par MO JI, Stratégie et Recherche Économique (Hong Kong) chez Amundi
Depuis la crise financière mondiale, les Cassandre annonçant la chute de la Chine font régulièrement leur retour ; une « nouvelle normalité » ? La Chine est entrée dans l’ère de la 3D, formée par la dépréciation du yuan (lire l’article de notre mensuel Cross Asset de septembre), la décélération de la croissance et la déflation. Cet article se penche plus particulièrement sur la décélération de la croissance.
À cause de données inadéquates et inexactes, la croissance économique de la Chine a toujours été un sujet relativement opaque pour les investisseurs. Pendant les années fastes (1978-2008), caractérisées par une expansion économique sans précédent, personne ne se préoccupait vraiment des détails du taux de croissance et l’on se contentait d’en récolter les bénéfices. Toutefois, depuis la crise financière mondiale, on voit régulièrement ressortir les Cassandre annonçant la chute de la Chine et faire la liste des éléments qui, selon eux, confirment la probabilité d’un atterrissage forcé à tout moment. Jusqu’à cet été, le temps a montré que ces personnes avaient eu tort pendant les six dernières années.
Est-ce différent cette fois-ci? Sommes-nous vraiment plus proches de ce qu’on appelle un « atterrissage forcé » et celui-ci est-il désormais plus probable? En tant qu’investisseurs, nous devons nous demander quels sont les facteurs qui peuvent aggraver la situation par rapport aux anticipations du marché, et surtout, nous devons aussi nous demander ce que peut faire la Chine pour dévier de sa trajectoire baissière, ou tout du moins se stabiliser plus longtemps que ne l’espèrent les marchés. La façon dont le marché ajuste ses anticipations (de vitesse et d’ampleur de la décélération) joue donc un rôle déterminant, tout comme la façon de valoriser ces anticipations au fil de ce processus d’évaluation dynamique.
Quels sont les arguments qui plaident contre la Chine, et qu’est-ce qui a changé ?
Les Cassandre annonçant la chute de la Chine existent depuis de longues années et pour la plupart, leurs inquiétudes se sont exprimées après l’expansion considérable du crédit qui s’est manifestée après la crise financière mondiale.
Tous ont des arguments similaires :
1. Bulle des investissements: investissements élevés et dépendance envers la construction entraînant une mauvaise allocation du capital et l’existence de surcapacités ;
2. Bulle du crédit: expansion considérable et insoutenable, généralement suivie par des troubles financiers ;
3. Bulle bancaire: essor des véhicules de financement des gouvernements locaux et forte hausse de l’endettement pour payer des projets d’infrastructure sans utilité économique ;
4. Bulle de l’immobilier: nombreux immeubles commerciaux et résidentiels vacants; en cas d’effondrement de ce secteur clé pour l’économie, la seule conséquence possible est celle d’un atterrissage forcé) ;
5. Surcapacités: notamment dans les secteurs de l’acier et du ciment, conséquence de la croissance excessive du crédit ;
6. Économie déséquilibrée: tirée par les investissements au lieu de la consommation, avec une transition difficile ces six dernières années;
7. Fuite des capitaux: le compte de capital fermé et le taux de change fixe assurent une grande liquidité de l’épargne domestique à des taux d’intérêt faibles, et garantit de la liquidité aux banques. Or celle-ci sera menacée quand le compte de capital sera libéralisé. Et la fuite des capitaux devient un vrai motif d’inquiétude étant donné les anticipations de dépréciation du yuan ;
8. Inégalités, dont le niveau est très élevé, tandis que les conséquences de la corruption endémique pourraient être source d’instabilité ; etc.
Se peut-il que l’association de tous ces facteurs engendre un atterrissage forcé inévitable et immédiat ? Cela n’a pas été le cas ces six dernières années.
Rétrospectivement, parmi les arguments des Cassandre, qu’est-ce qui a vraiment changé depuis 2009? Les autorités chinoises ont mis un terme à la relance en ralentissant la croissance du crédit et les investissements dans les infrastructures; le gouvernement central a limité les emprunts des gouvernements locaux et mené à bien cette année un plan d’échange de la dette locale; enfin, les autorités, qui avaient auparavant essayé de contenir la bulle immobilière, ont finalement déployé des mesures pour empêcher le marché de s’effondrer. En état de surchauffe après la relance, l’économie chinoise ralentit maintenant plus vite et davantage que prévu. De notre point de vue, la surchauffe post-relance explique seulement en partie le ralentissement actuel de l’économie chinoise. Nous détaillons ci-dessous les raisons fondamentales qui rendent la décélération chinoise inexorable, la question étant maintenant de savoir où tout cela va s’arrêter.
Est-ce que la décélération de l’économie chinoise est inévitable ?
