Espagne : montée en puissance de nouveaux partis

par Catherine Stephan, économiste chez BNP Paribas

Les partis traditionnels, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) et le PP (Parti populaire) du premier ministre Mariano Rajoy, pâtissent des difficultés persistantes rencontrées par les Espagnols.

Le taux de chômage (autour de 23%) reste supérieur de près de 15 points à celui d’avant crise.

Les scandales de corruption impliquant certains des membres des partis traditionnels participent également à l’émergence de Podemos, un parti de gauche radicale, et du parti de centre droit Ciudadanos.

Ces nouveaux partis devraient influer sur l’issue des prochaines élections générales.

L’Espagne a renoué avec la croissance au printemps 2013, et devrait afficher une hausse de plus de 3% de son PIB en 2015. Toutefois, les partis traditionnels, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) et le PP (Parti populaire, de droite), qui se sont succédés au pouvoir depuis le début de la crise1, pâtissent des mesures d’austérité drastiques administrées au pays au cours de ces dernières années, et des difficultés persistantes rencontrées par les Espagnols pour trouver un emploi.

Les scandales de corruption impliquant certains de leurs membres participent également à la montée en puissance de Podemos, un parti de gauche radicale fondé en 2014, et du parti de centre droit Ciudadanos. Ces nouveaux partis, qui ont déjà modifié le paysage politique espagnol à l’issue des élections régionales et municipales en mai dernier, devraient influer sur l’issue des élections générales de novembre prochain.

Une situation économique plus favorable

L’Espagne est parvenue à enclencher une dynamique de croissance après plusieurs années de crise. Le pays, dont l’activité avait chuté de 8% entre les printemps 2008 et 2013, a enregistré une septième hausse consécutive de son PIB au premier trimestre 2015 (+0.9% t/t). L’ensemble des composantes de la demande ont soutenu l’activité. La consommation des ménages, l’investissement et le commerce extérieur ont contribué respectivement à hauteur de 0,4, 0,3 et 0,1 point à la croissance du PIB au premier trimestre. L’élément moteur de la reprise espagnole est cependant la demande extérieure. L’Espagne bénéficie des efforts de compétitivité réalisés depuis 2008 grâce à la modération salariale et aux gains de productivité.

Les entreprises ont en effet détruit massivement des emplois au regard de la contraction de l’activité au moment de la crise, augmentant d’autant leur productivité. L’emploi a reculé de 17,5% entre les premiers trimestres 2008 et 2013 tandis que l’activité reculait de près de 8% sur la même période. Ces gains de compétitivité, mesurés par les coûts salariaux unitaires (près de -7% entre 2009 et 2014), n’expliquent toutefois que partiellement les bonnes performances de l’Espagne à l’exportation. Les entreprises espagnoles n’ont en effet répercuté qu’en partie ces gains sur les prix à l’exportation.

L’Espagne bénéficie surtout des efforts entrepris, au cours de ces dernières années, par ses entreprises, confrontées à une demande intérieure déprimée, pour rechercher des débouchés à l’étranger. De même, elle a pu bénéficier du nombre plus important d’entreprises s’installant dans le pays et davantage enclines à exporter. Elle a ainsi diversifié ses débouchés en exportant davantage vers l’Asie ou le Moyen-Orient (respectivement 9,5% et 5,9%, des exportations de marchandises au T1 2015 contre 6,3% et 4,1% en 2007) et accru ses exportations (près de 37% entre les T1 2015 et 2009). Alors que les gains de productivité ont commencé à s’amenuiser fin 2014, l’Espagne profite également de la faiblesse de l’euro et d’une conjoncture économique mondiale plus favorable.

Une croissance plus équilibrée

Cette dynamique s’est diffusée à l’ensemble de l’économie. L’accroissement de la demande extérieure, des conditions de financement avantageuses, couplées à l’amélioration du taux de marge, ont incité les entreprises, malgré un niveau d’endettement élevé (126,2% du PIB au T1 2014), à investir à partir du printemps 2013 et à créer des emplois à partir du début 2014 (près de 510 000 emplois créés entre les T1 2014 et T1 2015). Les ménages restent également fortement endettés (109% du revenu disponible brut au T4 2014 selon la Banque de France), mais les créations d’emplois, la hausse du revenu disponible (+3,2% g.a. au T1 215, après +1,4% g.a. en 2014), conjugués à un regain de confiance, se sont accompagnées d’une hausse de la consommation privée à partir du troisième trimestre 2013. Des gains importants de pouvoir d’achat depuis fin 2014 ont par ailleurs conforté cette reprise. Le taux de croissance des prix à la consommation, après avoir rejoint un point bas en janvier 2015 (à -1,5% g.a.), se maintient en effet à un niveau extrêmement faible (à 0% g.a. en juin) en raison de la baisse prononcée du prix du pétrole entre juillet 2014 et janvier 2015 et de la sous-utilisation des capacités de production.

