par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
• La conjoncture américaine est restée relativement atone au mois de juin 2015, avec un rebond limité dans l’industrie et une correction à la baisse des ventes au détail.
• L’immobilier semble être l’un des rares secteurs où la reprise gagne en vigueur.
• La présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, a pourtant déclaré que les conditions économiques permettraient, sans doute, une remontée des taux cette année.
Les données publiées sont restées en demi-teinte. La production a progressé de 0,3% en juin, mais après deux reculs consécutifs. Suite à une quasi-stagnation au premier trimestre (+0,1% en rythme trimestriel annualisé), le recul de la production est de 1,4% au T2. Le secteur minier, après avoir lourdement pesé en avril et mai, a largement contribué au rebond de juin. L’évolution de l’activité manufacturière aura été moins erratique au deuxième trimestre, mais globalement décevante : stagnation en mai et juin après une faible croissance en avril (+0,1% par rapport au mois de mars). Si, sur le trimestre, la production manufacturière affiche une croissance positive (1,3%), c’est surtout en contre-point du recul du T1 (-0,7%). Que ce soit d’un semestre sur l’autre ou d’une année sur l’autre, les six premiers mois de l’année 2015 marquent la plus faible progression depuis l’été 2009 et la sortie de récession.
Cette contre-performance du secteur manufacturier est en grande partie liée au commerce extérieur, avec la conjonction d’un dollar fort et d’un essoufflement de la demande mondiale. Entre juin 2014 et juin 2015, le taux de change effectif réel du dollar a gagné 10,5%. Ainsi, malgré la maîtrise des coûts unitaires du travail, l’industrie manufacturière américaine fait face à une détérioration de sa compétitivité externe. Afin de limiter le recul de leurs parts de marché, les producteurs américains ont absorbé une partie de la hausse du dollar, ce qu’illustre la baisse des prix à l’exportation : au cours des derniers dix-huit mois, l’indice couvrant les biens manufacturés a reculé de 5%.
Les exportateurs américains font également face à une conjoncture peu porteuse chez leurs principaux partenaires commerciaux. Le premier d’entre eux, le Canada (16% des exportations américaines en 2014), a vu son activité reculer chaque mois depuis janvier, amenant le repli à 1,4% (en taux annualisé sur trois mois) en avril. L’Amérique latine1 (22% dont plus de la moitié pour le Mexique) ralentit fortement, tout comme l’industrie en Chine, ce qui pèse sur le reste de l’Asie (14%). Reste alors l’Europe (14% pour l’Espace Economique Européen et 11% pour la seule zone euro) qui, certes, rebondit, mais dont les perspectives de croissance ne sont pas si encourageantes. Le détail des échanges commerciaux confirme ainsi que les exportations américaines reculent de façon quasi- généralisée, avec pour principales exceptions le Japon et la Royaume-Uni, pays qui ne représentent que 8% des flux commerciaux américains.
Par ailleurs, les perspectives de rebond à court terme sont jugées limitées par les industriels. Ainsi, les enquêtes menées par les Fed de New-York et de Philadelphie indiquent une nouvelle détérioration de la confiance dans le secteur manufacturier. Notre Indice NEM – qui agrège les données de ces deux enquêtes en un indice directement comparable à l’ISM national – a reculé de 2,1 points en juillet (à 50,2), notamment sous le poids des composantes nouvelles commandes (-2,1 pts à 50,5) et emploi (-2,5 pts à 50,8). Dans un contexte de demande extérieure peu favorable, la demande intérieure déçoit également. En juin, les ventes de détail ont reculé de 0,3%. Si l’on exclut carburants, automobiles et matériaux de construction, les ventes stagnent d’un mois sur l’autre, confirmant une progression limitée des dépenses de consommation au deuxième trimestre (après +2,1% en T1). Le tableau n’est pas totalement sombre, avec principalement une reprise qui se confirme dans le secteur immobilier. L’indice NAHB (National Association of Home Builders), à 60 en juillet, est au plus haut depuis la fin de 2005, notamment dans les régions qui ont été les plus lourdement touchées par la crise immobilière.
Pourtant, lors de son audition au Congrès, Janet Yellen a une fois de plus déclaré que les conditions économiques permettraient sans doute une remontée des taux cette année. D’ailleurs, cette semaine, la Fed annonçait que 5 des 12 Fed régionales avaient demandé une remontée de 25 points de base du taux de l’escompte, soit une de plus qu’à la fin du mois de mars. L’identité de la nouvelle venue, la Fed de Richmond, n’est pas anecdotique: son Président, Jeffrey M. Lacker est un membre votant du FOMC cette année…
NOTES
- Voir « Mauvaise passe », François Faure, EcoWeek, 17 juillet 2015.