Croissance : le retour du risque pétrole

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après avoir été relativement « stable » au dernier trimestre 2011, oscillant entre 105$ et 115$ le baril, le prix du pétrole (Brent) a très fortement augmenté depuis le début de l’année 2012 pour atteindre 128$ le baril le 8 mars, soit une hausse de près de 15% depuis le 1er janvier.

Si sa progression est moins forte que celle observée l’année dernière (le prix du pétrole avait augmenté de 32% sur les quatre premiers mois de l’année), le prix du pétrole revient sur ses plus hauts atteints en avril 2011. Pour les pays européens, le choc est également moins marqué qu’en 2011, 14% de hausse vs 22% l’année dernière) mais ils ne profitent pas cette année du rempart du taux de change, l’appréciation de l’euro l’année dernière ayant permis d’atténuer la hausse. Ainsi le prix du pétrole en euro dépasse aujourd’hui le pic atteint en 2011.

Cette nouvelle envolée du prix du pétrole s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : résurgence des tensions au Moyen-Orient (avec le risque iranien) laissant planer un potentiel risque de choc d’offre ; la liquidité mondiale avec l’expansionnisme des politiques monétaires ; enfin la très forte baisse de l’aversion pour le risque alors que le pétrole est considéré, à l’image des actions, comme un actif risqué. Les fondamentaux ne semblent pas en cause, en l’absence de déséquilibre entre l’offre et la demande de pétrole.

Si les niveaux actuels sont favorables aux pays producteurs de pétrole qui ont besoin pour la plupart d’un prix du pétrole élevé pour équilibrer leur budget1, ils pourraient conduire à une destruction de la demande potentiellement déstabilisante. L’Arabie Saoudite a d’ailleurs annoncé cette semaine sa volonté d’agir en augmentant sa production de pétrole pour tenter de faire baisser les prix. Rappelons que la hausse du prix du pétrole implique un transfert de revenu des pays importateurs nets vers les pays producteurs et que cette ponction de leur revenu national a des effets importants pour les premiers. Or la reprise attendue de la croissance mondiale reposait en partie sur le fort mouvement de désinflation, qui pourrait être effacé par le maintien du prix du pétrole aux niveaux actuels.

Parmi les grandes régions du monde, la zone euro est probablement la plus fragile actuellement, avec bon nombre de ses pays en récession. La récente hausse du prix de l’énergie vient s’ajouter aux nombreuses difficultés auxquelles la zone euro doit déjà faire face : austérité budgétaire qui conduit à une baisse des revenus des ménages, réduction des effectifs et des salaires, difficultés de financement qui touchent les ménages et les entreprises.

Du côté des ménages, la hausse du prix du pétrole a un impact direct sur leur pouvoir d’achat via la hausse du prix de l’essence et peut avoir un impact indirect via une hausse du prix des autres biens (« pass through »). Ainsi, les ménages sont obligés de réduire davantage leurs dépenses de consommation. Faisant face à une hausse du coût de l’énergie, les entreprises peuvent décider de la transmettre dans les prix finaux, maintenant leurs marges inchangées ou elles peuvent être contraintes, si la concurrence est forte, de contracter leurs marges pour rester compétitives.

En général, on considère qu’une hausse durable de dix euros du prix du pétrole a un impact haussier d’environ 0,5pt sur l’inflation et un effet récessif de 0,2/0,3 pt sur la croissance. Nos projections de croissance reposent sur un prix du pétrole en euro de l’ordre de 85, soit environ une dizaine d’euros en dessous du prix actuel. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, un maintien du prix du pétrole à ses niveaux actuels aurait pour conséquence une récession plus marquée (-0,5% vs -0,2% attendu) et une inflation plus forte (supérieure à 2,5% vs 2,2% attendu).

Le changement de président à la tête de la Banque Centrale Européenne peut-il modifier le comportement de celle-ci en cas de choc sur le prix du pétrole ? Dans le passé, sa réaction était bien connue avec les épisodes de juillet 2008 et de mars 2011… La croissance était cependant plus favorable à ces moments là … En tout cas, le maintien de l’inflation proche de ses niveaux actuels (2,7%) hypothèquerait probablement la baisse du taux refi que nous anticipons encore et qui pourtant serait la bienvenue dans un contexte de baisse plus marquée de la consommation et de l’investissement.

Il ne reste plus qu’à espérer que le prix du pétrole baisse dans les mois qui viennent avant que le recul ne provienne de l’effet récessif sur l’économie mondiale.

NOTES

  1. Cf. Commo Hebdo n°10 du 8 mars 2012

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