par Antoine de Salins, Directeur des Gestions de Groupama AM
1- L’année écoulée nous aura confirmé dans la conviction affichée depuis longtemps par Groupama AM du caractère structurel de cette « crise de la globalisation » et, en conséquence, d’une sortie de crise longue et douloureuse. Quelques éléments illustratifs qui, de notre point de vue, seront autant de « marqueurs » pour l’évolution de l’économie et des marchés financiers en 2012 et constituent l’arrière-plan des prévisions proprement dites.
Il n’y aura pas de «grand soir» pour refonder l’Union Economique et monétaire. La stratégie retenue –celle de l’Allemagne- est celle des petits pas vers une forme d’Union politique dont les contours se dessinent de manière aujourd’hui impressionniste. Nous allons donc continuer à vivre avec beaucoup de volatilité en particulier au premier semestre, et sans garantie tangible crédibilisant le niveau de mutualisation et de confiance que les investisseurs doivent avoir dans la stabilité de l’euro. Les motivations de la vague de dégradations qui vient d’être initiée par S&P traduit très clairement le point de vue moyen du marché : la gouvernance de la zone euro et les instruments concrets mis en place pour faire face aux stress de liquidité sont trop fragiles pour être convaincants. Aujourd’hui, seul le sentiment qu’au bord du gouffre, la BCE se résoudra à « faire son devoir » et pour ce faire avoir une interprétation encore plus dynamique de son mandat nous réassure contre le scénario de l’éclatement de la zone.
S’agissant de la Grèce, le pays a peu progressé l’année dernière dans son cheminement d’ajustement structurel par ailleurs soutenu du bout des lèvres par la classe politique et l’opinion publique. Le risque d’une sortie de la zone euro a augmenté de manière très significative (le Portugal n’est pas dans une situation significativement différente d’un point de vue fondamental). Si nous ne prenons pas en compte ce risque dans notre scénario central, c’est précisément du fait du manque de progrès sur l’intervention de la BCE comme prêteur en dernier ressort des Etats. Seule celle-ci permettrait, en effet, de protéger les autres pays fragiles de l’immédiate et violente contagion qu’entraînerait une sortie grecque. Ceci signifie qu’un accord laborieux devrait être trouvé sur le rééchelonnement de la dette souveraine des porteurs privés (PSI). Il est clair qu’il devra s’accompagner d’un effort supplémentaire des créanciers officiels pour que le « »paquet d’ensemble » retrouve un peu de crédibilité. Il faudra aussi scruter les réflexions et éventuels progrès des responsables politiques de la zone euro sur la composante consolidation de la croissance, aujourd’hui trop absente de la stratégie et qui permettrait de susciter une plus grande adhésion des opinions publiques au nécessaire renforcement de l’intégration européenne.
Conséquence structurelle de cette crise de confiance (accélérée par la décision regrettable de marquage au marché des expositions souveraines prises mi 2011 par l’Autorité bancaire européenne) : l’investisseur redécouvre les joies du suivi minutieux des programmes de financement des Etats, des adjudications de bons du Trésor, des flux d’investissement en provenance des différents acteurs. Sur le marché obligataire, les non européens se sont retirés et le « home bias » est de retour. L’espace financier européen est ainsi en voie de refragmentation.
L’économie américaine a démontré une forme de résilience qui a surpris les plus pessimistes au deuxième semestre 2011. C’est néanmoins un diagnostic d’une fragilité structurelle d’une économie encore très convalescente qui inspire notre scénario central. Nonobstant un vrai choc de confiance aux deuxième et troisième trimestres, le consommateur américain a puisé dans son épargne pour consommer. Certes, l’emploi s’est un peu amélioré et le désendettement privé progresse mais la question de la maîtrise de la dette publique a été reportée à 2013 dans une nouvelle configuration politique aujourd’hui paralysée. Le « boulet » immobilier pèse encore de tout son poids.
