Élections américaines : vers un possible changement de modèle

par Bastien Drut, Stratégiste Senior chez CPR AM

Très clairement, Joe Biden et les démocrates ont l’avantage pour le moment. Joe Biden est très nettement en tête dans les sondages dans plusieurs Etats pivots (swing states), comme la Floride, et obtiendrait un nombre de grands électeurs très supérieur à Donald Trump si l’élection avait lieu aujourd’hui. Evidemment, il est nécessaire de rappeler que les élections se dérouleront dans 4 mois (beaucoup de choses peuvent encore se passer…) et que les sondages donnaient aussi une nette avance à Hillary Clinton au même stade en 2016 (avance moyenne de 5 points de Clinton contre Trump dans les sondages au niveau national début juillet 2016, contre une avance moyenne de près de 10 points de Biden contre Trump début juillet 2020).

Il sera également judicieux de suivre les intentions de vote pour les candidats vert et libertarien (qui avaient récolté à eux deux 4,3 % des voix en 2016, contre 1,4 % en 2012), car ils pourraient faire basculer l’issue du vote dans quelques États.

Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit que les élections au Congrès seront aussi déterminantes pour l’économie américaine que l’élection présidentielle. 35 sièges sur 100 seront remis en jeu au Sénat (dont 23 sièges actuellement occupés par des républicains et 12 par des démocrates). D’après les derniers sondages, il est probable que le Sénat soit repris par les démocrates, même si l’issue de ce scrutin apparaît comme particulièrement volatile1. Au final, il est largement concevable que les démocrates maitrisent à la fois la présidence, la chambre des représentants et le sénat, ce qui leur permettrait de mettre en œuvre assez facilement une partie de leur programme.

Quelles réformes économiques si les démocrates remportent le Congrès et la présidence ?

Quand bien même les démocrates ont des chances réelles de contrôler le Congrès et d’obtenir la présidence, il faut garder à l’esprit que le parti démocrate est très divisé, avec d’un côté un camp très à gauche et de l’autre, un camp centriste. C’est dans le but d’unifier le parti qu’ont été mis en place des groupes de travail communs (unity task forces) sur plusieurs sujets (changement climatique, économie, santé, justice, éducation, immigration) avec des membres choisis par Bernie Sanders et Joe Biden. La réussite ou non de ces groupes de travail peut être décisive pour l’élection elle-même et pour le passage des lois si cette élection était remportée (souvenons-nous de l’échec des républicains à faire passer une réforme de la santé en 2017 alors qu’ils avaient le contrôle des deux chambres et de la présidence).

Cela dit, avant même la mise en place de ces groupes de travail, le projet économique de Joe Biden était déjà en nette rupture avec un démantèlement prévu d’une partie de la réforme fiscale adoptée en décembre 2017 sous la présidence de Donald Trump :

* Hausse de l’impôt sur le revenu pour les hauts revenus, et hausse de la taxation des plus-values en capital pour les plus hauts revenus,

  • Hausse du taux d’impôt sur les sociétés de 21 à 28 % et mise en place d’un impôt minimum fédéral de 15 %.
  • Hausse du taux d’imposition des profits réalisés à l’étranger, de 10,5 à 21 %.

Selon le Tax Policy Center, les hausses d’impôt considérées par Biden rapporteraient 4 000 Mds $ sur 10 ans2, dont les trois quarts seraient supportés par les 1 % les plus riches. Le programme démocrate final ira sans doute encore plus loin dans la lutte contre les inégalités. De plus, Joe Biden a indiqué qu’il était en faveur d’une hausse du salaire minimum fédéral de 7,25 $ de l’heure à 15 $.

Interrogé fin juin sur les priorités d’un éventuel deuxième mandat sur Fox News, Donald Trump n’a pas fourni de réponse claire mais il a très souvent indiqué qu’il souhaitait baisser à nouveau les impôts pour les entreprises. C’est donc deux projets radicalement opposés sur le plan économique qui vont s’opposer.

Quelle place pour le changement climatique dans les élections de novembre ?

Dès juin 2019, Joe Biden a présenté un programme d’investissement fédéral de 1 700 Mds $ sur 10 ans pour lutter contre le changement climatique, un montant significativement inférieur à ceux des programmes des autres candidats à la primaire démocrate. Une frange plus progressiste du parti démocrate pousse pour un programme beaucoup plus ambitieux. Le Conseil du parti démocrate sur l’environnement et sur la crise climatique3 a présenté début juin 2020 un plan de 16 000 Mds $ sur 10 ans (soit 10 fois plus que dans le programme de Biden) pour accélérer la sortie des énergies fossiles. Parmi les objectifs, on trouve :

  • 100 % d’énergie renouvelable en 2030
  • Baisse de 70 % des émissions des gaz à effet de serre d’ici 2030 et quasi-totale d’ici 2040.

Cela comprendrait le retour dans les accords de Paris et la fin des subventions à l’industrie des énergies fossiles.

Là encore, le projet définitif du camp démocrate n’est pas encore affiné et les divisions internes sont encore fortes mais il pourrait s’agir d’un tournant historique dans la lutte contre le changement climatique.

Le passage récent du Invest in America Act (plan de relance de 1 500 Mds $) à la Chambre des représentants montre que les démocrates souhaitent lier relance économique et lutte contre le changement climatique.

NOTES

  1. Dans une situation de 50/50, le vice-président fait office de super-sénateur et fait basculer la majorité dans un sens ou dans l’autre.
  2. Estimation du Tax Policy Center le 5 mars.
  3. Environmental and Climate Polocy Recommendations for the 2020 democratic party platform.