par Guillaume Lasserre, Responsable des Investissements chez Lyxor Asset Management
Le risque d'inflation est l'une des principales préoccupations des régimes de retraite à prestations définies. Bien que les chiffres d'inflation de l'Union européenne soient modérés et que les investisseurs s'attendent actuellement à un léger rebond du rythme des hausses de prix, le risque de mauvaise surprise inflationniste subsiste.
Le déficit global des régimes de retraite à prestations définies européens s’est creusé
Malgré la correction subie par le marché en février 2018, les marchés boursiers et obligataires demeurent proches de leurs plus hauts historiques, neuf ans après les heures les plus noires de la crise financière mondiale. Mais les prix élevés des actifs n'ont pas permis aux régimes de retraite européens à prestations définies d’échapper à une crise de financement qui n’a cessé de s'aggraver.
Selon Gabriel Bernardino, président de l’Autorité Européenne des Assurances et des Pensions Professionnelles (AEAPP), l’Europe doit relever de nombreux défis quant à la pérennité et à l’adéquation de ses régimes de retraite.
L’an dernier, M. Bernardino a déclaré lors d’une conférence organisée par Handelsblatt1 que l’environnement actuel, caractérisé par des taux d’intérêt bas et une hausse de l’espérance de vie, pesait fortement sur le financement des programmes à prestations définies.
Ces tendances ont accru les coûts pour les sponsors qui proposent des régimes de garanties de retraite à vie, en les rendant ainsi moins abordables et moins pérennes. Selon une étude menée par l'AEAPP en 2015, le déficit global des fonds de pension à prestations définies européens s'élève désormais à 1.200 milliards d'euros.
À titre d’illustration, il convient de noter qu’au Royaume-Uni, le plus grand marché des régimes de retraite privés en Europe est une source d’abondantes données disponibles, les actifs totaux des régimes de retraite à prestations définies ont augmenté de 561 milliards de livres sterling depuis 2009, reflétant la bonne santé des marchés actions et obligataires. Mais les engagements totaux de ces régimes ont augmenté de 768 milliards de livres sterling au cours de la même période. Au total, les régimes de retraite britanniques à prestations définies sont déficitaires de 780 milliards de livres sterling et affichent un ratio de financement global de 63%, un chiffre qui ne s’est guère amélioré depuis la crise2.
Conséquence directe, les entreprises britanniques, et plus généralement les entreprises européennes, devront financer la plus grande partie de ces déficits ou revoir à la baisse le niveau des prestations. De ce fait, nous observons inévitablement des tensions sociales et politiques croissantes. Ainsi, en février 2018, le personnel des universités britanniques s’est mis en grève pour protester contre des propositions de modifications du régime de retraite visant à combler un déficit de 6,1 milliards de livres sterling au sein du Universities Superannuation Scheme (USS).
Le risque d’inflation est important
Il est clair que l'effondrement des taux d'intérêt depuis la crise financière ainsi que l'amélioration de la longévité ont contribué à augmenter la valeur des engagements futurs des régimes de retraite à prestations définies. À l'actif du bilan d’une caisse de retraite moyenne, la remontée des marchés actions et obligataires a permis, dans une certaine mesure, de contrebalancer ces tendances. Mais à quel moment le risque d'inflation s'inscrit-il dans ce tableau ?
Il est possible de quantifier les quatre principaux types de risques qui affectent les régimes à prestations définies – les taux d'intérêt, la longévité, l’inflation et les prix des actifs – dans le cadre d'un exercice d’analyse. Le scenario considéré suppose pour chaque variable étudiée un mouvement égal à deux fois la volatilité historique calculée sur trois ans : ceci correspond à un environnement de marché fortement défavorable, mais toutefois possible.
Le graphique ci-dessous montre l'impact théorique sur la situation financière d'un régime de retraite à prestations définies de tout changement qui surviendrait dans chacune de ces quatre catégories de risque, plus précisément :
- Une baisse de 120 points de base (1,2%) des taux d’intérêt
- Une hausse de 60 points de base (0,6%) de l’inflation
- Une chute de 25% des marchés actions
- Un allongement de deux ans de la durée de vie des membres du régime de retraite.
