par Chris Iggo, CIO Core Investments chez AXA IM (BNP Paribas Group)
La forte dynamique économique des Etats-Unis se poursuit. Les données montrent que l’économie est loin d’être en récession. Les chiffres de l’emploi ont surpris à la hausse et les recettes douanières amortissent ses perspectives autrement négatives pour les finances publiques américaines. Les rendements des bons du Trésor américain restent contenus et la prime de risque des actions ne cesse de diminuer. En juin, le marché américain a surperformé l’Europe, inversant l’une des tendances les plus significatives depuis le début 2025. C’est difficile à comprendre, mais le sentiment de « vendre les actifs américains » n’a tout simplement pas été assez fort pour perdurer. La voie la plus facile est donc celle d’une hausse des actions américaines, dans le cadre de cette « grandeur retrouvée de l’Amérique ».
Une manne tarifaire
Nous saurons bientôt quelle décision prendra le président Trump après le report de 90 jours des droits de douane réciproques initialement annoncés le 2 avril. Dans l’intervalle, selon les données du Trésor américain, les recettes douanières ont atteint 100 milliards de dollars cette année, dont la majeure partie a été générée depuis avril. Le Yale Budget Lab estime que le taux tarifaire effectif des États-Unis est actuellement d’environ 15 %, un record depuis les années 1930. Les recettes perçues dans le cadre du régime tarifaire sont payées au point d’entrée par les entreprises qui importent des marchandises aux États-Unis. Toutefois, la charge finale des coûts est répartie entre l’acheteur des biens importés et le consommateur final. Sur une base annuelle, les recettes douanières équivalent jusqu’à présent environ 1 % des dépenses des foyers américains. Il s’agit d’un transfert de richesse relativement faible, mais néanmoins significatif, des ménages et des entreprises vers le gouvernement. Cela n’aura pas d’incidence notable sur le déficit budgétaire, mais cela souligne néanmoins l’impact d’une politique commerciale protectionniste sur les revenus réels.
Les prix augmentent-ils ?
Les détails de l’indice des prix suggèrent que les droits de douane auront un impact sur les prix à l’importation. La part des biens durables dans les rapports sur les prix à la production et le déflateur de la consommation personnelle a affiché une inflation en glissement annuel plus élevée ces derniers mois. L’indice de l’Institute for Supply Management (ISM) de juin a montré que l’indice des prix payés a légèrement augmenté, passant de 69,5 à 69,7. Cela signifie qu’une grande majorité des responsables des achats dans les entreprises constatent une augmentation des prix des intrants dont ils ont besoin. L’indice des importations a rebondi à 47,4 en juin, contre 39,9 en mai. Mais à ce stade, il est clair que la croissance des importations demeure négative. Les commentaires des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête ISM ont clairement mis en évidence les effets négatifs des droits de douane sur les prix et les décisions d’achat.
Mais les marchés atteignent de nouveaux sommets
Cette situation ne semble toutefois pas inquiéter les marchés. Les actions continuent d’atteindre de nouveaux sommets et les obligations, malgré les inquiétudes liées à la politique budgétaire et la réaction négative aux chiffres de l’emploi non-agricole en juin, se maintiennent à des niveaux qui ne posent pas de problème pour les marchés actions. La Réserve Fédérale américaine (Fed) fait preuve d’attentisme, mais les marchés continuent de penser qu’elle baissera ses taux cet automne. Pour l’instant, la fourchette de négociation bien établie pour les bons du Trésor américain et les autres obligations d’État demeure inchangée.
