marchés habituellement mis un peu à l’écart fassent l’objet d’un retour de flux investisseurs. Cela a été le cas des actions émergentes, mais ce retour à des considérations plus fondamentales profite également au marché japonais, avec 16 semaines d’affilée de flux d’investissement positifs en 2018. Les critères rationnels et fondamentaux, comme la croissance du PIB de 1,7 % en 2017 (alors que la population décroit par ailleurs) ou la hausse modeste des salaires (et donc de la consommation) justifient certes l’appétit des investisseurs, mais l’argument le plus mis en avant tient, à la fois, à la valorisation du marché nippon (13 fois ses bénéfices pour 2018) et à la perception d’un pays qui n’est pas en première ligne dans la bataille commerciale mondiale que livre Donald Trump.
Inflation, guerre commerciale, valeurs technologiques américaines
Le marché passe en revue depuis le début d’année, plusieurs risques connus depuis longtemps, mais sur lesquels il ne s’était pas focalisé depuis plusieurs trimestres. Tout d’abord, la question d’une inflation américaine n’aurait pas définitivement disparu; certes, le discours d’une numérisation et d’une internationalisation de l’économie qui pèsent durablement sur la capacité d’augmentation des prix dans beaucoup de secteurs manufacturiers, perdure; mais, le marché avait choisi d’ignorer durablement plusieurs signaux :
- la baisse du dollar,
- la faiblesse du taux de chômage, susceptible d’entraîner des hausses de salaire dans certains secteurs,
- et surtout la forte hausse des indices de prix à la production alors qu’ils étaient encore en déflation il y a dix huit mois.
Le débat refait aujourd’hui surface ! Le même phénomène intervient avec Donald Trump : le marché avait choisi d’occulter une partie de son programme (notamment un retour de pratiques bilatérales et de rapports de force, au lieu d’accords internationaux). Enfin, la question du poids actuel de plusieurs valeurs technologiques en Bourse et l’émergence de conflits qui pourraient, un jour, conduire jusqu’à leur démantèlement est certes un sujet récurrent mais est redevenu brutalement d’actualité suite aux déclarations du Président américain envers Amazon. La divergence d’évolution des indices européens et américains, notamment sur les valeurs technologiques pour ces derniers, constitue un 3e point d’inquiétude pour les investisseurs, tant ce compartiment du Nasdaq est le symbole de la force du marché actions depuis plusieurs années.
Un aller/retour en février et un retour à la neutralité
Dans les tensions commerciales avec la Chine, le conseiller économique de Donald Trump, Larry Kudlow, indique que des négociations sont en cours pour un accord à la fois sur la propriété intellectuelle et une plus grande ouverture in fine de la Chine. Cette hypothèque levée, les investisseurs reprendront-ils des risques ? Surtout si de nouveaux développements, autour notamment des valeurs technologiques américaines, introduisent, à nouveau, de la volatilité. En cas de retour de cette dernière, nous reviendrons à une surexposition actions de notre allocation modèle; en effet, le décrochage des marchés observé depuis le début d’année va ramener les valorisations des indices européens à un niveau de moyen-long terme et la hausse des résultats des entreprises nous semble toujours tout-à-fait crédible du fait de la force de la croissance européenne.