Divorce à la grecque… J’en appelle au pape

par Xavier Lépine, Président du directoire de La Française

Tout a été dit sur la Grèce, ou presque, avec une violence qui fait peur et surtout qui n’a fait que cristalliser les positions, renforcer les extrémismes et développer le populisme à travers l’Europe.

Une situation somme toute assez banale au XX° siècle, l’incapacité et donc le défaut de paiement d’un Etat souverain est une situation qu’a malheureusement connue bon nombre d’Etats : les fameux emprunts russes en 1917, l’Allemagne des années 20, 30 et 50, les années 80 avec le Mexique, l’Argentine, le Brésil, le Venezuela, l’Uruguay, le Costa Rica, le Panama, l’Equateur, le Pérou, Cuba, la Pologne, la Yougoslavie, la Bulgarie, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le "standstill" en Afrique du Sud, le Mozambique, les Philippines, la Corée du Nord, la Russie (1998)…

Et cela sans compter les abandons de créances d’Etat à Etat en Afrique dans le cadre de plans d’aides aux Pays les moins avancés (PMA) ou tout simplement les prêts à taux bonifiés accordés aux Pays en voie de développement (PVD) par les Etats riches dans le cadre d’exportations occidentales vers ces pays. La Chine en fut l’un des grands bénéficiaires jusqu’à une période récente et c’est maintenant elle qui nous prête, au taux de marché, en achetant nos obligations d’Etat pour placer ses réserves !

Les créanciers, obligés d’abandonner une partie, voir la totalité de leurs créances, bien souvent obligés de "remettre au pot" (Plan Baker 1985, "new money") étaient soient des banques occidentales (club de Londres), soit des Etats riches (club de Paris), soit les instances supra-gouvernementales (FMI, Banque mondiale, Banques de développement) avec le cas particulier du FMI qui émet sa propre monnaie (les DTS, Droits de tirages spéciaux), et qui n’abandonnent jamais formellement leurs créances.

Du côté des débiteurs, le surendettement est généralement venu d’une situation trop facile d’accès à l’endettement comme le recyclage des pétrodollars amorcé en 1973, une dépendance trop forte à une matière première, un taux de change surévalué ou fixe, un secteur "formel" trop petit dans une économie parallèle "large", une corruption importante (y compris les rétro-commissions pour le financement de partis dans les pays occidentaux) ou a minima une concentration forte de la richesse, une administration inefficace et des investissements de prestige non rentables et le plus souvent in fine dans les pays prêteurs (banques Suisses, Miami, résidentiel de luxe…). Je tiens une liste non exhaustive à disposition…

Concrètement, avant d’arriver à une solution viable, sous l’égide du FMI, il fallait d’abord passer de nombreuses années allant d’échec de restructuration en échec, avec comme conséquences dans les pays emprunteurs de l’hyperinflation (+ de 1 000 %), 10 années de récession, des taux de chômage à faire passer le nôtre pour le plein-emploi, une montée de la grande pauvreté et des inégalités…

En tout état de cause, pour avoir commencé ma carrière dans la restructuration des dettes souveraines, travaillé pendant plus de 15 ans dans ce secteur et avoir participé modestement à beaucoup de ces négociations, ce qui me surprend le plus dans le cas de la Grèce est la dimension politicienne et publique du débat.

Lorsque l’ensemble de l’Amérique latine a fait défaut il n’y a pas si longtemps, les banques occidentales, principalement américaines mais également européennes, étaient sous pression car elles n’avaient pas les moyens de supporter la faillite de leurs débiteurs. Les populations locales étaient parfois dans la rue et s’opposaient aux réformes imposées par le FMI. L’homme de la rue, américain ou européen, ne s’exprimait pas sur ce sujet alors qu’in fine ce sont bien largement les Etats occidentaux et leurs contribuables qui ont contribué directement (par la mise en place des schémas de garanties de type Brady bonds), ou indirectement, à payer la note : accentuation de la courbe des taux américains pour créer artificiellement des profits dans les banques pour leur permettre de provisionner puis d’abandonner ces créances, provisions déductibles d’où un deuxième effet kiss cool via la diminution des impôts payés par lesdites banques.

Le monde n’était pas passé loin de la catastrophe et c’est d’ailleurs à l’issue de cette période troublée que fut introduit le premier ratio visant à sécuriser le système financier mondial, le ratio Cooke, ancêtre de Bale 3… et les banques de se lancer dans la titrisation pour trouver des relais de croissance ; mais ceci est une autre histoire.

Quel aveu d’impuissance collective que d’arriver dans une situation où la Grèce, pays européen s’il en est, se trouve confronté à une telle réalité. Faire partie de l’Europe crée certes des droits et des obligations mais ma réflexion à ce stade n’est pas de savoir qui a tort ou raison mais simplement de constater que finalement les populations des pays créditeurs se sentent beaucoup plus concernées quand il s’agit d’abandonner de l’argent en faveur des Grecs qu’en faveur de n’importe quel autre pays au monde ; curieuse conception collective d’une union ou d’une communauté.

Alors la détermination de la responsabilité de cette situation devient une question de tendance politique personnelle, le bon vieux retour à la droite-gauche populiste des années 30 :

Les Grecs qui :

  • ont maquillé leurs comptes,
  • sont des passagers clandestins de l’euro,
  • ne payent pas leurs impôts,
  • ont une économie parallèle démesurée
  • ont fait n’importe quoi avec "notre argent"
  • ont des milliardaires qui n’ont qu’à aider leurs pauvres plutôt que planquer leur argent en Suisse, à Paris ou à Londres
  • ne veulent pas accepter la perte de souveraineté indispensable au soutien des créanciers
  • même si on abandonne 100 % de nos créances, au moins on arrête le robinet puisque toute injection supplémentaire se terminera par un abandon.