Le taux d’inflation a vraisemblablement touché un point bas, et devrait croître en raison d’effets de base moins favorables et de la faiblesse de l’euro. Les ménages seront cependant moins affectés qu’au cours des années passées par les mesures de consolidation budgétaires. Le gouvernement, qui profite du retour de la croissance pour assainir ses finances publiques, a en effet déjà ramené le solde structurel primaire de -5,1% du PIB en 2010 à +1,3% en 20142. La dynamique à l’œuvre en Espagne devrait donc se poursuivre. En hausse de 1,4% en 2014, le PIB pourrait afficher une progression de 3,2% cette année.

Un chômage toujours élevé

Une dynamique favorable est enclenchée, mais l’Espagne a encore du chemin à parcourir pour retrouver un niveau d’activité et un taux de chômage proches de ceux antérieurs à la crise. Le PIB reste, en effet, inférieur de près de 5% au précédent point haut du premier trimestre 2008 et le taux de chômage supérieur de près de 15 points à celui du printemps 2007. Le repli du taux de chômage depuis le printemps 2013 est donc insuffisant (à 22,7% en avril, contre 26,3% au T1 2013) pour que l’amélioration de la conjoncture soit pleinement perceptible par les Espagnols, notamment parmi les plus jeunes3. La modération salariale et la dégradation de la qualité de l’emploi sont également sources de mécontentement.

L’issue incertaine des élections générales

Ces difficultés participent à la montée en puissance de Podemos, un parti issu du mouvement des Indignés, et critique à l’égard des mesures d’austérité prises par les précédents gouvernements. Elles n’expliquent toutefois pas à elles seules la désaffection à l’égard des partis traditionnels. Les scandales de corruption visant certains de leurs membres participent également à l’émergence de ces nouveaux partis, notamment de Ciudadanos, dont les positions sont proches de celles du PP.

Ces nouveaux partis ont déjà modifié le paysage politique espagnol lors des élections régionales et municipales de mai dernier. Podemos et Ciudadanos ainsi que de leurs chefs de file respectifs Pablo Iglesias et Albert Rivera, ont, en effet, mis à mal la suprématie du PSOE et du PP, lesquels ont dominé la vie politique espagnole durant plus de trente ans. Ils devraient à nouveau influer sur l’issue des élections générales4 de novembre prochain. Le PP, qui dispose actuellement d’une majorité de sièges au Congrès des députés (actuellement 185 sièges sur un total de 3505), arrive en tête des sondages, devant le PSOE (106 sièges). Toutefois, aucun de ces deux partis, qui bénéficient de près de respectivement 27% et 24% des intentions de vote selon les instituts de sondage, ne devrait disposer d’une majorité de sièges (fixée à 176). Le prochain gouvernement devra donc s’appuyer sur Ciudadanos et Podemos, actuellement dépourvus de sièges au Parlement, et crédités de respectivement d’environ 13% et de 19% des intentions de vote.

Les contours du prochain gouvernement sont toutefois difficiles à prévoir. Les nouveaux partis ne souhaiteront peut-être pas participer à des coalitions avec les partis traditionnels, de crainte de nuire à leur crédibilité acquise en dénonçant la corruption de ces partis et, dans le cas de Podemos, les politiques de rigueur des précédents gouvernements. Podemos et Ciudadanos pourraient donc privilégier, comme déjà dans certaines régions, des alliances, au sein desquelles ils fixeraient leurs conditions. Dans un tel cas de figure, plusieurs configurations sont possibles telle que des alliances entre le PSOE et Podemos, ou entre le PP et Ciudadanos. Dans tous les cas, ces alliances pourraient amener l’ensemble des partis à faire des compromis et Podemos, en particulier, à modérer ses positions.

NOTES

  1. Le PSOE était au pouvoir de 2004 à 2011, et le PP dirige l’Espagne depuis 2011.
  2. Parallèlement, l’Espagne a ramené son déficit budgétaire à 5,8% du PIB en 2014 (contre 11% en 2009).
  3. Le taux de chômage des moins de 25 ans était de 51,4% au T1 2015 (contre 59,9% au T1 2013).
  4. Les élections générales permettront de renouveler pour quatre ans une partie des membres du Sénat (208 sur 266) et ceux du Congrès des députés, lequel dispose de davantage de prérogatives.
  5. Ces chiffres incluent les membres respectifs du PP et du PSOE et des partis qui y sont associés.

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