L’écart entre le rendement des bénéfices de l’indice S&P 500 (l’inverse du ratio cours-bénéfice) et le rendement des bons du Trésor à 10 ans est d’environ 0,25 %, sur la base des prévisions consensuelles de croissance du bénéfice par action pour les douze prochains mois. Cet écart entre le rendement des bénéfices et le rendement des actions a connu une évolution spectaculaire depuis l’époque de la bulle Internet à la fin des années 1990 (où il était devenu négatif) jusqu’à un pic de plus de 6 % en 2011, pour revenir à un niveau proche de zéro aujourd’hui. La conclusion simple est que les actions sont extrêmement chères par rapport aux obligations. Une conclusion plus audacieuse serait que les rendements potentiels des actions sont inférieurs à ceux des obligations. A cela, on peut opposer le fait que la croissance des bénéfices reste très forte, ce qui devrait soutenir les rendements. Le risque majeur est qu’une récession survienne lorsque la croissance des revenus ralentit. Or, les revenus sont nécessaires pour soutenir les dépenses (des ménages et des entreprises), les dépenses sont nécessaires pour générer des revenus, et les revenus sont nécessaires pour réaliser des bénéfices.
Le scénario pessimiste
Après avoir atteint un sommet historique au début de l’année 2000, l’indice S&P 500 a chuté de près de 50 % et il lui aura fallu environ six ans pour retrouver son plus haut niveau. Sur cette période, le rendement net des bons du Trésor a été supérieur au rendement net du marché. Aujourd’hui, la poursuite de la surperformance des actions américaines repose sur l’absence d’une correction cyclique significative qui pourrait peser sur les bénéfices et, en même temps, entraîner une baisse des taux d’intérêt. Selon le National Bureau of Economic Research, et sans tenir compte de la mini-récession liée à l’épidémie de la COVID-19, les États-Unis ont connu 192 mois de croissance, une période qui dépasse celles observées dans les années 1980, 1990, 2000 et 2010. On pourrait donc penser qu’une récession est imminente. Le fait qu’il n’y en ait pas eu montre à quel point l’économie américaine est résistante. Alors pourquoi les marchés ne continueraient-ils pas à progresser ?
Ralentissement de la dynamique européenne
Les marchés internationaux ne sont pas chers, mais ils n’ont pas connu la même expansion économique. Les multiples d’actions sont nettement plus faibles sur les marchés européens et asiatiques. L’exceptionnalisme américain a généré une forte croissance de la richesse, mais cela a également créé davantage de risques baissiers, notamment en raison de l’imprévisibilité des politiques et les risques inflationnistes. La performance des marchés en juin reflète le nouvel optimisme à l’égard des États-Unis. Les indices boursiers américains et asiatiques liés à la technologie ont été, de loin, les marchés les plus performants le mois dernier. Les marchés européens sont pris du retard, même s’ils restent en tête depuis le début de l’année. Le fait que la Banque Centrale Européenne (BCE) suggère qu’elle a suffisamment baissé ses taux d’intérêt a pesé sur le sentiment des investisseurs. Pour la première fois depuis longtemps, les obligations européennes ont sous-performé les obligations américaines et britanniques.
Il reste difficile d’avoir des convictions fortes. Le marché actions américain est animé par une forte dynamique, soutenue par un sentiment « buy the dip » (acheter lors des baisses) et l’engouement continu pour l’intelligence artificielle. En dehors des actions, les obligations indexées sur l’inflation à duration courte ont été l’une des classes d’actifs les plus performantes ces dernières années, en termes de rendement ajusté au risque. L’intérêt des obligations à duration courte est qu’elles bénéficient de l’accumulation de l’inflation, liée à un indice de référence des prix à la consommation, tout en étant peu sensibles à la volatilité des taux d’intérêt. Le rendement total depuis le début de l’année de l’indice ICE Global Inflation Linked Bond 1-5 yrs était de 7,5 % en dollars américains à la fin du mois de juin. En euros, avec couverture du risque de change, le rendement s’est établi à 2,95 %, soit un niveau toujours nettement supérieur à la hausse de l’indice harmonisé des prix à la consommation de la zone euro (1,6 % à fin mai). C’est une allocation qui devrait continuer de performer en cette période d’incertitude douanière. Si l’inflation augmente, les obligations indexées sur l’inflation en bénéficieront. Si la croissance ralentit et que la Fed réduit ses taux plus tôt ou plus fort que prévu, la baisse des taux nominaux et la réduction du point mort d’inflation auront également un impact positif.