La Chine est entrée dans la deuxième année de son douzième plan dont l’objectif est de «rebalancer» un modèle de croissance aujourd’hui tiré par l’extérieur et l’investissement jugé à juste titre par les autorités « insoutenable et instable ». Au-delà des aspects strictement conjoncturels, nous pensons que cette volonté de rebalancement va progressivement être mise en œuvre et se traduire par un niveau de croissance plus faible (6/8% plutôt que 8/10%) où la part de la consommation interne sera plus importante et l’utilisation des ressources humaines et naturelles plus soutenable.
Après la phase de « sauvetage » au bord du gouffre et celle du rebond et des tentations du retour au « business as usual », l’économie mondiale entre dans une nouvelle phase de l’après-crise, celle où chaque grande zone géographique se recentre sur elle-même et tente de panser ses plaies, notamment celles liées au refinancement des dettes publiques et aux inévitables conflits de répartition que cela va engendrer. En bref, une croissance mondiale moins intense mais potentiellement plus soutenable si les tentations protectionnistes sont contenues.
2 – L’économie mondiale devrait sensiblement ralentir en 2012, sa croissance passant de 3,8% à 2,0% avec un profil assez marqué : récession douce en zone euro et croissance faible aux Etats-Unis au premier semestre puis un rebond au second du fait, en particulier, de progrès dans la voie de la stabilisation européenne après le choc de l’été 2011. Néanmoins, jamais les perspectives économiques et financières n’ont été aussi dépendantes du cours des évènements politiques, d’élections à venir et des décisions qui en découleront.
Au sein de la zone euro, le PIB devrait se contracter de 0,7% en 2012, après une hausse de 1,4% en 2011 mais c’est la disparité géographique qui s’accroît. L’Italie devrait enregistrer une baisse de 1,7% de son PIB, alors qu’au contraire la croissance devrait rester positive en Allemagne (+0,3%). La croissance en France devrait être autour de -0,5%, très inférieure à la prévision officielle (1%). Pour l’ensemble de la zone euro, si les composantes de la demande intérieure contribuent à la réduction d’activité, l’investissement (-2%) sera le plus affecté par la crise de confiance qui paralyse les décisions de dépenses à long terme. La consommation devrait subir les conséquences d’une dégradation importante du marché de l’emploi et diminuer de 0,5%.
La croissance américaine restera fragilisée par la faiblesse du pouvoir d’achat des ménages dans un contexte de désendettement, passant de 1,7% en 2011 à 1,1% en 2012, sans cependant tomber dans une nouvelle récession. L’activité va subir la dégradation du commerce mondial, et le ralentissement marqué de la consommation des ménages au premier semestre, dû à l’absence de gains de pouvoir d’achat. L’embellie enregistrée depuis la fin de l’été a résulté de facteurs essentiellement temporaires (baisse du taux d’épargne et des refinancements hypothécaires) et l’absence de gain de pouvoir d’achat devrait cependant entraîner une consommation atone dans les mois qui viennent. La croissance s’effectue toujours dans un contexte structurel de désendettement forcé pour les ménages, alors que le marasme du marché de la maison individuelle se poursuit, notamment en raison des saisies qui vont continuer à affluer pendant au moins deux ans et qui vont entretenir la baisse des prix. En revanche, le marché du logement collectif ou des appartements a redémarré.
Les pays émergents sont affectés par la baisse des cours des matières premières, par la dégradation de leur demande étrangère, ainsi que par une réduction marquée des financements extérieurs venant des banques européennes qui réduisent leurs activités et la taille de leur bilan dans les pays émergents pour améliorer leur solvabilité. Par ailleurs, ils doivent faire face au ralentissement volontaire de leur demande intérieure. En Chine, par exemple, le durcissement passé de la politique monétaire provoque une correction du marché de l’immobilier qui était recherchée par les autorités ainsi qu’une baisse sensible de l’inflation dont le niveau était devenu un sujet d’inquiétude majeur pour la population. La croissance chinoise devrait être de l’ordre de 8% cette année après 9,3% en 2011.
Comment, dans ce contexte, analyser la situation des banques et des entreprises européennes ?