Les Grecs qui :

  • maillon faible de l’euro ont été logiquement les premières victimes d’un système de monnaie unique qui n’est pas viable sans une forme fédérative de gouvernance
  • n’ont fait qu’adhérer à un système voulu avant tout par Helmut Kohl et François Mitterrand pour mettre un terme définitif aux guerres fratricides Franco-Allemande
  • devraient bien bénéficier à leur tour de ce que l’on a fait en 1953 avec l’Allemagne en abandonnant les créances lors de la séparation en deux de l’Allemagne.
  • n’ont jamais reçu leur indemnité de guerre à laquelle l’Allemagne avait été condamnée au titre de l’occupation pendant la seconde guerre mondiale
  • ont aussi dépensé une partie de cet argent pour acheter des équipements militaires français (chars) et allemands (sous-marins) dans le cadre de leur engagement européen et au sein de l’OTAN
  • souffrent depuis 5 ans et dont on sait que seul un plan de croissance permettra un jour de retrouver une situation plus saine et de rembourser une partie de la dette, à condition de financer cette reprise.

La question de la sortie ou non de la Grèce de l’Euro dépasse ainsi largement la question de la dette.

En cas de sortie de l’euro (même si les textes de loi ne le permettent pas etc., on connaît la chanson), l’histoire immédiate est déjà écrite :

  • 100 % de la dette sera impayée pendant une période longue.
  • La drachme sera réintroduite avec une valeur inférieure de 50 à 80 % à celle qu’elle avait eue avant l’euro.
  • L’inflation sera à 2 voire 3 chiffres.
  • L’économie continuera de s’effondrer car beaucoup de biens, y compris de première nécessité, sont importés et ne pourront donc plus être achetés.
  • La migration de population se fera… vers l’Allemagne car là-bas il y a de l’emploi (oups…), le Canada.
  • La Grèce rentrera dans la cohorte des pays pauvres sous perfusion des institutions multinationales.
  • La BCE mettra en place les filets de sécurité nécessaires pour qu’il n’y ait pas de contagion aux autres pays faibles de la zone euro.
  • L’Espagne et l’Italie exprimeront leur soutien à cette décision pour bien démontrer que "eux ce n’est pas pareil".
  • Devant un tel effondrement les autres pays faibles feront toutes les réformes possibles pour éviter de vivre la même tragédie
  • …et la sortie de la Grèce idéalement aura incité à la mise en place d’une gouvernance fédérale européenne.
  • La Grèce aura été le prix à payer pour la construction de la zone euro…

Le chapitre suivant restera à écrire…

En cas de maintien, cela suppose :


  • Le renoncement par la Grèce à une partie de sa souveraineté

  • Des financements additionnels pour accompagner un redémarrage de la Grèce
  • Des souffrances supplémentaires pour les plus faibles

En tout état de cause, la solution qui devra être trouvée devra être politiquement acceptable par l’ensemble des peuples, notamment grecs et allemands, ce qui est loin d’être évident. Là également, et heureusement, les pays de l’euro seront dans l’obligation de déterminer de nouvelles règles de gouvernance.

Ce qui est certain c’est qu’une fédération ou une confédération ne peut pas se concevoir si d’avance on sait qui va devoir structurellement aider les autres. C’est aujourd’hui, au-delà de l’anti-européanisme croissant la difficulté majeure de la création des Etats-Unis d’Europe.

C’est aussi pourquoi nous en sommes au stade du divorce, qui plus est étalé sur la place publique. Dans une telle situation un médiateur est souvent nécessaire : le juge quand il s’agit de personnes physiques ou morales mais, quand il s’agit d’Etats, qui ne renoncent à aucune souveraineté en matière de négociation, il faut innover.

En Août 1944, Raoul Nordling, ambassadeur de Suède en France a convaincu le général Von Choltitz de ne pas détruire Paris et de désobéir aux ordres d’Hitler au risque de voir sa famille exterminée. L’un des arguments qu’il utilisa fut, paraît-il, qu’au-delà de l’incertitude sur l’issue de la guerre, les générations futures auraient toujours jeté leur opprobre sur le peuple allemand ; autrement dit une capacité à se projeter.

En 2015, il ne s’agit pas de convaincre une personne mais de faire accepter à des populations humiliées et affaiblies comme à celles qui font des efforts depuis des années d’aller encore au-delà pour le bien-être des générations futures.

Les deux parties n’arrivent visiblement pas à se mettre d’accord et sont globalement soutenues par leur population ; le FMI n’est plus acceptable non plus comme médiateur car il est clairement non neutre.

La Suède pourrait jouer ce rôle, pays ayant refusé d’être dans l’euro et qui a dans les années 90 su se réformer ; son caractère social-démocrate et accueillant des flux migratoires en fait un interlocuteur acceptable pour la Grèce ; son sérieux et sa situation géographique dans l’Europe du Nord la rend crédible aux yeux des créanciers. Le Raoul Nordling de 2015 existe-t-il ?

En ce qui concerne l’ONU, on peut craindre qu’au-delà du fait que ce n’est pas dans son mandat, la démarche prendrait un caractère trop politique et serait elle-même sujette à de nombreux débats.

Reste donc le pape François. Chrétien mais non orthodoxe ni protestant, son charisme personnel et ses prises de positions, y compris dans les problématiques environnementales, l’autorisent à s’adresser aux dirigeants d’une part et aux populations d’autre part. L’économie du salut ferait certes un curieux retour dans le passé mais ne serait-ce pas là non plus le sens de l’histoire et, apocryphe ou non, n’oublions pas cette phrase, “le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas” (André Malraux).