Etats-Unis : le temps de l’optimisme ?

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

• Si le marché du travail reste très dynamique, la résorption du sous-emploi est un peu moins rapide.

• Beaucoup indicateurs convergent néanmoins pour annoncer une accélération des salaires dans les mois à venir.

• Dans le même temps, l’inflation reste très faible, et les prélèvements ne sont plus augmentés.

• En résumé, les Américains voient, enfin, leur pouvoir d’achat augmenter.

L’analyse des statistiques du marché du travail a toujours été très riche d’enseignements aux Etats-Unis. Elle permet de déceler les tendances de l’activité, des salaires, des prix, de la productivité. Néanmoins, depuis la fin de la récession de 2007-2009, la lecture du fameux «rapport emploi» n’est plus aussi aisée. Ainsi, malgré 11 millions de postes créés depuis fin 2010 et un taux de chômage divisé par deux1, le communiqué de presse du FOMC (Comité de politique monétaire) continue de mentionner la persistance d’un sous-emploi. En avril, il était même noté que ce dernier n’avait guère varié.

Les créations d’emplois restent pourtant toujours aussi dynamiques : +280 000 postes au mois de mai, +3 millions sur un an. Après des débuts timides, la reprise de l’emploi a gagné en dynamisme à la fin de l’été 2013. Après un ralentissement passager au cours de l’hiver, les créations d’emplois mensuels sont constamment restées supérieures à 200 000 (si ce n’est en mars dernier, à 119 000, un nouvel hiver rigoureux pesant temporairement sur les embauches). A trois reprises, la croissance mensuelle de l’emploi non agricole a même dépassé les 300 000. Et pourtant, le sous-emploi est toujours là et ne se réduit que très graduellement depuis l’automne 2014. C’est en tout cas le message de notre Indice SLACK.

En mars 2014, alors que le taux de chômage reculait rapidement, s’approchant du seuil de 6,5% qui était alors un objectif intermédiaire pour la Fed, Janet Yellen a commencé à se référer au concept de sous-emploi. Elle avait alors passé en revue les différents indicateurs illustrant la persistance d’un sous-emploi plus large que ce que traduisait le seul chômage : le nombre de personnes travaillant à temps partiel (involontairement, pour des raisons économiques), le taux de chômage de longue durée, la progression des salaires, les taux de recrutement et de démission, et le taux d’activité des 25- 54 ans. A partir de ces données, nous avons alors construit l’Indice SLACK2.

Cet indice traduit une situation qui demeure détériorée, évoluant actuellement 4 écart-types sous son niveau médian (de 2001-2007), contre 1 écart-type au lendemain de la récession de 2001. On constate également une divergence supérieure à la normale entre l’Indice SLACK et le taux de chômage, confirmant que la baisse du taux de chômage surestime le degré d’amélioration de l’emploi. Depuis octobre dernier, l’Indice SLACK ne s’améliore plus, alors même que sur la période, les créations mensuelles d’emplois ont été de 258 000 en moyenne.

En effet, malgré cette vigueur, le taux de chômage n’a reculé que de 0,2 point de pourcentage, car sur la période, le taux d’activité a arrêté de reculer. Mais, si le taux d’activité global a rebondi en mai 2015 (de 62,8% à 62,9%), cette évolution traduit des tendances divergentes. S’il progresse fortement pour les mieux diplômés, il recule pour ceux qui le sont moins (à moins de 45% pour ceux qui n’ont pas terminé le lycée et à peine 57% pour ceux qui n’ont que le bac). Découragés par des recherches infructueuses, les personnes peu diplômées préfèrent sortir purement et simplement du marché du travail. Un tel phénomène peut avoir deux explications : soit les offres d’emplois disponibles couvrent des postes qualifiés, auxquels les moins diplômés ne peuvent prétendre, soit il existe bien des offres correspondant à leurs compétences mais à des niveaux de rémunérations trop faibles. Si l’économie américaine fait face au premier type de déséquilibre, et alors que chez les personnes les plus qualifiés les taux d’activité sont élevés et les taux de chômage faibles (2,7% par exemple pour les diplômés du supérieur), des pressions à la hausse sur les salaires pourraient apparaître. Une hausse des salaires serait également la solution au déséquilibre du deuxième type, mais une telle inflation salariale ne peut, selon la théorie, s’envisager que lorsque la main d’œuvre se fait rare.

Alors qu’au début de l’amélioration du marché du travail, l’évolution des salaires pesait sur l’Indice SLACK, ce n’est plus autant le cas récemment. Le détail des données montrent que, alors même que l’emploi involontaire à temps partiel et le chômage de longue durée connaissent un recul, les taux de démission et d’embauche stagnent. C’est notamment la faiblesse de ce premier indicateur qui illustre le peu de confiance que les ménages ont actuellement dans la reprise de l’emploi, que l’on peut également lire dans les indices emploi et perspectives de revenu de l’enquête menée par le Conference Board. Ces derniers restent inférieurs à leurs moyennes des années 2004-2006. Rapportées à l’emploi non agricole, les offres d’emplois ont atteint 3,9% dans le secteur privé, au plus haut depuis le début de 2001. Le nombre de personnes disponibles (défini par la somme des chômeurs et de ceux qui accepterait un poste bien que n’étant pas en recherche active) par offre de poste se rapproche quant à lui d’un point bas.

On le voit, il semble de plus en plus probable que l’accélération des salaires, qui a longtemps tardé, soit pour bientôt. On en voit d’ailleurs les premiers signes. Le taux de salaire horaire des effectifs affectés à la production (hors cadres) a ainsi progressé à un taux annualisé de 2,7% au cours des trois derniers mois, soit le rythme le plus vif depuis le printemps 2014. Il est encore un peu trop tôt pour crier victoire. Depuis le début de la reprise, les salaires ont déjà connu des périodes d’accélération. Mais il y a aussi davantage de raisons d’y croire qu’à la fin de 2012. Bien que stagnant, notre Indice SLACK est aujourd’hui bien moins faible ; l’accélération touche la plupart des secteurs ; les industries où les salaires sont les plus faibles connaissent des taux de progression des rémunérations parmi les plus élevés ; les créations d’emplois sont plus marquées (plus de 3 millions l’an actuellement contre un peu plus de 2,2 millions alors).

De plus, la croissance des salaires n’est actuellement absorbée ni par une croissance des prix ni par une augmentation de la fiscalité. Net des contributions sociales et déflaté des prix à la consommation, la progression annuelle du taux de salaire horaire est la plus rapide depuis le début de 2011. En résumé, les employés américains bénéficient, enfin, d’une progression de leur pouvoir d’achat. Un marché du travail dynamique finira par les conduire à augmenter leur consommation, ce qui est peut-être en cours: en mai, hors carburants, les ventes de détail ont progressé de 1%, soit à un rythme annualisé sur trois mois de 6,7%. Hors autres éléments volatils, la progression est de 4,2%. Peut-être qu’au deuxième trimestre, le rebond de la croissance sera plus marqué que nous ne l’attendions…

NOTES

  1. Le taux de chômage est passé d’un point haut de 10% fin 2009 à 5,5% en mai 2015.
  2. Les données sont agrégées après avoir été normées. La déviation de la normale, soit l’écart à la médiane (calculée sur une période couvrant l’ensemble d’un cycle « normal ») mesurée en nombre d’écart-type, devient l’unité de mesure unique de toutes les variables

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