par Raphaël Gallardo, stratégiste chez Axa IM
Au G20 de Toronto des 26-27 juin, le Président Barack Obama n’a pas convaincu ses partenaires du bien-fondé de sa stratégie budgétaire : stimuler maintenant pour mieux s’ajuster demain. Certes, de nombreux pays sont déjà contraints à un ajustement drastique sous la pression des marchés. Mais parmi les gouvernements encore épargnés par les « bonds vigilantes », gardiens de l’orthodoxie budgétaire, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont délibérément choisi de s’appliquer une cure d’austérité sévère, et ce avec un fort soutien de leur électorat (à hauteur de 3% du PIB sur 2011-13 pour l’Allemagne, dont 0,4% en 2011, et 2,4% pour le Royaume-Uni en 2011).
Force est de constater que la stratégie de l’administration Obama a également du mal à convaincre les Américains eux-mêmes. Les élus démocrates ont vu leurs projets de mini-stimulus retoqués les uns après les autres par un Sénat où la fronde républicaine contre les déficits gagne en puissance. Si la majorité démocrate ne parvient pas à faire passer le renouvellement de plusieurs mesures budgétaires arrivant à échéance fin 2010, l’orientation de la politique fiscale pourrait s’inverser pour devenir restrictive dès le début 2011. Sombre perspective dans un climat de doutes croissants sur la pérennité de la reprise en cours.
Terrain miné
Les données conjoncturelles récentes témoignent de la sensibilité du cycle actuel aux mesures de stimulation budgétaire. La fin du crédit d’impôt réservé aux primo-accédants a provoqué une rechute spectaculaire de l’activité de construction et du marché immobilier à partir du mois de mai (chute de 30% des ventes de logements en mai, baisse de 10% des permis de construire au 2T10). De même, la fin de l’éphémère programme « cash for appliances », qui subventionnait l’achat d’appareils électro-ménagers « verts », a marqué le retour de la stagnation des ventes de détail depuis le printemps. Ces exemples soulignent la fragilité de la reprise en cours, d’autant plus que le cycle de restockage a atteint son pic au T1, et que de nombreuses vulnérabilités structurelles perdurent (chômage et endettement des ménages record, frilosité des banques, avalanche de saisies immobilières, surévaluation de l’immobilier commercial…). La rechute inattendue de la confiance des ménages en mai (Conference Board) et juin (Université du Michigan) a cristallisé les doutes des marchés, et permis, paradoxalement, une remontée de l’euro face au dollar, malgré la crise souveraine à la périphérie eurolandaise.
Goodbye Keynes ?
Quelle politique doit-on appliquer pour redonner confiance aux consommateurs, dans une économie marquée par un chômage record et un déficit non-moins inquiétant ? Le débat faire rage parmi les économistes, entre les partisans d’une poursuite de la relance (Brad DeLong, Olivier Blanchard), et les défenseurs de la rigueur budgétaire (Ken Rogoff). Les premiers soulignent l’absence de risque inflationniste, et la nécessité de privilégier l’arme budgétaire dans une situation d’output gap massif, de taux zéros et de possible trappe à liquidité. Les seconds soulignent la vanité d’un nouveau soutien budgétaire face à des ménages rationnels qui, anticipant les hausses d’impôts futures, épargnent pour compenser la dérive des comptes publics. Au contraire, la persistance des déficits publics menace la solvabilité étatique et la stabilité de la monnaie elle-même. Le dilemme se retrouve au cœur de la campagne américaine des élections parlementaires de mi-mandat (novembre 2010). Les primaires qui se sont tenues jusqu’à présent ont confirmé l’aversion de l’électorat républicain traditionnel pour les déficits, bien au-delà du mouvement Tea Party de Sarah Palin.
Le déclenchement de la crise souveraine en zone euro a renforcé la position des partisans de la rigueur. Le bas niveau du Président Obama dans les sondages (47% selon Gallup) suggère en outre que nombre d’électeurs démocrates sont également désabusés face à la persistance des stigmates de la récession (chômage, stagnation des marchés d’actifs, déficits colossaux) malgré l’activisme budgétaire de la Maison Blanche. Tel Bill Clinton en 1994, Barack Obama pourrait perdre sa majorité à la Chambre des Représentants. Le Sénat, où seulement un tiers des sièges seront renouvelés en novembre, pourrait rester démocrate, mais avec une majorité affaiblie, rendant encore plus difficile aux Démocrates de surmonter l’obstructionnisme des Républicains par le biais de filibusters. Ce procédé permet à une minorité de 41 sénateurs de bloquer le vote d’une loi, même si celle-ci jouit du soutien d’une majorité de 59 sénateurs. Les Républicains détiennent déjà cette arme depuis le décès de Ted Kennedy et son remplacement par le Républicain Scott Brown en février 2010. Ce nouvel équilibre a obligé les Démocrates à rallier un ou deux sénateurs républicains pour passer toute loi, notamment la réforme de la santé et la loi Frank-Dodd sur la réforme financière.
