par Jean-Marc Lucas, économiste chez BNP Paribas
– Le président Obama a signé le principal volet de la réforme du système de santé.
– La réforme prévoit notamment : une modification du marché des assurances santé ; des incitations pour que les ménages se munissent d’une assurance ; des incitations pour que les entreprises proposent une assurance à leurs salariés ; de nouvelles recettes fédérales ; un frein à certaines dépenses (Medicare) ; une évolution des pratiques médicales. En revanche, l’idée (longuement débattue) de mettre les assurances privées en concurrence avec une nouvelle assurance publique (« public option ») n’a finalement pas été retenue par le Congrès.
– Le CBO estime que 95% de la population (hors immigrants illégaux) disposerait d’une assurance santé en 2019, alors que ce pourcentage est de 83% actuellement. Sur l’ensemble de la décennie, cela correspondrait à une diminution de la population sans couverture de l’ordre de 32 millions de personnes.
– Le coût des mesures visant à étendre la couverture santé de la population serait, selon le CBO, plus que compensé par les économies et les recettes supplémentaires générées par la réforme. Cet effet resterait cependant marginal en comparaison des déficits attendus.
Le président Obama a signé le principal volet de la réforme du système de santé (« Patient Protection and Affordable Care Act »). Il est prévu que ce premier texte soit complété dans les jours à venir par un second, encore en discussion au Congrès. Nous précisions ici les principaux points de cette réforme.
Principales caractéristiques de la réforme
Comme indiqué précédemment1, les deux insuffisances majeures du système de santé américain sont l’absence de couverture d’une fraction significative de la population (15,4%) et son coût très élevé, qui pèse sur les situations budgétaires des divers agents économiques (Etat fédéral, Etats fédérés, entreprises, ménages). Cette réforme visé à limiter ces deux problèmes.
La réforme prévoit notamment :
– Une réforme du marché des assurances santé. D’une part, les assureurs seront soumis à de nouvelles obligations. Ils ne pourront pas refuser de candidats en raison d’antécédents médicaux, ni mettre un terme à des contrats de façon arbitraire. Ils devront dépenser 80% (ou 85% selon les cas) des primes perçues en soins médicaux. Par ailleurs, un nouveau marché des assurances santé (« insurance exchanges ») sera développé à partir de 2014, à destination des petites entreprises et des ménages ne disposant pas de couverture santé par le biais de leur emploi (le cas majoritaire, et de loin), sur lequel les contrats proposés devront respecter certaines conditions2. En revanche, l’idée (longuement débattue) de mettre les assurances privées en concurrence avec une nouvelle assurance publique (« public option ») n’a finalement pas été retenue par le Congrès.
– Des incitations pour que les ménages se munissent d’une assurance. Les ménages qui refuseraient de se couvrir devront payer une amende pouvant aller jusqu'à 2,5% de leur salaire à partir de 2016. Les ménages disposant de ressources comprises entre 1 et 4 fois le seuil de pauvreté fédéral bénéficieront, dans cette optique, de subventions fédérales. Le programme public de couverture santé Medicaid (l’assurance publique destinée aux personnes les moins favorisées) deviendra par ailleurs accessible aux personnes disposant d’un revenu n’excédant pas 1,33 fois le seuil de pauvreté (alors que les limites fixées par les Etats peuvent actuellement être plus basses). Les jeunes adultes pourront par ailleurs bénéficier de l’assurance de leurs parents jusqu'à l’âge de 26 ans.
– Des incitations pour que les entreprises proposent une assurance à leurs salariés. Les petites entreprises seront incitées à proposer une assurance santé à leurs salariés par un crédit d’impôt. Les entreprises d’une certaine taille (plus de 50 salariés) seront pour leur part tenues de proposer une couverture, ou devront dans le cas contraire s’acquitter d’une pénalité (2000 USD par salarié à temps plein et par an). Jusqu'à présent, les entreprises étaient libres de proposer une assurance ou pas. Alors qu’elles y ont vu, à une époque, une façon d’attirer les salariés et de limiter le niveau de taxation3, un certain désengagement a été observé au cours des dernières années, en raison du coût de plus en plus élevé représenté par les dépenses de santé.
– De nouvelles recettes fédérales. Afin de financer les coûts associés à une couverture accrue de la population (subventions, abaissement du seuil pour Medicaid), certains prélèvements seront mis en place ou accrus. A partir de 2018, les assurances les plus coûteuses (plus de 10 200 dollars par personne ou plus de 27 500 dollars par famille) seront notamment soumises à une taxe. L’effet de cette mesure sera double : elle génèrera des recettes supplémentaires et incitera les entreprises à proposer des formules d’assurance moins coûteuses (limitant ainsi la part de la rémunération non imposable). Les cotisations sociales au titre de Medicare (l’assurance publique destinée aux personnes âgées et souffrant d’un handicap) calculées sur les revenus les plus élevés (plus de 200 000 dollars par personne ou plus de 250 000 dollars par couple) seront augmentées de 1,45% à 2,35%. Les revenus du capital des mêmes personnes feront l’objet d’une taxe de 3,8%. De nouveaux prélèvements seront aussi perçus auprès des fabricants d’appareils médicaux (à partir de 2013), des assureurs (à partir de 2014) et des compagnies pharmaceutiques (à partir de 2011).