En pleine convalescence, les banques européennes ont dû faire face à la crise souveraine, qui a accentué leurs difficultés structurelles. Crises de liquidité et de solvabilité menacent à nouveau, seules les mesures non conventionnelles de la BCE ont permis d’éviter le pire pour le passage de fin d’année et repoussent notamment le danger de credit crunch. En 2012, l’enjeu majeur restera la résolution de la crise européenne, et très prochainement, la signature du PSI avec la Grèce. La mise en place de la réglementation se poursuivra, faisant clairement apparaître des fortes modifications des « business models ». De ce point de vue, les thèses défendues par le rapport Vickers en Grande-Bretagne instaurant une séparation des métiers ont commencé à gagner du terrain en Europe.
En revanche, les fondamentaux des entreprises demeurent satisfaisants. Grâce au désendettement mené depuis plusieurs années, la solvabilité des grandes entreprises européennes est excellente. Le ratio dettes nettes/ fonds propres est à un niveau historiquement bas. Les difficultés à trouver du financement les ont conduites à maintenir un niveau de liquidité élevée. Toutefois, la situation des PME diffère et laisse anticiper une remontée des taux de défauts en 2012 sur les catégories de rating les plus faibles. Enfin, le ralentissement économique se traduit notamment par l’apparition d’un nombre croissant de « profit warning » et de mises en garde sur l’évolution des résultats sur cette nouvelle année.
3 – Risques majeurs par rapport à ce scénario central et marges de manœuvre de politique économique.
Le premier risque est la pénurie de crédits en Europe. Dans l’objectif d’améliorer leur solvabilité et de satisfaire les exigences de solvabilité de la part des autorités de régulation européennes, les banques européennes peuvent chercher à réduire leurs actifs sur le secteur privé européen : dans ce cas, les crédits vont se réduire et il sera difficile aux entreprises comme aux ménages d’obtenir un crédit avec des conséquences négatives sur les dépenses d’investissement et l’amplification de la contraction de l’économie. Pour l’instant, il y a bien un durcissement sensible des conditions de crédit aux entreprises mais la bonne tenue des crédits à moyen terme ne met pas en évidence de pénurie de crédit généralisé.
Le second risque demeure l’enlisement de la crise de la gouvernance politique à cause du manque de consensus politique européen, ou bien même à cause d’un changement de gouvernement qui exigerait une remise à plat des accords finalisés (PSI grec et règle d’or budgétaire). Dans ce cas, la poursuite des tensions sur les spreads de dette publique prolongerait la récession et entretiendrait le stress sur le système financier et les conditions de crédit. Un credit crunch serait alors inévitable et les conséquences sur les comptes publics importantes. A l’inverse, un apaisement des tensions européennes (accord sur la Grèce et sur le projet de nouveau Traité européen dans les calendriers prévus, stress tests bancaires positifs en juin prochain, impact positif des mesures récentes de la BCE sur le marché monétaire et les émissions de dette publique des pays fragiles via les banques…) amplifierait sans doute l’envie qu’a le marché en ce début d’année de reprendre du risque, en particulier sur les financières.
Les marges de manœuvre de politique économique sont réduites sur le volet budgétaire. Il ne faut plus s’attendre à un soutien de la part de la politique fiscale. Celle- ci aura un impact négatif sur l’activité dans tous les pays européens alors qu’elle pourrait être au mieux neutre aux Etats-Unis si le Congrès et l’administration Obama trouvaient un accord sur la prolongation sur l’année des dispositifs d’allègements fiscaux qui visent à soutenir l’emploi. En revanche, certains pays émergents comme la Chine peuvent actionner l’arme budgétaire si le besoin s’en fait sentir, dans l’objectif de favoriser la consommation.