Bataille parlementaire
Cet obstructionnisme parlementaire a été utilisé fin juin par les Républicains pour faire avorter le projet de « mini-stimulus » proposé par la Maison Blanche en février et voté par la Chambre basse en mai. Le projet avait pourtant été fortement dénaturé, entre la version de 266 mds USD voulue par Barack Obama, sa version édulcorée votée par les Représentants (134 mds USD), et enfin le projet présenté aux Sénateurs (34 mds USD). En vain. La version du Sénat ne comportait plus que l’extension de la durée des allocations chômage et des aides fédérales en faveur de Medicaid, partiellement financée par la hausse de la fiscalité sur le capital. Le projet initial de la Maison Blanche comprenait en outre le renouvellement des baisses d’impôts de l’ère Bush Junior (votées en 2001 et 2003) pour la classe moyenne (qui expirent fin 2010), le renouvellement des aides fédérales aux Etats (notamment pour le financement des programmes Medicaid et Medicare), le renouvellement du crédit d’impôt « Make Work Pay », et des subventions à la couverture médicale des chômeurs.
Si les sénateurs démocrates ont finalement jeté l’éponge en ce qui concerne ce mini-stimulus, devenu au fil des méandres parlementaires un simple « extender bill » (loi d’extension), un accord semble imminent pour la seule extension de l’assurance chômage. Les allocations chômages sont versées pendant 26 semaines par les Etats. Le Congrès avait voté début 2010 leur prolongation de 73 semaines, mais seulement jusqu’à début juin. Depuis lors, 2,9 millions de chômeurs ont perdu leur allocation. Le renouvellement de cette loi permettra rétroactivement d’indemniser à nouveau les chômeurs de longue durée. Soulignons que la durée moyenne du chômage atteint le record historique de 35 semaines. Certains des programmes arrivant à échéance en 2010 pourraient également être prolongés par un vote au Sénat, lors de la prochaine session parlementaire, à partir de septembre. Le renouvellement du programme « Make work pay » coûterait environ 40 Mds USD en 2011. La prolongation des baisses d’impôts de 2001 et 2003 coûteraient au budget 170 mds USD pour la tranche concernant les classes moyennes (revenus inférieurs à 250k USD), et 40 mds USD pour les ménages à hauts revenus. L’extension des aides fédérales aux budgets étatiques coûterait 30 mds USD.
United States of Austerity
Sans ces aides fédérales, les Etats devraient persister dans une austérité draconienne pour équilibrer leurs budgets. Tous les Etats à l’exception du Vermont sont tenus de présenter un budget équilibré en début d’année fiscale (débutant généralement le 1er juillet), et de préparer un budget correctif en cas de dérive pendant l’exercice. Pour l’année fiscale 2011 (juillet 2010- juin 2011), le déficit agrégé des Etats s’élève à 180 Mds USD selon le Center on Budget and Policy Priorities, et le besoin de financement (incluant le renouvellement de la dette) à plus de 300 Mds USD (2% du PIB).
L’ajustement des Etats est donc un des enjeux majeurs de la politique budgétaire américaine. Les Etats les plus en difficulté, comme la Californie (déficit 2011 de 19 Mds USD) ou l’Illinois (13 Mds USD), tentent d’échapper à une austérité contre-productive en recourant aux marchés internationaux de capitaux pour placer leurs obligations, grâce au programme fédéral Build America Bonds, qui subventionne le taux d’intérêt payé. Dans nombre d’Etats, une majorité des 2/3 est nécessaire pour voter toute hausse d’impôt au niveau étatique, ce qui complique la trajectoire sinueuse de l’ajustement. Dans l’impasse législative et budgétaire, certains Etats en détresse accumulent les arriérés de paiement et salaires (5 Mds USD dans le cas de l’Illinois) pour s’ajuster, avec un impact cyclique bien plus dommageable que des hausses d’impôts ciblées par exemple. En outre, une crise de défiance sur l’immense marché des obligations municipales (2,8 tn USD), qui regroupe les émissions des Etats et collectivités locales, aurait des conséquences sur la consommation privée, par les effets richesse induits sur les ménages, qui détiennent 70% de ce marché.
Impact sur le cycle
Au total, l’année 2011 verra un resserrement marqué de la politique budgétaire. La fin du programme de relance d’Obama, l’American Recovery and Reinvestment Act, en sera la première cause. Selon nos estimations, si les allocations chômage et les baisses d’impôts pour la classe moyenne sont renouvelées, le resserrement budgétaire sera de l’ordre de 1,2% du PIB en 2011 (dont 0,8% dû à l’ajustement des Etats), avec des effets récessifs dès le 1T. Si seules les allocations chômage sont prolongées, alors l’impact budgétaire récessif sera de l’ordre de 2,1% du PIB. Compte tenu des effets multiplicateurs, ce vent contraire constituerait une menace sérieuse pour la reprise économique. En effet, les données disponibles à ce jour suggèrent que le rythme de croissance a déjà ralenti à 2%(T) au 2T10, malgré un effet du plan Obama à son apogée. La direction politique que prend le Congrès suggère donc une grande prudence en termes d’évolution du policy mix américain. Si le nouvel équilibre politique issu des élections de novembre confirme la tendance anti-keynésienne du Sénat, alors il incombera à la politique monétaire de jouer un rôle expansionniste accru.
Conclusions
Les élections de mi-mandat devraient confirmer la conversion à l’austérité du pouvoir législatif américain, dans un contexte de reprise économique hésitante. L’inflexion prévisible de la politique budgétaire concentrera la charge du soutien conjoncturel sur les épaules de Ben Bernanke. Au-delà de l’assouplissement rhétorique déjà entamé en juin, une réactivation des grands programmes d’assouplissement quantitatif est donc possible dans les mois à venir (achat de Treasuries, dette des agences hypothécaires, RMBS, voire CMBS).