par William De Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas
Même quand le ciel est bleu, mieux vaut penser à prendre son parapluie, d’autant plus quand il y en a peu de disponibles. C’est le cas dans le monde économique et financier actuel où la marge de manœuvre des politiques monétaire et budgétaire pour relancer la croissance est terriblement réduite. Raison de plus, donc, de scruter l’horizon et de se préparer à l’arrivée des nuages. Dans cet exercice, il convient de distinguer les facteurs exogènes des facteurs endogènes. Parmi les premiers on trouve surtout des éléments d’incertitude dont il est impossible d’évaluer la probabilité. On peut penser ici aux chocs (géo)politiques. La prévision est alors conditionnée par le scénario (« vous serez trempé si vous n’avez pas de parapluie »).
On reste sur sa faim, la question pertinente étant celle de savoir s’il va pleuvoir, quand et avec quelle intensité. En revanche, les risques endogènes font référence à des dynamiques naturelles, un développement donné en engendrant un autre et ainsi de suite, au risque de finir en… récession. Ces processus ne sont pas déterministes, ils dépendent des chemins qui ont été pris en amont.
A l’heure actuelle, l’économie mondiale est confrontée à plusieurs risques endogènes. Beaucoup gravitent autour des taux d’intérêt, à commencer aux Etats-Unis où plusieurs resserrements d’ici la fin de 2018 devraient finir par ralentir la croissance, conformément à l’expérience des cycles monétaires historiques. Après des années de taux extrêmement bas, on ne peut d’ailleurs pas exclure une réaction non-linéaire des investissements des entreprises ou du secteur immobilier. La normalisation de la politique de la Réserve fédérale risque également de provoquer une remontée de l’aversion au risque des investisseurs financiers, parce qu’ils en redoutent les conséquences pour l’économie réelle (impact de la hausse des taux sur les bénéfices des entreprises) ou parce que le taux sans risque – que l’on peut associer au taux des bons du Trésor américain – atteint un niveau attractif, provoquant un basculement des portefeuilles vers cette classe d’actifs. Une baisse de l’appétit pour le risque pourrait même avoir des conséquences au niveau international. Les marchés émergents notamment pourraient souffrir d’une remontée du dollar et des taux américains. Cette évolution pourrait également influencer leur politique monétaire en créant un effet miroir des assouplissements, comme lorsque la Réserve fédérale avait lancé son programme de quantitative easing (QE).
Si la BCE maintient un message particulièrement accommodant, pour 2018 la plupart des analystes tablent sur une réduction progressive de son QE avant son arrêt pur et simple. Ceci devrait exercer une pression à la hausse sur les taux longs souverains et sur les spreads des entreprises pour des raisons de flux de fonds (disparition de l’acheteur « artificiel » : la BCE) ou par un jeu d’anticipation d’une hausse ultérieure des taux officiels.
A cette toile de fond se greffent deux autres éléments endogènes de nature à exercer une pression à la hausse sur les taux longs : la réduction de la taille du bilan de la Réserve fédérale américaine et la possibilité d’une baisse d’impôts qui augmenterait le besoin de financement des Etats-Unis tout en poussant la banque centrale à resserrer davantage.
Enfin, le dernier facteur est l’essoufflement de l’effet accélérateur. En cas d’accélération de la croissance, les entreprises finiront par investir davantage, estimant que leur stock de capital ne permettra pas de répondre aux besoins de production futurs. Elles renforceront ainsi la dynamique cyclique, jusqu’au moment où elles estimeront que l’équilibre entre appareil productif et besoins de production a été rétabli. Le ralentissement de l’investissement donnera alors une impulsion négative à la croissance du PIB.
Cette liste de risques endogènes – qui n’est pas exhaustive – nous rappelle donc qu’une dynamique économique robuste porte en elle les germes de son propre retournement.