La politique monétaire restera, par contre, active dans les pays développés comme dans les pays émergents. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale continuera à substituer des titres d’Etat de long terme à des titres d’Etat de court terme dans son bilan. Elle pourra également, si besoin est, prendre des décisions supplémentaires pour maintenir des taux longs durablement bas (autour de 2% pour le 10 ans) : elle pourrait s’engager sur une fourchette de taux longs par exemple et procéder à une autre politique monétaire quantitative d’un genre nouveau, dédiée au secteur immobilier par exemple. S’agissant des taux courts, la FED pourrait les maintenir très bas au-delà de 2013.
La BCE devrait continuer à réduire ses taux directeurs (0,25% sur l’année au minimum), à acheter des titres de dette européenne, et à opérer des opérations de refinancement de long terme pour les banques européennes, ce qui pourrait ressembler à du « quantitative easing » qui n’avoue pas son nom si les banques investissent leurs liquidités dans des titres publics. En Chine, on peut s’attendre à une poursuite de la réduction du taux de réserves obligatoires tant que l’inflation baissera et que le marché de l’immobilier continuera à corriger mais, une baisse des taux directeurs nous semble peu probable compte-tenu de ses effets potentiels sur l’immobilier qui reste sous tensions.
4 – Evolutions des principaux marchés.
Avec la volatilité qui s’annonce encore forte, les mouvements sur les primes de risques obligataires vont demeurer importants avec en ligne de mire les risques qui pèsent sur le refinancement des Etats. L’évolution des taux sur les pays « cœur » de la zone euro dépendra de la dialectique entre des chiffres économiques attendus en amélioration (en France et en Allemagne principalement) et les incertitudes sur la crise de la dette souveraine qui devrait finir par se résoudre sur un horizon moyen/long-terme. Les taux des pays « cœur » devraient ainsi évoluer au sein de la fourchette récente avant de progressivement se tendre entraînant un rétrécissement des primes de risques. Même en cas de stabilisation de la gouvernance de la zone euro, le spread France- Allemagne ne reviendra pas à son étiage précédent entre 30 et 50 points de base au- dessus du Bund. Il devrait osciller autour d’une moyenne de 160 points de base dans les six mois qui viennent compte-tenu du contexte électoral et revenir aux alentours de ce que traduit la nouvelle notation française si la stratégie économique des nouvelles autorités convainc les marchés financiers.
Notre allocation pays va donc certainement évoluer au cours de l’année que nous démarrons en privilégiant toujours les pays AAA et en sous-pondérant les pays périphériques.
S’agissant du crédit, la décorrélation entre le comportement entre les dettes financières et les dettes d’entreprises devrait se poursuivre tant que la crise souveraine pénalisera les premières. La recherche de rendement va favoriser les dettes d’entreprises dont les fondamentaux restent bons. Nous privilégions toujours ces dettes sur les pays « cœur », et de notation BBB. Pour les dettes financières, l’incertitude règlementaire et de possibles nouveaux « stress tests », devraient continuer de nourrir la volatilité. La sélectivité reste le mot clé.
Nous maintenons pour la période qui s’ouvre une légère sous-exposition en termes d’allocation et une sous-sensibilité du crédit au sein de nos portefeuilles. La sous-pondération sur les dettes bancaires seniors est allégée et nous poursuivons l’allègement des dettes subordonnées au profit des dettes seniors CT.
Un environnement macro économique toujours difficile et des politiques d’austérité et durcissement des conditions de crédit, sont autant d’éléments qui vont peser sur les profits des entreprises et donc les marchés d’actions. Nous avons ainsi ajusté à la baisse nos prévisions de croissance des bénéfices par action 2012 à – 9% pour la zone Euro, nettement en deçà de celles du consensus des analystes. Le risque de surprises négatives en début d’année est important sur cette classe d’actifs qui n’a toujours pas retrouvé, dans les flux, la faveur des investisseurs de long-terme.
En revanche, même en intégrant ces nouvelles prévisions de bénéfices par action, les niveaux de valorisations restent attractifs ce qui nous amène à des anticipations à 1 an qui restent modestement positives, en privilégiant toujours l’Asie. Ces prévisions, de même que nos perspectives étales à trois mois, masquent toujours l’anticipation de nombreux chocs de volatilité au cours du premier semestre.