MESURER L'IMPACT DE QUATRE FACTEURS DE RISQUE SUR LA SITUATION FINANCIÈRE D'UN RÉGIME DE RETRAITE
Source : Lyxor
Dans le cadre de notre simulation, nous partons du principe que les engagements du régime de retraite ont une durée moyenne de 15 ans et sont entièrement indexés sur l'indice des prix à la consommation. Les actifs du fonds de pension sont investis à hauteur de 70% dans un portefeuille de liability matching ayant recours à des obligations et à 30% dans les actions d’un indice boursier global. Cela se traduit par une duration totale des actifs de la caisse de retraite de dix ans.
Nous observons qu’une baisse de 120 points de base des taux d’intérêt a l’effet global le plus important sur la situation financière de la caisse de retraite puisqu’elle se traduit par une perte correspondant à plus de 10% de la valeur des engagements. L'inflation ressort comme le deuxième plus grand facteur de risque. Une hausse de 0,6% de l’inflation future entraîne une perte de près de 9% des engagements.
Une chute de 25% des marchés actions et l’allongement de deux ans de la durée de vie des membres du régime ont à peu près le même effet, à savoir une perte d’environ 6-7% des engagements du régime.
Quel risque faut-il couvrir ?
Il paraît peu propice de se protéger davantage contre de nouvelles baisses des taux d'intérêt après une période où les taux sont revenus à des niveaux légèrement au dessus de zéro dans la plupart des pays européens. Les rendements obligataires ont suivi les taux d’intérêt souverains à la baisse et enregistré en 2016 des plus bas historiques, même s’ils ont repris quelques couleurs depuis. En se protégeant contre de nouvelles baisses de taux, on risque de s’enfermer dans une stratégie de couverture à un moment très inopportun. Dans les conditions de marché actuelles, un ratio de couverture3 d’environ 50% nous semble déjà satisfaisant.
Très difficile à couvrir à l’aide d’instruments disponibles sur les marchés financiers, la réduction du risque de longévité n’est pas considérée dans le cadre de cette étude.
Enfin, il peut être judicieux de se couvrir contre une chute de 25% des actions. Toutefois, ces dernières sont utilisées pour combler l’écart entre la valeur des actifs et celle des engagements en offrant une prime par rapport à ceux-ci, si bien que couvrir le risque lié aux actions revient à supprimer la capacité à percevoir la prime associée.
Dans la situation actuelle, le risque d’inflation ressort comme la variable la plus pertinente à couvrir. En effet, il s’agit du deuxième risque le plus important dans cet exercice de simulation et les taux d'inflation sont aujourd’hui à des niveaux historiquement bas.
Inflexion du cadre structurel de l’inflation
Plusieurs facteurs combinés ont permis la diminution remarquable de l’inflation que connaissent les pays développés depuis le milieu des années 1980. Nous pensons cependant que d’importantes barrières empêchant une possible réémergence de l’inflation tombent les unes après les autres.
Premièrement, les « dividendes de la paix » ont disparu avec l’émergence d’un monde multipolaire aux prises avec le terrorisme. Les « dividendes de la paix » font référence à la fin de la Guerre froide, qui a permis aux pays de réduire les budgets alloués à la défense, et par conséquent les dépenses non productives, source d’inflation à long terme. Mais les choses sont en train de changer : selon les statistiques de l’OTAN, les dépenses en matière de défense des nations européennes de l’OTAN se sont sensiblement accélérées ces trois dernières années, enregistrant une croissance réelle de 3,6% en 2017.
Parallèlement, la rigueur budgétaire est moins à l’ordre du jour. Ainsi, les économies avancées, qui n’affichaient que des déficits négligeables en 2005, présentent à la suite de la Grande Récession d’importantes lacunes budgétaires. Sous l’impulsion de l’Allemagne, la zone euro est parvenue à réduire son déséquilibre financier de manière décisive. Pourtant, l’attitude vis-à-vis de la rigueur budgétaire s’infléchit : de nombreux gouvernements semblent prêts à accroître leurs déficits budgétaires si tel est le prix d’une accélération de la croissance et de l’inflation.