Les cycles passés ont clairement démontré qu’en cas de baisse des avantages économiques issus de la croissance de la main-d’œuvre (dont le nombre culmine) et de la productivité (qui diminue, après la phase de mise à niveau de l’économie), le ralentissement de la croissance de l’activité est inévitable doit ralentir. On l’a vu dans le passé à la fois dans des pays émergents et développés. Aux États-Unis par exemple, la croissance du PIB réel est passée de 33 % en moyenne pendant les cinq années précédant son pic (1943), avant de redescendre à 6 % pendant les cinq années qui ont suivi le pic d’activité. Contrairement aux États-Unis qui ont connu un revers unique après son pic de croissance, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et la Thaïlande ont, quant à eux, connu un revers en deux étapes après leur pic de croissance, le premier dans les premières cinq années suivant le pic et le second dans les cinq années suivantes. Ainsi, le Japon est passé de 17 % de croissance pendant les cinq années précédant le pic d’activité (1974) avant de retomber d’abord à 8 % pendant cinq ans, puis à 3 % pendant cinq suivants. De même, la Corée du Sud est passée de 26 % de croissance avant le pic (1991) à 14 % (1992-1996), puis 3 % (1997-2001), ce qui représente un ralentissement très net; la croissance de Taïwan est passée de 31 % avant le pic (1976) à 21 % (1977-1981), puis s’est effondrée à 2 % (1982-1986); et celle de la Thaïlande est passée de 29 % avant le pic (1991) à 13 % (1992-1996), avant que l’activité devienne négative et se contracte de 7 % (1997-2001).
En Chine, le fait que la croissance de la main-d’œuvre ait atteint son niveau record (3,1 % fins 2014 vs. 5,1 % en 2004), tout comme la productivité totale des facteurs (moins de 1 % aujourd’hui après plus de 3 % dans les années 2001- 2010) nous porte à croire que le miracle économique est en train de prendre fin. On a ainsi pu constater que le taux d’urbanisation avait atteint son point culminant dans les années 2001-2005 à 1,4 % par an, contre 0,8 % en moyenne pendant la décennie actuelle, tandis que la demande en logement mesurée par les ventes de surface a radicalement baissé, passant de 20 % par an pendant la dernière décennie à moins de 10 % par an pendant la décennie actuelle. Ces tendances s’accompagnent d’un ralentissement de la croissance des exportations, égale à moins de 10 % par an pendant la décennie actuelle après s’être établie à 23 % par an pendant la décennie précédente (tenir compte de la dissipation de l’effet OMC, qui avait fourni au commerce extérieur une impulsion initiale de 4 %, et du fait qu’1 % de croissance en moins dans les pays du G3 entraîne 7 % de moins dans la croissance des exportations chinoises).
A quel niveau se situe la croissance économique réelle de la Chine ?
C’est la question que tout le monde se pose et à laquelle il est bien difficile de répondre, tant les avis divergent. L’objectif d’une croissance du PIB réel de 7 % en 2015 semble presque impossible à atteindre. En effet, les 3 composantes du calcul du PIB réel (investissements, exportations nettes et même consommation) enregistrent un ralentissement plus rapide que prévu. Le potentiel de baisse est toutefois difficile à évaluer en raison de l’inexactitude des données. Toutefois, une estimation à partir de la croissance des revenus fiscaux de la croissance réelle (environ 1/3) donne une croissance nettement inférieure à l’objectif; et le constat est le même si l’on base les calculs sur les chiffres de la consommation d’électricité, qui normalement dépasse de 1-2 % la croissance du PIB réel.
Le seuil matérialisant un scénario d’atterrissage forcé de la Chine est historiquement fixé à 5 % de croissance, compte tenu de son niveau d’emploi et de ses besoins. Il est possible qu’un niveau proche de ce pourcentage soit atteint d’ici 2 ans. Les estimations de croissance économique réelle de la Chine divergent, tout comme les degrés et les façons dont le marché l’intègre dans les valorisations. Nous ne pensons pas qu’un atterrissage forcé soit le scénario le plus plausible, mais sa probabilité a augmenté et le marché commence à réagir à ce niveau de risque accru en l’intégrant partiellement dans les prix.
Quels sont les facteurs clés à surveiller pour évaluer le ralentissement économique chinois ?
Au début de cet article, nous avons soulevé deux questions pour les investisseurs : qu’est-ce qui peut accentuer le ralentissement économique chinois? (les prix intègrent déjà partiellement une situation bien pire) Et surtout, que peut faire la Chine pour dévier de cette trajectoire inexorable, ou au moins faire en sorte que l’économie se stabilise autour de ses niveaux actuels pendant plus longtemps que ne le prévoit le marché (une situation que les prix n’intègrent pas du tout) ?
