par Inna Mufteeva et Thomas Julien, économistes chez Natixis
Pour la première fois de son histoire, l’agence de notation Standard & Poor’s a modifié de « stable » à « négative » la perspective de long terme de la dette des Etats-Unis, notée AAA. Les raisons évoquées dans le communiqué de presse mentionnent des finances publiques durablement dégradées, l’absence d’un accord entre l’administration et le Congrès sur les mesures possibles de consolidation et, en conséquence, l’absence de projet crédible à moyen et long terme, ce qui isole les Etats-Unis des autres pays AAA. En effet, dans un contexte de fortes divergences politiques entre les deux partis américains, l’introduction d’un programme de consolidation fiscale bipartisan, crédible et efficace s’avère difficile et nécessitera des efforts de coopération importants.
Malgré ces difficultés politiques, une dégradation de la note des Etats-Unis nous paraît peu probable à horizon 2012. Les contraintes de temps ne s’avèrent pas très fortes (au moins jusqu’à fin 2011), alors que la commission informelle des membres du Congrès prépare déjà un projet bipartisan qui pourrait servir d’amorce aux débats sur une consolidation budgétaire. Il faut toutefois préciser qu’à moyen et long terme une baisse de l’endettement public ne diminuera pas considérablement la dépendance du pays au financement externe car une hausse de l’épargne publique sera probablement compensée par une nouvelle baisse de l’épargne privée en cas de redémarrage du crédit au secteur privé.
Dégradation des perspectives de long terme des Etats-Unis
Le 18 avril 2011, l’agence de notation Standards & Poor’s a dégradé la perspective de long terme pour la dette souveraine des Etats-Unis de « stable » à « négative », en confirmant toutefois la note de AAA. Cette décision n’est pas liée à la difficulté actuelle du Congrès américain d’augmenter le plafond légal de la dette publique, mais a trait aux défis fiscaux de moyen et long terme.
L’agence a mis en avant trois raisons :
- Malgré la flexibilité élevée de l’économie américaine et le rôle du dollar dans les échanges mondiaux, l’état actuel des finances publiques remet en question la qualité de la dette des Etats-Unis.
- Il y a de fortes incertitudes sur la possibilité de trouver un compromis bipartite crédible entre l’administration Obama et le Congrès en matière de réduction du déficit. Même si les deux grands partis américains arrivent à trouver une stratégie commune à l’aide des commissions bipartisanes, les modalités techniques d’un accord, telles que l’échelle, les mesures de consolidation à moyen et long terme, ainsi que leur impact sur l’économie, restent incertains.
- Comparativement aux autres pays à qui la note AAA est attribuée, l’avancement des Etats-Unis sur la question des finances publiques est beaucoup plus modeste. En effet, les autres pays ont déjà mis en place ou préparé des plans concrets d’austérité (Royaume-Uni, Allemagne, Canada, France). La mise en place des mesures comparables nécessiterait des décisions politiques difficiles, qui pourraient être abrogées par les prochains gouvernements.
Une chance sur trois
L’agence S&P a déclaré qu’il y a maintenant une chance sur trois pour qu’elle abaisse la note des Etats-Unis au cours des deux prochaines années.
Lors de la conférence de presse, les analystes de S&P ont précisé que le maintien du triple A est conditionné à un accord entre les deux partis avant les élections présidentielles de 2012 qui auront lieu en novembre et à la mise en œuvre de cet accord à partir de l’année 2013. Par ailleurs, la loi doit absolument résulter des négociations bipartisanes pour asseoir sa crédibilité de long terme. Il semble donc qu’en termes de timing le gouvernement a encore du temps pour élaborer un projet de qualité.
L’inclinaison actuelle de la politique monétaire et la fin possible du QE2 en juin 2011 n’ont pas motivé la mise en perspectives négatives. Les analystes de S&P estiment que la politique de la Fed en matière de gestion des anticipations d’inflation reste crédible et que la banque centrale américaine achèvera le programme tel que prévu et entamera bientôt un cycle de resserrement monétaire.
En ce qui concerne le scénario économique de base, S&P reste relativement optimiste avec une croissance du PIB de 3% attendue en 2011, l’inflation à 3% qui devrait rebaisser à 2% en 2012 et une hausse des taux 10 ans en termes réels de 1% à 2,8% en 2012. Malgré le contexte économique plutôt favorable, le déficit fiscal devrait, selon les estimations de l’agence, rester supérieur à 6% jusqu’en 2015.
« Not a Big Deal »
Peu après la publication de l’annonce de cette mise en perspective négative, une autre agence de notation, Moody’s, a publié un rapport hebdomadaire où elle évaluait positivement l’introduction des différents projets de consolidation budgétaire (notamment, celui de Ryan et d’Obama).