Point important, les politiques monétaires restrictives menées par Paul Volcker dans les années 1980 sont bel et bien tombées dans l’oubli. En effet, depuis la crise financière de 2008, les principales banques centrales ont déployé un arsenal de mesures inédites et non conventionnelles pour empêcher la formation d’une spirale déflationniste et contribuer à une relance de l’inflation.
Les événements politiques récents, tels que le Brexit ou les premières décisions du président Trump en matière d’accords commerciaux, illustrent la résurgence du protectionnisme qui s’accompagne d’un risque d’inflation plus élevé. Ces phénomènes témoignent d’une prise de distance vis-à-vis du libre-échange, dont les avantages incluent la spécialisation, les économies d’échelle et une concurrence accrue, autant d’éléments favorables à la désinflation.
Enfin, le sentiment est en train d’évoluer. La stagflation qui a régné sur les années 1970 et le début des années 1980 a profondément marqué les ménages qui essayaient de faire face à une inflation élevée et un taux de chômage galopant. Faire baisser l’inflation est alors devenu un objectif politique majeur, avec le soutien de l’opinion publique. Toutefois, depuis la crise, les ménages déplorent la morosité induite par la stagnation des prix et des salaires.
Cela étant, les autres obstacles à une résurgence de l’inflation ne semblent pas devoir s’amoindrir, si bien que le renforcement de l’inflation pourrait prendre du temps.
Les améliorations technologiques, telles que les nouveaux canaux de communication et le recours plus large à Internet, la transmission plus rapide des idées qui en résulte, l’efficacité énergétique accrue et les avancées en matière de big data, sont autant d’éléments contribuant à accroître la productivité. L’automatisation devrait également continuer à freiner l’inflation des salaires, en fournissant des substituts aux emplois à faible valeur ajoutée. La démographie jouera certainement un rôle dans les mouvements d’inflation, mais la relation entre l’allongement de l’espérance de vie et les hausses de prix n’est pas clairement définie.
En résumé la diminution des obstacles à une augmentation de l’inflation plaide, du côté des investisseurs, pour des mesures de contrôle du risque associé à cette résurgence. Se positionner dans l’hypothèse d’un repli des taux d’inflation à long terme – une stratégie très lucrative ces dernières années – apparaît risquée désormais. Il serait prudent, dans les conditions de marché actuelles, de couvrir entre 25% et 50% du risque inflationniste d’un régime à prestations définies tel que décrit dans notre exemple.
Considérations pratiques pour couvrir le risque d’inflation
Les régimes de retraite à prestations définies européens qui envisagent une couverture contre l'inflation disposent de différentes options. Ils peuvent simplement acheter des obligations indexées sur l’inflation, investir dans des actifs pouvant servir de couverture partielle de l’inflation, tels que les actions, les biens immobiliers, les infrastructures ou encore mettre en place une couverture sur mesure via des dérivés sur inflation.
Dans le cas présent, considérons uniquement les investissements directement liés à l’inflation à long terme, à savoir essentiellement les obligations et dérivés indexés sur l’inflation.
Les intervenants qui font appel au marché des obligations indexées sur l'inflation de la zone euro ont un choix de plus en plus vaste. Les gouvernements français, italien, allemand et espagnol émettent tous ce type d’obligations, l’Italie et la France étant les plus grands émetteurs publics européens. Le marché des obligations indexées sur l’inflation de la zone euro avoisinerait 550 milliards d’euros. La moitié environ de ces titres suivent un indice des prix de la zone euro et l’autre moitié une inflation locale, avec des émissions dont les maturités sont surtout concentrées sur le segment 1 an à 10 ans. De telles obligations inflation représentent généralement entre 10% et 15% de la valeur de l’encours total des emprunts d’Etats.