Des rendements du segment à haut rendement résilients
En ce qui concerne les actifs plus risqués, une allocation équilibrée entre les actions et les obligations à haut rendement permettrait de tirer parti de la dynamique toujours positive des flux de trésorerie. Les obligations à haut rendement mondiales ont enregistré de solides performances, toujours selon les indices ICE : le rendement total de l’indice des obligations à haut rendement en dollars américains était de 6,9 % à fin juin, et de 3,4 % en euros. Les fondamentaux et la dynamique du marché des obligations à haut rendement continuent de générer des rendements positifs et peu de changements sont attendus à l’avenir. Toute récession aux États-Unis sera davantage liée à la demande qu’aux bilans. Les entreprises américaines bénéficieront de certaines dispositions fiscales du projet de loi budgétaire. Le graphique ci-dessous présente le rendement total des obligations indexées sur l’inflation de courte durée, des obligations à haut rendement américaines et des actions technologiques américaines depuis le début de l’année.

Les investisseurs ont tous des budgets de risque et des horizons temporels différents. Les indices de rendement total à court terme liés à l’inflation et à haut rendement atteignent des sommets, tout comme les actions américaines dites “de croissance”. Les actifs obligataires présentent des caractéristiques claires de rendement en termes de flux de trésorerie : inflation cumulée, taux et rendement du crédit basés sur des fondamentaux solides d’entreprises. Les actions sont beaucoup plus sensibles aux changements d’anticipation quant à la capacité à la croissance exceptionnelle des bénéfices à se maintenir à moyen terme. Il ne fait aucun doute que l’IA a le potentiel de changer beaucoup de choses et que les entreprises dépensent des milliards pour l’intégrer dans leurs modèles opérationnels dans l’espoir de bénéficier d’une productivité et de bénéfices plus élevés. La question est de savoir si le moment est opportun pour investir dans ce domaine, et si le prix est juste. La prime de risque des actions américaines est très faible, mais la croissance attendue des bénéfices des valeurs technologiques compense cet écart. La combinaison d’actions “de croissance” à long terme et d’obligations à duration courte reste un cœur de portefeuille pertinent et attractif.
Payer pour intégrer le risque fiscal
Enfin, l’actualité qui a entouré la chancelière Rachel Reeves le 2 juillet a mis en évidence la vulnérabilité des obligations d’État britanniques face à toute détérioration des perspectives budgétaires. Le rendement des obligations souveraines britanniques (Gilts) à 10 ans a augmenté de 15 points de base (pb) et de celles à 30 ans de 19 pb, sur fond de spéculations selon lesquelles Reeves pourrait être remplacée par quelqu’un de moins enclin à respecter les règles budgétaires. Par la suite, le Premier ministre Keir Starmer a confirmé que Reeves resterait en place et que le gouvernement était déterminé à maintenir la stabilité budgétaire. La hausse des rendements s’est rapidement inversée. Toutefois, les investisseurs sont parfaitement conscients que le problème du gouvernement britannique actuel reste qu’il ne peut satisfaire à la fois ses propres députés, ses soutiens et les marchés financiers. Ce dilemme continuera de poser problème à Starmer et Reeves, ce qui maintiendra le marché des Gilts dans une situation à risque jusqu’à la présentation de nouveaux plans budgétaires à l’automne. La solution pourrait consister à augmenter l’impôt sur le revenu, qui constitue un moyen plus efficace de générer des recettes fiscales que toutes les autres mesures essayées jusqu’à présent.
Les rendements des obligations à long terme sont plus élevés sur la plupart des marchés par rapport au début de l’année. Les primes de risque budgétaire sont évidentes dans les courbes : de manière générale, les rendements des obligations à 30 ans sont supérieurs d’environ 80 points de base aux taux de swap. Le budget américain devrait être adopté, et le gouvernement britannique dispose d’un certain répit jusqu’à que la présentation du budget d’automne se précise.
Sources : LSEG Workspace DataStream, ICE Data Services, Bloomberg, AXA IM, au 3 juillet 2025, sauf indication contraire. Les performances passées ne doivent pas être considérées comme un indicateur des performances futures.