par Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française
L’Histoire du monde est marquée par la volonté de l’Homme de se regrouper : famille, hameau, village, ville, région, nation, union, continent. L’instinct grégaire, la volonté de survivre, de se développer, de s’entraider, de conquérir, de dominer… autant de sentiments nobles que d’autres xénophobes, très humain… Il n’y a qu’à observer les réactions face au "mariage pour tous" pour constater que le souhait d’unir peut provoquer le divorce ! En tout état de cause, force est de constater que les véritables mouvements de l’Histoire et les grandes décisions des gouvernements sont généralement prises en période de crise, de conquête (il n’y a qu’à regarder le découpage de l’Afrique) ou de guerre ; en "démocratie" à l’inverse la plupart des évolutions résultent des non décisions plus que des décisions courageuses.
L’ADN de l’Europe s’est construit autour d’un équilibre fragile et "peu agressif" entre les pays, reflet des démocraties en temps de paix. La création de l’euro a été la seule décision majeure et nous avons vécu pendant 10 ans avec l’illusion que l’Eurobond existait. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans cette impasse où nous avons découvert brutalement que "l’euro grec ou chypriote" n’avait pas la même valeur que "l’euro allemand".
Dès lors, la question d’une fusion entre la France et l’Allemagne, sujet parfois évoqué mais sans réelle profondeur, mérite cependant d’être fondamentalement abordée dans le cadre d’un choix réfléchi proposé aux Allemands comme aux Français. L’objectif de cette réflexion ne serait pas tant de dire "la fusion est la seule solution" mais bien de confronter les habitants de ces nations aux réalités et perspectives actuelles.
Au stade actuel de l’évolution de la planète que ce soit sur le plan économique, politique, social, démographique, militaire, écologique, il serait logique de se poser la question du "nouveau modèle de gouvernance", tant le flou existe sur le projet du "plus d’Europe fédérale".
La planète est devenue globale, les guerres sont aujourd’hui économiques et tournent autour de la compétitivité elle-même liée aux taux de change, à la démographie et aux modèles sociaux. La Parité des Pouvoirs d’Achat n’a jamais été aussi malmenée alors que l’économie a un degré d’ouverture "libérale" inégalée. Rappelons-le, c’est la guerre des monnaies, dollar et livre, qui a provoqué l’effondrement de l’Europe continentale en 1932 (notamment la France de rentiers refusant de baisser la valeur du franc) et ses conséquences : de l’affaire Stavinsky à l’effondrement de la 3e République (et sa gouvernance parlementaire)… jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
On sait que depuis 30 ans, l’Occident est entré dans un lent déclin industriel qui, en l’absence d’adaptations structurelles et en dessous d’un certain seuil d’activités industrielles, s’est traduit par une économie du chômage et du surendettement, aujourd’hui des Etats.
Subir un déclin, s’il n’est que relatif, ne pose pas de réels problèmes majeurs si ce n’est aux nostalgiques des empires hégémoniques (des romains à Napoléon) ou de Paris, ville lumière, capitale mondiale intellectuelle et politique du XIXe siècle. Malheureusement, le déclin relatif amorcé il y a 30 ans n’en est qu’à ses débuts car il s’agit maintenant d’affronter une forte probabilité de déclin absolu.
Si l’on pose l’équation du devenir de l’Europe et singulièrement de la France en termes de probabilités statistiques, tout semble indiquer que nous sortons de l’univers gaussien traditionnel (où la croissance et le "confort individuel" évoluait depuis 50 ans entre -1 % et + 2 % par an) pour rentrer dans une queue de distribution épaisse, le trou noir étant par définition "inconnu". C’est ce qui est arrivé en 1932, c’est ce qui est arrivé également en 2008 avec la faillite de Lehman Brothers dont l’une des conséquences est le surendettement accéléré actuel des Etats européens. La belle histoire de la construction européenne est ainsi en train de tourner au cauchemar de l’euro où entre la procrastination de certains gouvernements et le rejet croissant des populations, nous sommes dans l’impasse avec une tentation forte de faire marche arrière.
Au stade de déliquescence économique et institutionnelle actuel (une monnaie sans Etat ; des Etats sans monnaie nationale), la solution n’est plus économique mais politique et une démarche courageuse serait, pour les gouvernements, de confronter leurs concitoyens aux choix possibles : Le maintien de la politique actuelle, c’est-à-dire, trouver des compromis politiques et économiques tant au niveau national qu’européen : des compromis européens avec au mieux l’Union Bancaire qui devrait permettre in fine aux banques et aux entreprises de se dissocier du risque, et donc de la prime de risque, de l’Etat d’appartenance ; une réduction des déficits budgétaires et donc, toutes choses égales par ailleurs, du modèle économico-social national ; une monnaie forte et de moins en moins compétitive ; des atermoiements nationaux sur la transition énergétique… et au total une probabilité de croissance zéro sur les 5 à 10 prochaines années avec les risques d’un effondrement politique et social à tout moment. Sur le plan politique, une montée de la xénophobie et du repli sur soi.
