par François Faure, Economiste chez BNP Paribas
• Le Trump tantrum a laissé peu de traces sur les conditions financières des pays émergents exception faite du Mexique et de la Turquie. Malgré l’augmentation des taux longs américains, le coût de financement en dollar des entreprises est même à un plus bas historique.
• Les cours du pétrole et des métaux ont continué de se redresser et les échanges extérieurs retrouvent des couleurs.
• Pour autant, le FMI et la Banque mondiale ont encore révisé à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2017 et insistent sur les risques baissiers plus que sur l’effet d’entraînement du stimulus budgétaire aux Etats-Unis.
• Serait-ce un excès de prudence après des années de révisions systématiques à la baisse ? Pas si sûr au regard de la mosaïque des risques potentiels.
Retour au calme
L’élection de Donald Trump début novembre avait fait souffler un vent de panique sur les places financières émergentes. Trois mois plus tard, il reste peu de traces du Trump tantrum. A l’exception notable du Mexique et de la Turquie, les principales devises émergentes sont restées stables ou se sont réappréciées. La prime de risque moyenne sur la dette souveraine en dollar a retrouvé son niveau d’avant les élections et celle sur la dette d’entreprises a continué de baisser sans même un à-coup. Malgré l’augmentation des taux longs américains, le coût de financement en dollar des entreprises est à un plus bas historique.
Parallèlement, les cours du pétrole et des métaux ont continué de se redresser, en raison notamment de l’amélioration de l’activité et des prix dans l’industrie et le secteur immobilier en Chine. Plus généralement, les échanges extérieurs des pays émergents retrouvent des couleurs, notamment le commerce intra-asiatique. Au total, sur la base d’indicateurs à la fois réels et financiers, l’IIF projette une accélération de la croissance à environ 5% l’an t/t au T4 2016.
Des perspectives de croissance encore revues en baisse
Pour autant, le FMI et de la Banque mondiale ont encore revu à la baisse leurs prévisions de croissance en 2017 (par rapport à celles d’octobre 2016 pour le premier, juin 2016 pour la seconde).
Malgré un tassement de la croissance chinoise à 6,5% (contre 6,7% en 2016), les deux institutions internationales envisagent toujours une réaccélération de la croissance moyenne des pays émergents grâce à la sortie de récession du Brésil et de la Russie. Mais elles anticipent un tassement de la croissance au Mexique en deçà de 2%, conséquence i/ du choc financier persistant pour ce pays en termes de taux de change et de taux d’intérêt et ii/ du frein aux exportations que représente l’incertitude des relations commerciales avec le voisin américain. Les autres principales révisions concernent : i/ l’Inde dont la croissance sera entamée par le choc, a priori temporaire, créé par la démonétisation, ii/ la Turquie confrontée, comme au Mexique, à des tensions financières mais qui s’expliquent bien plus par des facteurs internes que par le Trump effect, et iii/ une réévaluation de l’ampleur du ralentissement ou de la récession de pays producteurs de pétrole (Angola, Arabie Saoudite, Nigeria).
Les effets d’entraînement du stimulus budgétaire aux Etats-Unis ne sont pas pris en compte par la Banque mondiale et le sont prudemment par le FMI. Ces effets sont davantage considérés comme des risques haussiers que comme des hypothèses d’un scénario central.
Une mosaïque de risques
Les deux institutions insistent en revanche sur les nombreux risques baissiers de nature économique (réduction de la croissance potentielle, endettement élevé et baisse de la profitabilité des entreprises, détérioration de la qualité du portefeuille des banques), financière (sorties de capitaux, resserrement monétaire aux Etats- Unis) ainsi que sur les risques politiques au sens large (géopolitique, politique intérieure, politique économique).
L’instabilité financière en Chine reste le risque potentiel principal. La dette du secteur non financier privé (i.e. hors Etat central) a atteint 210% du PIB en 2016 et ralentit difficilement. Celle des entreprises (120%) se stabilise mais celles des ménages (45%) et des collectivités locales et de leurs véhicules de financement (45%) continuent d’augmenter bien plus vite que le PIB. C’est le cas également de la dette originée par le compartiment le moins régulé du shadow banking, qui représente maintenant 50% du PIB contre 16% en 2011 selon les estimations de Moody’s. Par ailleurs, les tensions sur la liquidité domestique sont récurrentes, conséquences des sorties de capitaux ou des mouvements de panique sur la dette des entreprises et véhicules de financement des collectivités locales. Bref, le potentiel d’une crise de la dette des entreprises continue d’augmenter. Heureusement, contrairement à la situation de la fin 2015, les éléments déclencheurs ne sont plus réunis; l’industrie n’est plus en déflation, les prix de l’immobilier se sont redressés, le taux de change est plus flexible et les autorités monétaires chinoises jouent leur rôle de fournisseur de liquidité en dernier ressort.
Au titre des risques politiques, les économistes de la Banque mondiale ont tenté d’évaluer leurs effets sur l’investissement des pays émergents et en développement pour expliquer la faiblesse de ce dernier depuis 2010. Plus précisément, ils présentent des calculs d’impact de deux mesures de l’incertitude sur deux exemples différents : l’incertitude des politiques économiques de l’environnement extérieur proche (l’UE pour les pays d’Europe de l’Est), et celle du risque politique interne (cas du Brésil). Il en ressort l’idée que l’augmentation (ou la diminution) des risques politiques peut très largement compenser la diminution (respectivement l’augmentation) de la volatilité financière sur les marchés (telle que mesurée par le VIX), surtout si les deux sources d’incertitude politique se combinent.