Nous sommes parfaitement conscients que la Chine n’a pas résolu de nombreux problèmes structurels, comme l’avancent d’ailleurs ses détracteurs depuis des années, et que d’autres difficultés surgissent à mesure qu’elle attend. Selon nous, il existe des facteurs clés à surveiller pour évaluer la vitesse du ralentissement actuel. Parmi ces facteurs, les plus importants sont:
1. Le retour d’un super-cycle de croissance du crédit. Dans le contexte actuel de politiques monétaire et budgétaire expansionnistes, des mesures encore plus radicales seront déployées quand la situation économique va s’aggraver; celles-ci risquent de favoriser le retour d’un super-cycle de croissance du crédit, ce qui constituerait alors un signal d’alarme ;
2. Le niveau toujours élevé du coût réel du financement: la PBoC ne va peut-être pas réduire encore ses taux (4,6 % pour le taux de prêt à un an) mais l’indice des prix à la production (IPP) continue à chuter et atteint un plus bas sur quatre ans à -5,9 %, ce qui implique un coût réel de financement égal à 10,5 %, l’un des plus élevés au monde ;
3. Le boom de l’immobilier, seul secteur gardant une importance cruciale dans l’économie chinoise. Le nombre de nouveau-nés est étroitement lié aux demandes de logement à venir dans les prochaines années. D’après l’expérience du Japon, tirée du tableau ci-dessus, la baisse de 41 % du nombre de naissances entre 1948 et 1961 s’est traduite par un recul de 29 % des mises en chantier entre 1973 et 1983 ; de même, la baisse de 40 % du nombre de naissances entre 1973 et 1989 a fait reculer de 46 % les nouvelles mises en chantier entre 1994 et 2012. En Chine, le nombre de naissances a diminué de 38 % entre 1987 et 2003 : par conséquent les nouvelles mises en chantier sont probablement appelées à baisser considérablement. L’économie chinoise doit mettre en place une réforme structurelle et ne doit pas dépendre exclusivement de son secteur immobilier, qui n’est pas viable ;
4. La libéralisation plus rapide que prévu du compte de capital. La Chine doit mettre en place une organisation institutionnelle appropriée, être claire dans sa communication et coordonner ses politiques ; à défaut de cela, plus vite elle va libéraliser son compte de capital, plus elle mettra en péril son économie réelle et plus élevées seront les anticipations de dépréciation du yuan, et, partant, les craintes de sorties de capitaux.
5. La hausse brutale du chômage. En raison de l’inexactitude des données, notamment sur la main-d’œuvre, deux indicateurs valent particulièrement la peine d’être surveillés: le chômage des travailleurs migrants et celui des jeunes diplômés. Une progression brutale de ces deux indicateurs serait le signe d’une grave détérioration du marché de l’emploi, voire d’un atterrissage forcé de l’économie; il faudrait pour cela que le chômage des travailleurs migrants dépasse 20millions (son précédent record pendant la crise financière mondiale) et que le chômage des jeunes diplômés concerne plus de 2,2 millions de personnes (soit 30 % du total, contre 10 % actuellement).
6. l’incertitude croissante liée à des erreurs politiques dans un environnement de plus en plus complexe, et la remise en cause de la crédibilité des autorités jusqu’à miner la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs. Le ralentissement de l’économie chinoise a mis la Banque centrale (PBoC) en première ligne pour restaurer la confiance, via des mesures d’assouplissement monétaire. À la différence de la Fed (qui pratique le ciblage de chômage et d’inflation) et du trio BCE/BOJ/RBI (ciblage d’inflation uniquement), la PBoC vise à travers ses politiques quatre composantes distinctes: l’inflation, le chômage, l’économie et la stabilité du système financier. Pour un pays aussi vaste que la Chine, n’est-il pas encore plus compliqué d’établir un jugement sur la situation, puis d’esquisser et de mettre en œuvre des politiques? Ça l’est effectivement. L’absence de consensus entraîne des appréciations erronées, ce qui renforce inévitablement les risques d’erreurs politiques. La PBoC ne devrait pas faire confiance à des politiques monétaires déployées bien trop tard. C’est une pratique fréquente, qui n’en reste pas moins une erreur. En cas d’effondrement simultané de la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs, l’économie chinoise serait face à des pressions considérables car l’annonce d’un tel scénario aurait un impact nettement plus important que le choc réel.
Nous sommes convaincus que la Chine peut ajuster sa trajectoire si elle déploie des politiques sensées en consacrant une attention particulière au calendrier, à sa communication, à l’enchaînement et à l’ampleur de ses mesures. Il existe des risques haussiers que le marché n’anticipe pas. Même si le risque d’atterrissage forcé est bel et bien présent, les vrais problèmes ne sont pas encore là.
Il faut éviter les malentendus tels que :
1. ralentissement prononcé de l’économie chinoise égale atterrissage forcé ;
2. les défauts (des PME exportatrices, des petits promoteurs immobiliers ou des produits hors bilan) sont des indicateurs d’atterrissage forcé ;
3. si des réformes structurelles sont vraiment mises en place, elles entraîneront un atterrissage forcé.
En conclusion, nous pensons que le ralentissement de la croissance chinoise est inévitable mais qu’il n’est pas forcément synonyme d’atterrissage brutal s’il s’accompagne de politiques sensées pour orienter sa trajectoire. Espérons que ce soit le cas.