Etats-Unis : les défis

par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis AM

La dynamique du marché boursier pourrait laisser penser que l'économie américaine a retrouvé une trajectoire robuste et durable. La politique monétaire de la Federal Reserve reste pourtant particulièrement accommodante avec un taux d'intervention compris entre 0 et 0,25 %. Ce choix ne va pas évoluer spontanément puisque la banque centrale américaine s'est engagée à maintenir ce niveau jusqu'à fin 2014.

Un pays endetté

Si l'économie américaine est toujours prête à rebondir, elle est cette fois davantage contrainte que par le passé. Comme en témoigne le graphique ci-contre, le taux d'endettement des agents non financiers (ménages, entreprises et État) n'a jamais été aussi élevé, au moins depuis la seconde guerre mondiale.

Un niveau qui n’a pas reculé pendant la crise financière, avoisinant 2,5 fois le PIB américain. Ce niveau excessif ne pourra se résorber que dans le temps, puisqu’agir trop rapidement serait prendre le risque de contraindre l'économie américaine et d’éroder les éléments de dynamisme précédemment évoqués.

Les entreprises ont réduit leurs engagements au moment de la récession de 2008 – 2009, mais ont depuis un comportement stable. Cela suggère que ces entreprises ne sont pas, en moyenne, contraintes par un endettement excessif. Cela soutient la dynamique d'activité même si la situation diffère entre les grandes entreprises et les PME. Sur ces dernières en effet, la crise financière a eu une persistance forte et les contraintes financières ont pesé plus longtemps.

Le coût de l’intervention de l’Etat

La dette des ménages a reculé et la dette publique s'y est substituée. Il y a eu un arbitrage très net entre la dette des ménages (qui s'est réduite car elle n'était plus soutenable) et celle de l'état. Exprimé en pourcentage du PIB, l'écart entre ces deux détenteurs est devenu quasi nul à fin 2011 alors qu'il représentait près de 41 % du PIB à l'été 2007. Le changement de tendance a été fort du côté des ménages depuis le point haut de 2009, tandis que la dette publique s’accroissait rapidement du fait de l'intervention de l'état visant à stabiliser l'économie.

Comme de nombreux autres gouvernements des pays occidentaux, l'État américain était intervenu pour contrebalancer le repli rapide de la demande privée lors de la récession consécutive à la faillite de la banque Lehman Brothers. Depuis, la croissance a été lente et l'économie n'a pas retrouvé une trajectoire suffisamment robuste pour réduire spontanément la dette (exprimée en pourcentage du PIB) ou inciter la Maison Blanche à mettre en place une stratégie budgétaire restrictive.

Dans une période de croissance lente, la consolidation budgétaire peut en effet peser lourdement et durablement sur l'activité.

Le gouvernement d'Obama a voulu éviter une telle situation, mais cela ne signifie pas pour autant que l'administration démocrate rejette toute stratégie active sur la fiscalité visant notamment à réduire les biais marqués dans la distribution des revenus.

Ainsi, il faudra observer avec attention en 2013, les négociations liées à la suppression totale ou partielle des baisses d'impôts décidées par G. Bush en 2001.

Le changement dans la structure de détention de la dette réduit le risque pour l'économie. En effet, la dette émise par l'état est garantie par la banque centrale qui peut jouer ainsi le rôle de prêteur en dernier ressort. La Fed a déjà utilisé cette opportunité. Avec cette garantie, le risque de défaut est plus réduit.

Des agents privés toujours sous pression

Pour les ménages, le risque n'a pas encore disparu puisque la soutenabilité de leurs engagements sera fonction de la dynamique de leurs revenus. Il est donc nécessaire que la situation des entreprises s'améliore afin que le marché du travail se redresse durablement.

Dans un contexte où le revenu des ménages resterait sur une allure réduite, certains d’entre eux seraient particulièrement fragilisés à savoir ceux résultant, par exemple, d'engagements immobiliers. En l’absence d’amélioration rapide du marché du travail, de tels engagements pourraient devenir beaucoup trop contraignants. 

Conclusion

En raison d'un endettement élevé des acteurs non financiers de l'économie, le chemin est donc particulièrement étroit pour l'économie américaine.

Si cela ne semble pas constituer, en moyenne, une réelle source d’inquiétude du côté des entreprises, force est de constater que la dette des ménages est encore importante. Elle pourrait être source de fragilité de la conjoncture si la dynamique des revenus ne s'améliore pas au cours des prochains mois.

Par ailleurs, si la part considérable prise par l'état semble plutôt rassurante avec l’existence d’une garantie du côté de la banque centrale, cela restreint les marges de manœuvre de la politique budgétaire mais le risque est certainement moins fort qu'au déclenchement de la crise.

Il reste donc à souhaiter que l'économie américaine évolue selon ses ressorts habituels et le dynamisme qui lui est propre, tout en gardant à l’esprit les contraintes et les pertes de degrés de liberté qu'engendre un endettement très important. Le temps d'ajustement sera long.

C'est aussi pour desserrer ces contraintes que la banque centrale a fait le choix de maintenir des taux d'intérêt très bas et très longtemps, le temps de permettre au reste de l'économie de s'adapter à cette configuration nouvelle.