La première réaction du Trésor s’est avérée réservée. Dans le communiqué de presse, le secrétaire assistant du Trésor pour les marchés financiers M.Miller suggère que l’agence de notation S&P « a sous-estimé la capacité des leadeurs de l’Amérique à se rassembler pour faire face aux difficiles défis budgétaires auquel la nation est confrontée ».
La réaction du milieu académique parait également assez neutre. La totalité des économistes confirment les difficultés budgétaires des Etats-Unis, mais considèrent l’action de S&P comme un moyen de pression supplémentaire sur le législateur américain. Une action similaire avait déjà été entreprise au Royaume-Uni, dont les perspectives « négatives» ont été ramenées à « stables » après l’introduction des mesures d’austérité par le gouvernement Cameron.
Même si l’information communiquée aujourd’hui n’est pas neuve, les marchés ont bien entendus la sonnette d’alarme et leur première réaction était assez violente. On note entre autre la baisse de l’indice boursier S&P500 de 0,8% à l’ouverture et une envolée des taux longs, qui s’est toutefois avérée temporaire.
Et si la note se dégrade ?
Cette annonce de S&P a révélé les risques non-négligeables sur la croissance économique des Etats-Unis que pourrait entrainer le manque de réactivité de la part des législateurs. En effet, une dégradation de la note des Etats-Unis aurait des conséquences désastreuses : une envolée durable des taux d’intérêt et donc des coûts de financement qui pèseraient fortement sur les ménages (les plus en difficultés) et les entreprises, ce qui freinerait significativement la croissance.
Il faut toutefois préciser qu’il s’agit d’un horizon de moyen et long terme (à partir de 2013), car l’agence a annoncé « une période d’essai » pour le gouvernement jusqu’aux élections 2012. A court terme et à horizon de nos prévisions (pour les années 2011 et 2012) nous n’anticipons pas de changement de paradigme pour notre scénario macroéconomique.
Une dynamique inquiétante
Comme il est mentionné ci-dessus, l’action entreprise par l’agence S&P ne révèle rien de nouveau. Tout un chacun est désormais bien avisé du problème structurel de la dette américaine. Le CBO, organisme non-partisan, chargé officiellement de projeter les tendances budgétaires suivant les différents scénarios envisageables, livre lui aussi des perspectives inquiétantes.
Suivant le scénario de base du CBO, qui implique entre autre une expiration généralisée des baisses d’impôts de l’administration Bush ou encore l’arrêt de l’indexation de l’AMT (Alternative Minimum Tax) sur l’inflation, le déficit se stabiliserait un peu au dessus de 3% du PIB en 2013 et la dette dépasserait progressivement 75% du PIB.
Toutefois, ce scénario semble peu probable. Il existe une probabilité non nulle que l’indexation à l’inflation de l’AMT, certaines baisses d’impôt de Bush et des « doc fix » (qui bloquent une baisse de 25% du taux de rémunération des médecins travaillant dans le cadre de Medicare) soient prolongées. Selon les estimations du CBO, dans le cas d’une prolongation de certains programmes actuels, le déficit restera au dessus de 5% du PIB à horizon 2020 alors que la dette publique détenue par le public continuera de monter vers le seuil symbolique des 100% du PIB sur les 10 prochaines années.
Par ailleurs, un indicateur des déséquilibres budgétaires – le ratio de dette publique totale sur les recettes fiscales après la charge d’intérêt s’est fortement dégradé ces dernières années : il faut maintenant 3 ans de recettes cumulées (après charge d’intérêt) pour payer la dette. A noter que la dette souveraine du Japon a perdu la note AAA chez S&P quand ce ratio a dépassé le seuil de 4 ans.
Démocrates versus Républicains : l’impossible compromis
Les deux partis ont tour à tour présenté leurs propositions de réforme budgétaire. Schématiquement, deux visions s’affrontent. D’un côté les Républicains, fidèles à leur volonté de réduire la taille de l’Etat, poursuivent des programmes de réduction des dépenses publiques avec une moindre imposition des entreprises, la pérennisation des baisses d’impôts de Bush et l’abrogation de la réforme de santé. Paul Ryan, Président du Comité au Budget de la Chambre des Représentants a révélé récemment un projet ambitieux de consolidation budgétaire basé sur ces principes.
En ce qui concerne les dépenses de santé qui sont la source la plus importante des pressions haussières de long terme sur le budget, Ryan a proposé de remplacer le programme d’assurance publique Medicare pour les personnes âgées par un système de subventions individuelles qui favorise la souscription d’assurances privées. Le programme d’assurance pour les plus démunis (Medicaid) sera décentralisé par le versement de subventions aux collectivités locales qui redistribueront le financement sur place. Selon Ryan le plan pourrait diminuer le déficit de 4,4 trillions de $ sur 10 ans.
