par Markus Schneider, Economiste spécialiste de la zone CEEMEA chez AllianceBernstein (AB)
L’enjeu des élections générales qui auront lieu en Turquie le 24 juin prochain est de taille. Après les changements constitutionnels qui ont renforcé le pouvoir du président, les élections législatives et présidentielles en Turquie s’annoncent comme les plus incertaines depuis longtemps.
Lorsque le président Recep Tayyip Erdogan et son parti au pouvoir, l’AKP, ont convoqué des élections anticipées en avril, ils semblaient confiants sur leurs perspectives de victoire et Erdogan compte toujours conserver la présidence au second tour. Cependant, la bonne campagne de l’opposition lui donne une réelle chance d’obtenir la majorité au parlement, grâce à une coalition de quatre parties, capable de détrôner l’alliance entre l’AKP et le MHP.
Peu importe qui sera au pouvoir, les décideurs politiques doivent agir rapidement pour corriger les profonds déséquilibres macroéconomiques de la Turquie en optant pour une politique plus orthodoxe et mieux coordonnée. Cela signifie que le gouvernement doit cesser de vouloir gagner sur les trois tableaux : croissance élevée, taux d’intérêt faibles et inflation réduite.
Les efforts déployés récemment par la Banque centrale de la République de Turquie (BCRT) pour regagner en crédibilité, en relevant fortement les taux et en simplifiant sa politique monétaire sont un pas nécessaire dans la bonne direction. Il reste cependant à déterminer s’il s’agit d’une mesure ponctuelle décidée par la présidence pour consolider la livre turque avant l’élection ou d’une véritable évolution vers des décisions en faveur d’une politique monétaire plus indépendante qui seront maintenues après les élections. Bien entendu, l’indépendance de la Banque centrale pourrait être à nouveau mise à l’épreuve après les élections si les signes de ralentissement économique deviennent plus visibles dans un contexte d’anticipation d’inflation à court terme.
L’incertitude subsiste également quant à la future coordination des politiques entre la BCRT et le ministère des Finances. Les hausses des taux d’intérêt restent tout bonnement insuffisantes, compte tenu des extensions (quasi) budgétaires en cours. Les récentes déclarations du ministre des Finances, Naci Agbal, selon lesquelles la Turquie a besoin d’un assainissement budgétaire via une politique monétaire plus stricte, sont assurément les bienvenues. Cependant, les économistes surveilleront la situation de près pour voir si ces propos étaient sincères et si M. Agbal sera toujours en poste après les élections.
La composition de la nouvelle équipe économique indiquera si la BCRT aura davantage de marge de manœuvre et si les politiques sont mieux coordonnées sous le nouveau gouvernement. Si le président et le parlement sont issus de partis différents, il pourrait s’ensuivre une période de paralysie politique, suivie d’éventuelles élections anticipées en 2019. Le problème est qu’un tel contexte politique ne favorise pas un programme de réformes à même de rétablir la confiance, ce dont la Turquie a un besoin urgent pour éviter de nouvelles difficultés économiques et financières, notamment dans un contexte mondial plus tendu.