Une fusion avec l’Allemagne qui ferait de ce nouveau pays, l’Europa, la 2e puissance mondiale : 140 millions d’habitants, une balance commerciale excédentaire, des spécialisations mondiales reconnues de l’agriculture à la haute technologie, un équilibre budgétaire primaire, des taux d’intérêts attractifs, un niveau d’endettement national redonnant de la flexibilité. Le modèle politique allemand serait adopté car il fonctionne bien dans un système démocratique fédéral reposant sur les régions (les régions pouvant être en déficit à partir du moment où il est approuvé préalablement au niveau fédéral). La réunification de l’Allemagne posait des problèmes au moins aussi importants que ceux d’une unification France-Allemagne et manifestement c’est un succès. L’Allemagne a réussi à maintenir une activité industrielle reposant sur la valeur ajoutée importante du travail et la qualification de la main d’œuvre. Sur le plan des chiffres macro-économiques cumulés, les régions françaises retrouveraient l’air dont elles ont besoin pour redémarrer. Sur le plan intérieur, l’affaire Cahuzac comme le ridicule de la "transparence" des patrimoines de nos dirigeants et élus ont fini d’achever le peu de confiance et de crédibilité qui restaient dans l’élite politique national…
Les cultures et les langues sont certes différentes… à l’instar de la Suisse et la seule question que l’on devrait se poser devrait être les motivations des Allemands à une telle fusion si ce n’est notre art de vivre (passez un week-end à Berlin et vous vous demandez si le nôtre est vraiment supérieur…). Les réponses aux allemands seraient de quatre natures : la puissance conjuguée des deux dans un environnement globalisé, la réduction d’un certain nombre de dépenses publiques centrales (à commencer par l’administration centrale et les dépenses militaires), une démographie positive (problème de l’Allemagne sur le moyen terme) et enfin l’effet d’entrainement à moyen terme sur d’autres pays européens.
La troisième possibilité, qui s’offre dès lors que l’on refuse la perspective d’une récession pendant 10 ans et la création d’un nouvel Etat regroupant l’Allemagne et la France, c’est, dans un cadre européen à définir, de prendre la voie d’un redressement national fort qui ne peut se faire qu’avec les grandes réformes structurelles nécessaires et qui seront socialement très difficiles à vivre et encore plus à faire accepter aux populations : baisse des impôts, baisse encore plus importante de la dépense publique, flexibilité forte du travail, modification de la politique de redistribution…
La fusion est malheureusement du domaine de l’utopie car nous sommes aujourd’hui dans une forme moderne de guerre des religions où le Luthérien Allemand ne pardonne pas les fautes et encore moins quand elles sont faites par les latins catholiques pour qui la faute avouée est à moitié pardonnée ! Les populations ne voient aujourd’hui que l’échec, la rigueur et le chômage dans la construction européenne et elles ne sont pas prêtes à une telle évolution, au moins tant qu’un projet politique crédible d’un avenir européen positif ne soit concrétisé.
Des véritables réformes structurelles qui passent nécessairement par une remise en cause du modèle social sont tout aussi improbables dans la situation économique, politique et sociale actuelle.
Le non choix, c’est-à-dire le maintien des politiques actuelles, est malheureusement le plus probable et 2014, 100 ans après la première guerre mondiale, risque fort de ne pas voir l’annonce de la création d’Europa, mais plutôt une forte montée des partis nationalistes anti-européens aux élections européennes en mai.
Les responsables européens que ce soit des élus, des membres du gouvernement où la Commission européenne, ont un très beau défi qu’ils doivent réaliser dans les 12 mois : redonner aux populations confiance dans l’Europe. Ce défi ne peut se résumer à de simples actes de communication mais doit passer par des actes forts de l’Europe notamment envers la population aujourd’hui la plus touchée par ses difficultés : les jeunes. Les jeunes avec un taux de chômage de 50 % en Espagne et 25 % en France sont à l’évidence les premières victimes des difficultés de création d’une Europe unie : l’absence de flexibilité protège relativement plus ceux qui sont déjà en place, l’absence de moyens budgétaires nationaux limite fortement un soutien national. C’est donc à l’Europe de prendre en charge financièrement l’insertion des jeunes dans le monde du travail. "J’ai du travail grâce à l’Europe" changerait totalement la perception de rôle et redonnerait une nouvelle dynamique, probablement plus adaptée à notre Histoire, qu’une fusion de deux pays même si elle apparaît comme une meilleure approche.