Le projet a déjà été voté par la Chambre des Représentants mais la probabilité de passage au Sénat contrôlé par les Démocrates semble assez faible. Par ailleurs, il est possible que la Commission sur le Budget du Sénat propose en parallèle son propre projet budgétaire pour le vote.
Le projet de l’administration Obama
De son côté, le président Obama, propose la suppression des baisses d’impôts pour les hauts revenus, la réduction du budget militaire et la mise en place des nouvelles mesures liées à sa réforme de la santé. Ces dernières sont censées diminuer significativement le coût de santé. Les coupes de certaines dépenses discrétionnaires avec une réduction du budget de la Défense, une hausse des recettes en provenance de l’expiration des allégements fiscaux de Bush pour les hauts revenus, le plan d’Obama compte économiser 4 trillions de $ sur 12 ans y compris une baisse de 1 trillion de $ sur la charge d’intérêts de la dette.
Les Républicains considèrent ce plan peu ambitieux et seront fortement opposés à des baisses trop importantes des dépenses sur la défense et à toute hausse d’impôts.
Lueur d’espoir
A part ces deux projets partisans, qui ont peu de chance de voir le jour, il existe un potentiel pour l’introduction d’un plan bipartisan élaboré par une commission informelle qui se compose de membres du Congrès, trois Républicains et trois Démocrates – « the Gang of Six ». Pour l’instant, aucune proposition concrète n’a été faite de leur part, mais le groupe se base sur les propositions d’une commission fiscale organisée par l’administration Obama en 2010.
Un contexte politique qui rend difficile les accords bipartisans
Le contexte politique est actuellement tendu avec un affrontement permanent des deux partis. Récemment, ces derniers ont évité de justesse la suspension du gouvernement (« government shutdown ») le vendredi 8 avril, en parvenant à trouver un accord sur le budget 2011.
Par conséquent, dans un contexte où le Congrès est divisé entre des forces politiques relativement équilibrées, les divergences politiques ne permettront pas d’arriver à une solution rapide. La mise en œuvre d’un projet crédible nécessitera une coopération étroite entre les législateurs des deux partis.
Conclusion : pas de panique
Malgré un fort clivage politique au Congrès nous ne croyons pas en la dégradation de la notation crédit de la dette des Etats-Unis à horizon fin 2012 (la marge donnée par l’agence). Premièrement, le communiqué de presse n’apporte aucune information supplémentaire sur la situation budgétaire du pays que les marchés ne connaissent déjà. De plus, l’agence de notation continue de voir les Etats-Unis comme un pays vertueux et nous n’attendons pas d’événement majeur qui pourrait amener S&P à changer considérablement sa vision de la situation budgétaire. Au contraire, l’annonce tombe quelques jours après la révélation des deux projets de consolidations de long terme. Pour finir, le timing est assez large (mi 2012), et laisse suffisamment de marge de manœuvres au Congrès et à l’administration pour trouver un accord. De surcroit, ces derniers semblent avoir pris la pleine mesure de la nécessité de coopérer, avec pour preuve un début de projet bipartisan.
Au final, cette situation ressemble à celle du Royaume-Uni en 2009 dont les perspectives budgétaires avaient finalement retrouvé leur stabilité en octobre 2010. Il faut donc interpréter cette annonce de l’agence S&P comme un moyen de mettre davantage de pression sur les législateurs qui semblent pour le moment empêtrés dans leurs « jeux » politiques habituels.
Conséquences pour le contexte macroéconomique de long terme
De toute l’histoire des Etats-Unis, les périodes de consolidation budgétaire n’ont jamais entrainé de récession. L’efficacité des mesures mises en place par l’administration Clinton dans les années 90 reposait avant tout sur le contexte macroéconomique avantageux ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ainsi, si un accord bipartisan est finalement adopté à moyen terme avec un programme d’austérité crédible (entrainant une hausse de l’épargne du secteur public), le seul moyen de ne pas entrainer de récession sera de compenser les pertes par la désépargne du secteur privé, ce qui peut probablement être financé par la reprise du crédit. Cela implique que la balance courante devrait de nouveau se dégrader et le dollar se déprécier. La consommation financée par le crédit resterait donc le principal moteur de la croissance. Au final, l’amélioration des finances publiques à moyen long terme ne se fera qu’au prix d’un financement de la croissance par l’endettement privé, avec la situation globale du pays qui restera fragile.
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