par Philippe Carpentier, Directeur général adjoint du Crédit Agricole d'Ile-de-France
Depuis dix ans, les cryptomonnaies (Bitcoin, Ethereum, Ripple et autres), nous font miroiter des rendements financiers spectaculaires… dont les menaces et les pertes me semblent toutefois sous-estimées. Univers peu régulé, ces cryptoactifs comptent à ce jour près de 1 600 « monnaies » virtuelles et, depuis 2016, des dizaines de levées de fonds via des jetons numériques (ICO, Initial Coin Offerings). Si je constate que ces nouvelles « monnaies » saturent régulièrement l’espace médiatique, on ne saurait en dire autant de leur présence dans l’économie réelle.
Le Bitcoin ne représente ainsi que 0,2 % des transactions au sein de la zone euro. Quand chaque minute, Visa et Mastercard exécutent près de 200 000 transactions, Bitcoin en opère seulement 80. Je constate également, et souhaite mettre en garde sur le fait que le potentiel de perte de ces cryptoactifs est inversement proportionnel à leur usage. En tant que banquiers, notre devoir est d’agir contre le défaut d’informations qui entourent ces investissements.
Sans contrôle centralisé
Lorsque le 16 décembre 2017, le cours du Bitcoin frôlait les 20 000 dollars, nombre d’entre nous ont pu se dire : pourquoi ne pas miser sur cette monnaie virtuelle, sans contrôle légal, disponible dans le monde entier et faite pour les nouveaux usages d’Internet ? Pourquoi pas. Chacun est libre de ses investissements. Cependant, je veux tout de même appeler les clients à la plus grande vigilance car ce sont ces mêmes arguments qui rendent ces investissements si risqués.
Les cryptoactifs fonctionnent selon une logique d’incitation financière de très court terme. Sans contrôle centralisé, les devises virtuelles ne possèdent pas de cours légal, à l’opposé des monnaies officielles qui disposent de taux de conversion entre pays et banques centrales. Quant aux ICO, elles ne protègent en rien les investisseurs en cas de piratage ou de faillite des plates-formes intermédiaires.
Le piratage est bien présent
Point qu’il me semble également important de soulever, les cryptomonnaies sont de fait synonymes d'une grande volatilité : environ vingt-cinq fois plus élevée que celle du marché américain des actions, douze fois supérieure à celle du yen et cinq fois plus forte que celle des matières premières. En 2018, elles ont connu un énième krach.
Comme nous le rappelle l’Autorité des marchés financiers, le bitcoin « repose sur un marché non régulé […] qui évolue dans un environnement informatique qui a ses propres règles et peut s’avérer non adapté aux personnes insuffisamment technophiles. […] Compte tenu de sa forte volatilité, ce marché est risqué ». Un risque d’autant plus accru que, selon la banque Morgan Stanley, 20 % des crypto-acheteurs dans le monde auraient recours à la dette pour financer leurs investissements !
Concernant les levées de fonds par ICO, mon rôle est d’alerter sur le fait que les plates-formes servant d’intermédiaires entre investisseurs et émetteurs de jetons sont confrontées à un nombre croissant de fraudes, de falsification des clés privées et autres logiciels malveillants… Entre 2011 et 2018, Morgan Stanley a ainsi recensé 19 incidents graves pour un montant estimé des pertes s’élevant à 1,2 milliard de dollars. Lors de tels piratages, les détenteurs de cryptoactifs n’ont souvent aucun recours.
10 % des montants des ICO disparus ou volés
Je poursuis mon tour d’horizon de ce nouvel univers avec un autre enjeu majeur : celui de la garantie d’opérations sûres. Comment appliquer des droits définis dans des législations nationales à des actifs immatériels circulant à grande vitesse sur Internet ? Là encore, les ICO ne présentent pas de garantie pour les souscripteurs. Entre 2016 et début 2018, le cabinet E&Y estime que sur les 3,7 milliards de dollars levés via de telles opérations, 400 millions de dollars avaient disparu ou avaient été volés.
De plus, nombre de plates-formes d’ICO agissent sans aucun agrément ni contrôle. Elles sont parfois tenues par un simple particulier, confrontant les épargnants au mieux à un risque de négligence ou d’amateurisme, au pire à de l’escroquerie pure et simple. La plus grande prudence est donc de mise.
Un début d’encadrement
Face à la croissance de ces cryptomonnaies et l’arrivée d’acteurs du numérique s’insérant dans la brèche, les institutions commencent à réagir. Dernièrement, c’est le Libra, de Facebook qui suscitait à juste titre une levée de boucliers. Cette monnaie virtuelle, aux mains d’une entreprise privée, souhaite à terme concurrencer les monnaies fiduciaires. Début novembre 2019, le ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire s’inquiétait de ces nouveaux projets : « nous ne voyons pas ce qui légitime l’entrée des géants du numérique dans un champ de compétence qui est celui des Etats ». L’initiative, annoncée en grande pompe, semble moins convaincre qu’à ses débuts : ses grands partenaires, Visa, Mastercard, Booking et plus récemment Paypal – pour n’en citer quelques-uns – se sont retirés du projet. Sans approbation des régulateurs compétents, plus compliqué de se faire une place. Et de gagner la confiance des clients.
D’une manière plus générale, les pouvoirs publics se sont emparés de cet enjeu qui touche à la confiance financière comme au patrimoine des personnes. En France, la loi PACTE votée en 2019 a instauré un cadre pour les levées de fonds par émission de jetons et pour l’achat de tels titres (via des prestataires de services sur actifs numériques).
En parallèle, l’Autorité des marchés financiers tient à jour une liste noire des plates-formes non autorisées. Dépourvues de visa d’agrément, celles-ci ne peuvent plus démarcher le grand public.
Pour les investisseurs boursiers français, c’est une première protection, mais en mode mineur. Sur le front des monnaies virtuelles en revanche, tout reste aux risques et périls des clients. C’est pourquoi, au Crédit Agricole d’Ile de France, nous avons décidé d’instaurer une procédure d’alerte pour informer les clients qui souhaiteraient se laisser tenter par l’aventure des cryptomonnaie. Car j’insiste, notre rôle est d’informer – pas de réprimer. Quoi qu’il en soit, en matière de cryptoinvestissements, ma recommandation est de faire preuve de la plus grande prudence, pour ne pas s’exposer au jeu du « vouloir plus pour perdre plus »…