Etats-Unis : la Fed opte pour le statu quo

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

•  Voisin de zéro depuis sept ans, le taux directeur de la Réserve fédérale reste inchangé en septembre.

  La Banque centrale délivre un discours prudent et justifie le statu quo par son souhait de voir la situation sur le marché du travail s’améliorer encore.

•  Le maintien de la politique ultra-accommodante est aussi la conséquence de l’instabilité économique et financière du moment. A moins qu’il n’en soit la cause…

C’était attendu. A l’issue de sa réunion du 17 septembre 2015, le Comité de l’open-market de la Réserve fédérale (Fed) a décidé de maintenir dans une fourchette de 0% à 0,25% le principal taux d’intérêt directeur appliqué au dollar. Dans une allocution prudente, sa présidente, Janet Yellen, a indiqué préférer attendre « des signes d’amélioration supplémentaire, y compris sur le marché du travail » la confortant dans son objectif d’inflation (2% à moyen terme).

Stabilité des prix

Pourtant, avec un taux de chômage proche de 5% et supposé accélérer les salaires, la Fed aurait déjà dû pratiquer quelques tours de vis monétaires. Historiquement, cette limite a toujours marqué le retour en territoire positif des taux d’intérêt réels. Mais pas cette fois. En septembre 2015, le taux objectif des fonds fédéraux reste inférieur de 100 points de base à l’inflation « sous- jacente », qui exclut les prix volatils de l’énergie et de l’alimentation. Si l’on se réfère à la fonction de réaction habituelle de la Banque centrale, celle-ci se montre plutôt pusillanime.

La situation est cependant loin d’être habituelle. Héritage de la plus grande crise financière de l’histoire contemporaine des Etats-Unis, elle fait toujours apparaître bon nombre de capacités excédentaires. D’après les estimations du Congressional Budget Office, qui font autorité, l’économie américaine opérerait trois points de PIB au- dessous de son potentiel, un écart important. Les tensions sur l’offre demeureraient faibles, en dépit du recul du taux de chômage. Cet indicateur a, de facto, perdu en pertinence depuis que la Fed lui adjoint d’autres critères, tels que le nombre d’heures travaillées ou le temps partiel involontaire1. Son recul reflète celui du taux d’activité des Américains, moins nombreux à participer au marché du travail. Il peine à décrire les forces qui l’animent, ainsi qu’en témoigne l’inertie des salaires. En dépit d’un taux de chômage divisé par deux, ces derniers conservent le même rythme lent de progression depuis 2010. La relation de Phillips, qui confère à la baisse du chômage un caractère inflationniste, est inopérante pour le moment.

Instabilité financière

Restent les conséquences potentiellement déstabilisatrices d’une prodigalité monétaire poussée trop loin trop longtemps. Aux Etats-Unis, certaines sociétés opérant dans le secteur bancaire parallèle (comme les Real Estate Investment Trusts) ou encore les gaz et pétrole de schistes ont eu massivement recours au levier. La dette obligataire privée a augmenté bien plus vite que la valeur ajoutée. Ailleurs dans le monde, notamment dans les pays émergents, la politique de taux zéro menée par la Fed a incité les entreprises à emprunter en dollars et accru la sensibilité de certaines économies aux risques de taux et de change2. L’instabilité financière du moment est d’ailleurs citée par la Fed comme l’une des causes du maintien à zéro du loyer appliqué au dollar. Elle pourrait tout aussi bien en être la conséquence.

NOTES

  1. Pour une analyse du sous-emploi aux Etats-Unis, voir Estiot, A. (2014) « Etats-Unis, la vérité est ailleurs », Conjoncture BNP Paribas, Octobre-Novembre 2014.
  2. Pour une analyse du risque émergent et de l’exposition au dollar des économies émergentes, voir Faure, F. (2015) « La Chine, le dollar et la dette : un cocktail amer », EcoWeek n°15-30 du 4 septembre 2015.

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