– Un frein à certaines dépenses (Medicare). Les dépenses du programme Medicare seront par ailleurs freinées, par le biais d’une indemnisation moins généreuse des prestations financées par les assureurs privés4 (gel des taux d’indemnisation en 2011, diminution à partir de 2012). De surcroît, un comité consultatif fera des recommandations en vue de réaliser des économies et d’améliorer l’équilibre financier du programme.
– Une évolution des pratiques médicales. En vue d’améliorer la qualité des soins et de limiter la hausse du coût de la santé, de nombreux changements en matière de pratiques médicales sont prévus (une visite préventive gratuite par an dans le cadre de Medicare, un paiement des médecins basé davantage sur la qualité des soins et moins sur le nombre d’actes, un paiement plus limité des hôpitaux en cas de réadmission jugée « évitable » d’un patient dans le cadre de Medicare et Medicaid, etc.). Un nouvel institut de recherche comparera les résultats de différents traitements médicaux, en vue d’éliminer les procédures inefficaces, de limiter la hausse des coûts et de préciser les pratiques médicales jugées les plus efficaces (qui doivent être suivies dans l’ensemble du pays).
Quels changements ?
Le Congressional Budget Office (CBO) a réalisé une estimation préliminaire des effets de cette réforme en matière de couverture santé et de déficits, rendue publique le 18 mars.
– Le CBO estime que 95% de la population (hors immigrants illégaux) disposerait d’une assurance santé en 2019, alors que ce pourcentage est de 83% actuellement. Sur l’ensemble de la décennie, cela correspondrait à une diminution de la population sans couverture de l’ordre de 32 millions de personnes, grâce à la mise en place du nouveau marché des assurances et à l’extension de Medicaid. Au final, la couverture santé sera sensiblement renforcée, sans pour autant devenir universelle. Selon le CBO, 23 millions d’Américains ne disposeraient toujours pas d’assurance au terme de cette décennie (contre 46 millions aujourd’hui).
– Le coût brut de l’extension de la couverture santé est estimé à 940 milliards de dollars sur l’ensemble de la décennie 2010-2019, au titre des subventions accordées aux ménages et aux petites entreprises, et à l’extension du programme Medicaid. Ce coût, marginal dans les toutes prochaines années (4 milliards de dollars en moyenne entre 2010 et 2013), deviendrait conséquent à partir de 2014 (154 milliards de dollars en moyenne entre 2014 et 2019). Une fois déduites les pénalités acquittées par les ménages non assurés et les entreprises, ainsi que les taxes sur les assurances les plus coûteuses, le coût net de ces mesures serait de l’ordre 800 milliards de dollars.
– Selon les estimations préliminaires du CBO, la réforme aboutirait à une diminution déficit fédéral de l’ordre de 138 milliards de dollars sur l’ensemble de la décennie 2010-2019. En d’autres termes, le déficit serait 14 milliards de dollars moins élevé par an en moyenne. Le coût des mesures visant à étendre la couverture santé de la population serait ainsi, selon le CBO, plus que compensé par les économies et les recettes supplémentaires générées par la réforme. Quoique favorable, cet impact budgétaire reste tout à fait marginal en comparaison des déficits attendus dans les prochaines années (en moyenne, selon le projet de budget 2011 de l’administration Obama, le déficit fédéral s’établirait en effet autour de 1000 milliards de dollars par an entre 2010 et 2019). Au cours de la décennie suivante, le CBO suggère que l’effet sur le déficit serait plus important (-100 milliards de dollars par an en moyenne).
– La façon dont la grande majorité des américains seront assurés ne sera pas affectée par la réforme. L’essentiel de la population de moins de 65 ans (au-delà de cet âge, les personnes sont couvertes par Medicare) disposera toujours d’une assurance santé souscrite par l’entremise de son employeur. Selon le CBO, 40 à 50 millions de personnes verraient leur situation changer d’ici à 2019 : environ 30 millions d’entre eux disposeraient d’une assurance alors qu’ils n’en avaient pas, tandis que certains changeraient de mode de couverture, en s’assurant sur le nouveau marché des assurances (« exchanges ») ou en étant nouvellement couverts par Medicaid.
– Politiquement, le débat n’est pas clos. Les procureurs généraux de différents Etats ont annoncé des actions en justice pour contrer l’application de la réforme fédérale dans leurs Etats respectifs. Au sein du Parti Républicain, de nombreuses voix annoncent vouloir annuler et remplacer cette réforme en cas d’inversion de la majorité lors des élections de mi-mandat, qui se tiendront en novembre (un tiers du Sénat et la totalité de la Chambre des Représentants seront renouvelés à cette occasion).
NOTES
- Cf. notamment Ecoweeek 09-35 : « Etats-Unis : réforme du système de santé : accords et désaccords ».
- D’ici à 2014, un programme temporaire permettra aux adultes présentant des antécédents médicaux de se munir d’une assurance.
- Les primes d’assurances santé contractées par le biais de l’entreprise ne sont pas imposables.
- Ce sous-programme de Medicare, désigné sous le nom de « Medicare Advantage », fournit des prestations qui vont au-delà de celles fournies par le programme Medicare de base.
Retrouvez les études économiques de BNP Paribas