Le marché des obligations indexées sur l’inflation présente une liquidité hétérogène, avec des disparités fortes entre les différents émetteurs et entre les maturités pour un même émetteur. Si nous prenons comme référence la liquidité des obligations indexées sur l’inflation d’échéance 0-10 ans émises par la France, ce segment se révèle deux fois plus liquide que son équivalent sur le marché italien, et trois fois plus que sur le marché allemand.
Les écarts de liquidité entre les différentes maturités sont significatifs. La liquidité moyenne du segment des obligations indexées sur l’inflation à 0-10 ans de la France est quatre fois plus élevée que celle du segment à 10-20 ans et dix fois supérieure à celle du segment à 20 ans.
Par conséquent, même si toutes les obligations indexées sur l’inflation sont sensibles à l’inflation via leur exposition aux taux réels, la construction d’un portefeuille de couverture investi dans ces instruments requiert une analyse attentive de la liquidité et de l’exposition au risque de crédit.
Le marché des swaps d’inflation quant à lui présente des caractéristiques attrayantes pour les investisseurs. Premièrement, les besoins de liquidité se limitent aux paiements des appels de marge, permettant une utilisation plus souple du capital disponible, ce qui se révèle particulièrement important dans un contexte de sous- financement généralisé des programmes à prestations définies. La liquidité du marché des swaps d’inflation est directement liée à celle du marché des obligations indexées sur l’inflation, et atteint ses niveaux les plus élevés sur les échéances inférieures à 10 ans. Selon Barclays, un montant notionnel de 700 millions d’euros est négocié chaque jour sur le marché des swaps d’inflation libellés en euros, et 90% des transactions concernent des échéances de moins de 10 ans.
Les régimes à prestations définies individuels peuvent, en fonction de leur situation particulière, décider de recourir à un investissement entièrement financé par des obligations indexées sur l'inflation ou à un contrat dérivé pour couvrir le risque d'inflation.
Cependant, un grand nombre de fonds de retraite à prestations définies font appel à des solutions d’investissement adossées aux engagements utilisant des swaps pour couvrir le risque d’inflation. Cela leur permet en effet de conserver des actifs générateurs de rendements au sein de leur portefeuille tout en assurant une couverture efficace du point de vue de la mobilisation du capital et ceci sans dégrader de manière significative la liquidité des investissements.
Les avantages du recours à une gestion fiduciaire
Les régimes de retraite à prestations définies cherchant à couvrir le risque inflationniste peuvent se tourner vers des sociétés de gestion comme Lyxor. Ils trouveront des acteurs de place qui les conseilleront sur les programmes optimaux à mettre en œuvre tant du point de vue de la qualité du design de l’exposition au risque inflation et de sa liquidité que de la consommation de capital associée à cette problématique de couverture.
Que le choix se porte sur des solutions utilisant des obligations ou des swaps, les enjeux de gestion de tels portefeuilles sont fondamentaux : exécution au meilleur prix, suivi opérationnel et accompagnement au regard de l’évolution de l’exposition au risque inflation.
En tant qu’architecte gérant, Lyxor a un rôle de conseil et d’orientation. Nous déployons pour nos clients ayant des engagements à long terme, des solutions sur-mesure pour la définition optimale de leur portefeuille global et la mise en œuvre d’un éco-système de gestion complet. En utilisant les meilleures expertises du marché, développées en propre ou sélectionnées auprès de nos partenaires, nous accompagnons nos clients sur toute la chaîne de valeur de leurs investissements.
NOTES
- Voir le « Discours inaugural de Gabriel Bernardino, président de l’AEAPP, lors de la 18e conférence annuelle Handelsblatt sur les pensions professionnelles, Berlin, 27 mars 2017 », disponible sur le site.
- Source : UK Pension Protection Fund Purple Book 2016, données pour la période 2009-2016. Les chiffres du déficit et du ratio de financement sont calculés sur une base de rachat, c’est-à-dire en tenant compte du coût d’achat d’une annuité pour tous les membres du régime.
- Le ratio de couverture pour les taux correspond au ratio de financement x (duration des actifs/duration des engagements)