Etats-Unis : arrêt sur image

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

On a le sentiment depuis peu d’assister à une scène filmée au ralenti : croissance à peine positive et faiblesse de l’inflation. Si une chose ne ralentit pas en revanche c’est bien le tapering… Les membres du FOMC maintiennent le statu quo sur les taux et réduisent de USD 10 mds supplémentaires les achats mensuels de titres. Il n’y a pas plus de suspense pour les mois à venir. La Fed a clairement indiqué que le cap était désormais fixé. Pour dévier du rythme prédéfini du tapering, il faudrait soit une accélération très marquée de la croissance, soit son arrêt pur et simple.

Certes, les données publiées mercredi font état d’une croissance quasi-inexistante au premier trimestre, une performance encore plus décevante qu’attendue et limitée à +0,1% en rythme trimestriel annualisé. Sans surprise, la contribution des exportations nettes a été fortement négative (-0,8 pp), et ce, malgré une baisse des importations.

Au second semestre 2013, les exportations ont été très dynamiques et le ralentissement du T1 2014 constitue en partie une correction. Mais cette évolution s’explique également par le fléchissement des échanges internationaux. D’après les données du Bureau d’analyse de la politique économique (CPB) des Pays-Bas la croissance du commerce international en rythme trimestriel était en baisse à -0,1 % en février (contre une hausse de 2 % en novembre 2013). Le recul des dépenses d’investissement n’a également surpris personne, annoncé qu’il était par les données d’activité de l’industrie des biens durables et du marché de l’immobilier. Enfin, les dépenses publiques, quoique une fois de plus en baisse (-0,5 % à peine), n’ont que faiblement pesé sur la croissance.

La principale surprise est venue de la vigueur des dépenses de consommation et de la faible contribution négative de la variation de stocks. La consommation des ménages a progressé de 3 % en rythme annualisé, après +3,3 % au T4 2013, les dépenses en services étant restées soutenues. Cette solidité s’est faite aux dépens du taux d’épargne qui a encore une fois reculé, à 4,1 % (contre 4,3 % à la fin 2013).

Quant au ralentissement du rythme de progression des stocks, il s’est traduit par une contribution négative de seulement 0,6 point de pourcentage, inversant à peine les chiffres fortement positifs de la fin 2013. Les résultats plus dynamiques que prévu de ces deux composantes ne sont pas exactement une bonne nouvelle, dans la mesure où la marge de rebond du T2 s’en voit limitée. A un moment ou à un autre, les ménages ne seront plus en mesure de financer leur consommation par une moindre épargne, et, lorsque le marché du travail finira par générer les revenus nécessaires, ils préfèreront probablement reconstituer cette dernière. Par ailleurs, il faudra bien que la constitution excessive de stocks, enregistrée au T3 2013, se corrige. En résumé, il se pourrait que la croissance au T2 soit à peine supérieure à 2 %.

Cependant, ces données n’indiquent aucun changement des fondamentaux : par rapport au T4 2013, la croissance de la demande intérieure finale était légèrement en repli en rythme trimestriel et à peine plus soutenue en glissement annuel, les deux taux avoisinant leur performance médiane depuis la sortie de récession. Le diagnostic en termes d’emploi et de perspectives des prix reste le même. Comme l’a déclaré Janet Yellen suite à la dernière réunion du FOMC (19 mars), il faudrait que les responsables de la Fed cessent de penser que « le marché du travail s’oriente vers une poursuite de l’amélioration » et que « l’inflation va évoluer à la hausse avec le temps », pour que le tapering soit remis en cause.

La tendance des prix demeure la principale inquiétude. Certes, les tensions à la baisse semblent se dissiper mais il n’y a toujours aucun signe de rebond. Telle que mesurée par le déflateur sous-jacent de la consommation privée (des prix de marché), l’inflation en glissement annuel ressort à 1,0 % à peine au T1 2014, le chiffre le plus bas depuis le début de 2011. Une certaine accélération serait donc la bienvenue … L’emploi porte davantage d’optimisme, avec une forte accélération des créations de postes ces trois derniers mois. La performance d’avril (288k) porte la moyenne sur 3 mois à 238k, contre 150k à peine en février. Ces bonnes nouvelles sont nuancées par une nouvelle chute du taux d’activité – qui explique à elle seule le recul du taux de chômage – alors que les horaires hebdomadaires n’évoluent pas et que les salaires ont une fois de plus décéléré. Si l’accélération des créations de postes se confirme, ce que nous anticipons, les différents indicateurs devraient retrouver une meilleure cohérence, ce qui ira tout de même de pair avec un moindre recul du taux de chômage alors qu’il faudra attendre encore longtemps avant de voir les salaires accélérer.

Mardi, en préambule à la réunion du FOMC, les membres du Conseil des gouverneurs se sont réunis pour débattre des « questions monétaires à moyen terme ». Les détails de ces discussions n’ont pas filtré (on pourrait avoir plus d’informations d’ici trois semaines avec la publication du compte rendu de la réunion). La première réunion de ce type, tenue en avril 2011, avait été consacrée à la définition des principes dits « de sortie » de la politique extrêmement accommodante. Nous devrons donc attendre pour savoir s’il y a eu ou non révision de ces principes. L’attention se portera notamment sur le délai prévu entre la fin de QE3 et le premier relèvement des taux et le modus operandi dans cet intervalle (arrêt ou continuité de la politique actuelle de réinvestissement des titres arrivant à maturité…), ainsi que sur ce que la Fed a l’intention de faire de son portefeuille : Vendra ? Vendra pas ? La question se pose même si y répondre ne presse pas …

Il convient de souligner, enfin, que la commission bancaire du Sénat a confirmé la nomination de trois nouveaux gouverneurs : Stanley Fischer (prochain vice-président), Lael Brainard et Jerome H. Powell. La confirmation par le Sénat en séance plénière devrait avoir lieu avant le Memorial Day (dernier lundi du mois de mai), soit dans un délai suffisant avant la prochaine réunion du FOMC à la mi-juin. De nouveaux « liens » à établir en perspective !

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